18.11.2024
Thaïlande : quel avenir pour la monarchie ?
Interview
18 octobre 2016
C’est en réalité fort peu dire que le décès de Bhumibol Adulyaej (Rama IX selon le protocole) – un souverain très apprécié de son vivant par ses 67 millions de sujets – constitue un événement en soi dans l’ancien Siam. Bhumibol est arrivé très jeune sur le trône (18 ans), en 1946. Il succédait à son frère, disparu dans des circonstances tragiques. A l’époque, la couronne britannique était encore la puissance coloniale sous le sous-continent indien voisin. Après sept décennies sur le trône, l’empreinte du monarque défunt sur le quotidien et dans le cœur de la population de ce royaume bouddhiste étaient considérables. Quel commerce, quel chauffeur de tuk-tuk, quel responsable local n’arbore pas un poster XXL du souverain disparu et de son épouse la reine Sirikit, (86 ans) ! Une bienveillance rare pour une monarchie asiatique traversant les siècles et survivant à l’entrée dans un IIIe millénaire bien agité.
Le fait que le souverain se soit employé tout au long de son règne à œuvrer au profit de ses sujets (par le biais d’une galaxie de projets de développement locaux à taille humaine, pour l’espace rural ou la préservation de l’environnement), qu’il n’ait guère attiré l’attention – moins encore l’opprobre – sur ses agissements (royaux et privés) et qu’il soit intervenu à diverses reprises en période de crise (n’a-t-il pas été le témoin d’une douzaine de coups d’Etat militaire et vu se succéder pas moins d’une vingtaine de Premier ministre …) pour prêcher retenue, concorde et sortie de crise en douceur (quand la chose était possible-souhaitable), façonna son règne d’une aura particulière ; quand bien même jamais Bhumibol ne sourit, pas même une fois en public, en 70 années aux commandes du royaume (mais dans le cadre, depuis 1932, d’une monarchie non plus absolue mais constitutionnelle, ou l’essentiel des prérogatives exécutives sont du ressort d’un Parlement et d’un gouvernement).Cette disparition intervient deux ans et demi après l’énième retour des militaires aux affaires, à la suite d’un nouveau coup d’Etat (le précédent remontait à 2006), validé a posteriori par le palais royal, comme souvent par le passé. Le pouvoir est aux mains d’une junte obéissant aux ordres de l’austère et peu souriant Prayuth Chan-ocha (ancien général) et de son cabinet militaire à la sémantique on ne peut plus transparente : le Conseil national pour la paix et l’ordre (CNPO) dont l’expertise, après une trentaine de mois d’exercice, est surtout avérée pour ce qui est du retour de la stabilité intérieure, succédant à quelques années de désordre et de manifestations pro et anti-gouvernementales sans fin, et naturellement de l’ordre public, fut-ce au prix de sévères restrictions aux libertés publiques (droit de se rassembler, de manifester ; droits de l’homme ; liberté d’expression).
Le prince Vajiralongkorn, fils et successeur du roi Bhumibol a annoncé vouloir du temps pour se préparer à monter sur le trône. Qui est ce prince héritier et quels enseignements peut-on tirer de cette décision inhabituelle ? Quels sont le rôle et les prérogatives du roi en Thaïlande ?
Ici, le concept de rupture prend toute sa signification. Le contraste risque d’être dur à vivre pour les Thaïlandais… Certes, le futur souverain, le prince Maharadja Vajiralongkorn, fait lui aussi l’unanimité, mais contre lui…
Après un demi-siècle d’un comportement souvent plus proche de l’excès, quand il n’a pas été joyeusement franchi, que de la retenue, de l’attitude inconvenante pour un membre de la famille royale que de la vertu prônée par son père Rama IX, il était somme toute très audacieux d’attendre monts et merveilles du futur souverain. Car, bien qu’âgé de 64 ans, aujourd’hui, sa capacité à susciter la polémique reste intact et en découragerait presque les défenseurs de la monarchie.
A décharge pour ce dernier, le fait d’accepter une Régence pour la durée du deuil, la crémation du monarque décédé ne devrait pas intervenir avant 12 mois. Elle sera assumée par, Prem Tinsulanonda, 96 ans, ancien Premier ministre influent et ancien général. Cette décision prise autant par respect du disparu, que pour ne pas précipiter la population trop rapidement dans « l’après-Bhumibol »,selon les propos de l’ancien général Prayuth, ne doit pas être interprété trop sévèrement ; quand bien même les appétences du prince pour les responsabilités royales à venir ne semblent pas s’être du jour au lendemain magnifiées…
Les responsabilités – essentiellement protocolaires – qui reviendront à terme, au nouveau roi, risquent de briser sa routine de légèreté et d’insouciance, étalée ces dernières décennies à l’étranger – tels ces palais bavarois abondés de voiture de course, de piscine et de compagnies au comportement, pour le coup, souvent assez éloigné de celui prévalant à la cour du roi Bhumibol…
Quels sont les enjeux de la Thaïlande d’aujourd’hui au niveau national et régional ?
Écornée par une longue et éprouvante décennie de crise politique ou le déni de démocratie, le chaos et la paralysie des institutions ont prévalu bien plus que de raison, l’image de l’ancien Siam a durement pâti à l’étranger, auprès des investisseurs étrangers notamment, lassés du maelström politico-partisan affligeant sans fin cette seconde économie d’Asie du sud-est (derrière l’Indonésie). A noter que le retour d’une junte militaire (CNPO) au printemps 2014, critiqué par les chancelleries occidentales et les organisations des droits de l’homme, fut reçu avec moins de froncement de sourcils par la communauté des affaires, pragmatique et par définition soucieuse de stabilité.
La poursuite d’une violente insurrection ethnico-religieuse/séparatiste dans les quatre provinces méridionales musulmanes confinant avec la Malaisie (près de 6 000 victimes depuis douze ans, dans un contexte d’attaques quasi-hebdomadaires), le tragique attentat dans le centre de Bangkok le 17 août 2015 (une vingtaine de victimes) – demeuré largement entouré de flou depuis lors, au niveau de ses instigateurs notamment – ont concouru à éroder plus encore une trame déjà sérieusement entamée.
L’ASEAN, l’institution régionale de coopération (dix pays membres) dont la Thaïlande constitue une des principales pierres de touche, aspire – sans vraiment pouvoir influer significativement sur le cours des choses – à un retour durable de la stabilité politique et de la « paix intérieure » Des concepts vacillants et bien ténus depuis l’entrée du royaume dans le XXIe siècle ; peu important en vérité l’ADN du gouvernement en place à Bangkok (administration civile ou martiale), ou l’identité du souverain.