17.12.2024
Quelles solutions pour la résolution des contentieux en mer de Chine ?
Tribune
19 octobre 2016
Le grand intérêt de ce séminaire est de s’être focalisé sur des aspects plutôt pratiques et, sans les occulter, de ne pas s’attarder sur les considérations politiques. Les intervenants provenaient d’horizons très divers, à l’exception très notable des Chinois. Il leur était aussi demandé de faire des propositions pratiques pour limiter les risques de conflits dans la zone.
La destruction de l’environnement
La mer de Chine du Sud, tout particulièrement dans les zones des récifs et îlots, objets des plus importants contentieux, est une richesse environnementale à plusieurs titres. Ses eaux très poissonneuses font vivre 40 millions de pêcheurs sur son pourtour et fournissent une bonne part de leurs protéines animales à quelques centaines de millions de personnes. Mais les récifs sont aussi des lieux de ponte et d’éclosion qui fournissent en larves de plancton et en alevins une zone qui, grâce aux courants, s’étend largement au-delà de la mer de Chine proprement dite. A l’exception de quelques rares zones protégées, on est déjà dans une situation de surpêche irréversible dans le court et le moyen terme. Cette situation est même en voie d’aggravation car les gouvernements des pays riverains tendent, pour diverses raisons, à subventionner les pêcheurs ce qui conduit à une course à la production et souvent à l’emploi de méthodes (raclage ou turbinage des fonds, explosifs, empoisonnements) particulièrement dévastatrices.
Les problèmes de biodiversité sont aussi graves, alors que la zone est la plus riche du monde dans certains domaines (coraux et plancton en particulier). Certaines espèces sont recherchées pour leur rareté (clams géants, coraux) et sont exploitées bien au-delà des capacités de reproduction et en utilisant des méthodes qui détruisent d’autres espèces ou même l’ensemble d’un environnement. Au moins aussi grave, les agences gouvernementales chinoises construisent dans les Spratleys et Scarborough Shoal, en toute illégalité, des extensions sur certains récifs. Cela se traduit par l’utilisation de dragues qui raclent les bas-fonds coralliens pour les broyer et les transformer en sable de construction. Près de 200 km² de récifs ont déjà été ainsi stérilisés. Par ailleurs, la très forte augmentation de l’activité humaine conduit au rejet en mer de polluants divers.
La sécurité de navigation maritime et aérienne
Par la mer de Chine du Sud transitent 40% du commerce mondial de marchandises, pour un volume annuel en valeur de 5.300 milliards de dollars. On estime qu’un conflit qui imposerait d’utiliser des routes alternatives coûterait des centaines de milliards de dollars. Le trafic aérien tient une part relative moins importante au niveau mondial mais il est surtout beaucoup plus immédiatement vulnérable car ce sont des vies de passagers qui sont concernées.
Les menaces pesant sur la sécurité de navigation sont principalement liées à des risques de collision quand se mêlent des cargos qui naviguent au plus court, des bâtiments d’Etat (militaires, garde-côtes, agences diverses et milices) qui représentent une autorité contestée par d’autres nations et pêcheurs préoccupés uniquement de production et ne respectant ni normes ni mesures de sécurité. Les affrontements entre bâtiments d’Etat interdisant l’accès d’une zone et pêcheurs ont déjà conduit à des collisions ayant fait des morts. Le refus chinois d’accepter le jugement de la Haye conduit Pékin à refuser le « passage innocent » dans les espaces qu’il veut transformer en zones de souveraineté. Un incident grave impliquant un navire de guerre d’une Marine d’un grand pays non riverain (même la France s’est engagée à envoyer des patrouilles dans la zone) aurait sans doute de graves conséquences.
La gamme des restrictions potentielles à la liberté de navigation aérienne est plus étendue, allant de l’obligation de transmission « pour information » des plans de vols à la création unilatérale de zones interdites dans des espaces aujourd’hui considérés comme internationaux. La Chine avait ainsi créé, en mer de Chine orientale et dans le cadre d’un conflit avec le Japon, une ADIZ (Air Defense Interdiction Zone), qui ne peut théoriquement être pénétrée par un avion n’ayant pas reçu une autorisation, sous peine d’interception par les moyens de la défense aérienne. Les pays riverains craignent actuellement la création d’une telle zone en mer de Chine du Sud, qui impacterait des centaines de vols commerciaux par jour, y compris des vols directs entre le Vietnam et les Philippines ou la Malaisie. Toute aggravation des tensions aura un impact direct sur la sécurité des vols dans la région, allant des rétentions d’informations de tous ordres à l’absence de coordination d’éventuelles opérations de recherche et de sauvetage. On pourrait même assister à des actions pouvant conduire à la destruction volontaire ou non, d’un aéronef. L’implantation récente par la Chine de missiles antiaériens et la construction de bases pouvant accueillir des avions de chasse n’est pas faite pour rassurer.
Les solutions suggérées
Chacun des intervenants était prié de proposer des mesures visant à améliorer la protection de l’environnement et la sécurité. Les suggestions faites, dont très peu sont nouvelles, sont de deux ordres.
Les premières, les plus nombreuses, partent d’une hypothèse selon laquelle la Chine accepterait de participer à un dialogue. Elles concernent avant tout les problèmes maritimes et supposent d’être précédées par un moratoire sur toutes les revendications et toutes les activités relevant de ces revendications. Elles viseraient à la création, dans un premier temps, d’un « Grand Parc de la Paix des Spratleys », puis par la création d’une ou plusieurs agences réunissant chacune tous les riverains et ayant pour objet la gestion commune des ressources.
Les secondes, beaucoup plus limitées et pratiques, tendent à créer, très rapidement et sans préjuger de l’avenir, de petites structures multilatérales ad-hoc visant à régler, entre pays de bonne volonté, des problèmes ponctuels. L’accès à ces structures devrait être proposé dès leur création à la Chine. Cela peut concerner, par exemple, la création de zones maritimes empiétant sur les eaux de plusieurs Etats et protégées contre une menace particulière (protection d’une espèce, taille des prises…). Il a été aussi proposé la création d’une immatriculation et d’un enregistrement de tous les bateaux de pêche. J’ai, pour ma part, proposé la création d’une agence, bâtie sur les concepts ayant conduit à la création d’EUROCONTROL, qui centraliserait l’information sur tous les vols commerciaux dans la zone. Toutes ces agences ayant, naturellement, vocation à prendre de l’ampleur et sachant communiquer de telle façon que la Chine puisse difficilement refuser d’y participer.
Même si cela pourra paraître étonnant à certains, plusieurs intervenants vietnamiens appartenant à des organismes officiels ont clairement et publiquement indiqué que, dès maintenant, il était nécessaire de solliciter une présence plus forte des Etats-Unis dans la zone, ultime rempart aux « ingérences » chinoises.
En marge du séminaire, l’impact de la décision de la Haye a mis en lumière quelques implications de la jurisprudence qui ne manquera pas d’être utilisée… En effet, elle pourrait remettre en cause le statut actuel de quelques possessions maritimes d’autres nations. On cite entre autres :
• Guam et Hawaï pour les Etats-Unis
• La Polynésie pour la France
• Les Malouines pour le Royaume-Uni
• Les Antilles pour les Pays Bas, le Royaume-Uni, les Etats-Unis et la France.