19.12.2024
Une pause dans l’expansion des pays émergents
Presse
17 octobre 2016
Évolution, car il ne s’agit pas d’une rupture brutale et soudaine, mais d’un processus long qui se consolide avec le temps sans qu’on puisse dater précisément sa survenance. Évolution par ailleurs plus importante encore que ne le fut la fin du monde bipolaire. Ce dernier a duré quatre décennies. Le monopole occidental sur la puissance internationale a, lui, duré cinq siècles. Mais, depuis quelques années, les pays émergents sont en crise. On peut se demander si le rééquilibrage en cours a pris fin, s’il va s’inverser ou s’il marque simplement une pause.
Les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), catégorie artificielle inventée par Goldman Sachs devenue une réalité stratégique, se réunissent régulièrement en sommets. Ils représentaient 5 % du PIB mondial au début des années 1990, 8,5 % en 2001 et 22,6 % en 2015. Au-delà des Brics, il y a en fait de 60 à 70 pays émergents. Peut-on plutôt parler de pays émergés ? Ils sont en tout cas différents en termes de politique sociale, de modes de vie, de taux de croissance et d’alphabétisation. L’inventeur du concept des Brics, s’il devait le recréer aujourd’hui, déclare qu’il n’y intégrerait que la Chine, les autres connaissant une crise, parfois profonde.
Il y a certes un ralentissement de la croissance chinoise mais la Chine occupe désormais une place centrale dans l’économie mondiale. Son ralentissement affecte directement les économies latino-américaines et africaines. Quand la Chine éternue, une partie du monde s’enrhume. Comme le Japon dans les années 1980, son poids économique est supérieur à son poids stratégique. La Chine est encore très discrète sur les grands sujets géopolitiques et demeure un contributeur modeste au règlement des questions globales, invoquant la non-ingérence. Pour le moment, la population adhère au système du fait de la réussite économique.
Devenir une puissance de rang mondial, et même la sixième, est l’ambition affichée de l’Inde. Le pari raisonnable n’est pas encore gagné. Quel est le message de l’Inde à l’heure où le non-alignement n’a plus de sens ? Le développement économique est une réussite, mais elle reste bien loin de sa rivale chinoise. L’Afrique du Sud est la puissance hégémonique de l’Afrique australe et en partie du continent mais elle demeure à une place subordonnée au sein du capitalisme mondial et de l’architecture internationale. Son économie marche au ralenti ; son leadership politique est contesté.
Poutine a consolidé son pouvoir interne. Son autoritarisme n’en est pas la seule explication. Alors qu’il commençait à être contesté, son coup de force en Crimée lui a valu un regain de popularité. Les difficultés économiques, plus liées à la chute des cours du pétrole et à l’insuffisance de réformes structurelles qu’aux sanctions occidentales, ne sont pas venues affecter cette popularité. Sa politique en Syrie sera moins soutenue.
Le Brésil est, lui, en pleine tourmente. La crise économique et sociale s’est transformée en crise politique de grande ampleur. Le rayonnement extérieur du pays en est affecté. Mais il ne reviendra pas au rôle mineur qui était le sien avant le début du XXIe siècle.
Les pays émergents, à des degrés divers, marquent une pause dans leur phase d’expansion et de rattrapage des autres pays. Mais, au sein de chacun d’entre eux, les sociétés civiles se font de plus en plus entendre. La corruption n’est pas plus développée qu’auparavant mais elle est plus vivement dénoncée. La crise qui frappe les émergents – à des degrés divers et sous des formes distinctes – ne redonne pas au monde occidental la perspective d’un retour au monopole de la puissance. La crise frappe également de nombreux pays occidentaux. La différence réside dans le fait que, pour beaucoup d’entre eux, elle est moins soudaine parce que plus ancrée.
Sur le moyen-long terme, les Occidentaux doivent accepter un partage du pouvoir ainsi qu’une gestion multilatérale des affaires mondiales.