17.12.2024
Juan Manuel Santos, Président colombien et prix Nobel paradoxal
Presse
7 octobre 2016
La maison mère Nobel, spécialiste en poudres et explosifs, aurait un marché de choix en Colombie. La Colombie n’est-elle pas en situation de guerre intérieure depuis 1948? Petit rappel, pour ceux qui l’auraient oublié. Les 20 années d’après-guerre (mondiale) ont été en Colombie celles d’un conflit civil meurtrier entre parts traditionnels, conservateurs et libéraux. Ce conflit aurait causé la mort de 2 à 300 000 personnes. Faute de mieux, on lui a donné le nom générique de la Violence, avec un grand « V ». A peine éteint, le relais a été pris par des batailles tout aussi sanglantes. Avec d’autres acteurs, les guérillas, les groupes paramilitaires, les cartels de délinquants. Le bilan humain de ces affrontements commencés dans les années 1960 est tout aussi lourd. Plusieurs centaines de milliers de victimes. Des millions de personnes déplacées des campagnes vers les villes. Les forces de sécurité colombiennes, armée et police, sont sur le pont depuis des années. Pourtant Juan Manuel Santos n’a rien à voir avec les activités historiques de poudre et canon de la société Nobel. Paradoxe.
Juan Manuel Santos a conduit dans les années 2002-2010, comme ministre de la défense d’Alvaro Uribe, la bataille contre les guérillas. Et donc contre les FARC. Il a plusieurs hauts responsables des FARC à son tableau de chasse. Président depuis 2010 il a poursuivi ce combat. Et ajouté à son palmarès les dépouilles d’autres grands chefs des FARC. Il a tout au long de ses deux mandats présidentiels caressé les militaires dans le sens du poil. Il a même signé un accord de coopération liant son pays, la Colombie, à l’Alliance atlantique. Initiative, sans doute bien perçue dans les casernes colombiennes, mais qui avait soulevé le haut le cœur des voisins de Bogota. Un homme à poigne donc, ce Juan Manuel Santos. Profil accusé d’une personnalité forte. Mais qui cadre assez mal avec celui d’un récipiendaire du Prix Nobel de la paix. Paradoxe ici encore.
Et pourtant ce prix Nobel, Nobel de la paix, est sans doute dans de bonnes mains. Homme de guerre, Juan Manuel Santos en a mesuré le prix et les risques. Il a au terme sans doute d’un bilan de conscience personnel, et d’une réflexion sur les avantages et inconvénients de la guerre, décidé en assumant son premier mandat présidentiel, de faire le pari de la paix. Deux ans de contacts discrets, et quatre autres années de dialogue public avec le mouvement guérillero principal, les FARC, sans que les affrontements aient été suspendus, un compromis a été trouvé entre combattants. Il pèse au sens le plus littéral du mot ce que peut peser un document de plus de 300 pages, divisé en six chapitres. Toutes les questions qui fâchent ont été abordées, l’accaparement des terres, le trafic de stupéfiants, les conditions de reconversion en parti politique des FARC, la portée d’un pardon accordé aux combattants, les garanties de sécurité personnelles données aux guérilleros, la vérification de l’application de ce qui a été signé. Tout cela a été bouclé le 24 août et solennellement paraphé le 26 septembre. Mais, patatras, consultés par référendum (ou plébiscite dans la terminologie colombienne), les électeurs ont dit « Non ». Le non n’a pas été un non raz de marée. Mais les chiffres sont là, 50,8% des Colombiens ont refusé la paix. Alors paradoxe, pourquoi attribuer le Nobel à un président qui a in fine perdu son pari?
Sans doute pour essayer de sauver ce qui peut l’être. En donnant un aura moral international à un responsable politique qui a sans relâche depuis six ans œuvré pour donner à son successeur les clefs d’un pays apaisé. Peut-être. Mais il s’agit là aussi d’un soutien diplomatique extérieur à un Juan Manuel Santos qui n’a pas l’intention d’abandonner sa bataille pour la paix. Dès l’annonce des résultats, on ne peut plus décevants, il a fait une déclaration signalant qu’il entendait ferrailler pour la paix jusqu’au bout de son mandat. Il a successivement annoncé la poursuite du cessez le feu, l’organisation d’une réunion avec les partisans du non, l’envoi d’un émissaire auprès des FARC. Cette main tendue a été acceptée. Les FARC ont annoncé qu’elles aussi maintenaient la non belligérance. Tout en suspendant la démobilisation en cours. Quant au chef du camp du non, Alvaro Uribe, sans doute satisfait d’avoir brouillé les cartes et de s’être réintroduit dans le jeu politico-électoral, a proposé un pacte national, garantissant amnistie et sécurité pour les FARC. Propos bien loin des diatribes de guerre froide tenues pendant la campagne, assimilant Santos à un suppôt du castro-communisme et à un ennemi de la famille traditionnelle. Le paradoxe ici est dans cette convergence retrouvée, à l’issue d’un pari perdu en faveur de la paix.
Le Nobel manifestement répond au défi posé par le dernier de ces paradoxes. La communauté internationale a depuis six ans encouragé le processus. Cuba et la Norvège ont été au premier rang, soutenus par le Chili et le Venezuela. Le jour de la signature, le 26 septembre, 15 chefs d’Etat latino-américains, 27 ministres des affaires étrangères et assimilés, dont ceux des Etats-Unis et du Saint-Siège, les Secrétaires de l’ONU, de l’OEA, du Système ibéro-américain, les directeurs de la Banque mondiale, de la Banque interaméricaine du développement, du FMI avaient tenu à être présents. Pour une fois en effet, un conflit semblait trouver sa solution par la voie diplomatique. Et pouvait donc montrer une voie susceptible d’être suivie, ailleurs, en Afrique, au Proche et au Moyen-Orient. La Norvège, partie prenante aux accords, et lieu d’attribution du Nobel, a sans doute en dotant Juan Manuel Santos, souhaité signaler à ceux qui pouvaient en douter que la communauté internationale restait aux côtés du parti de la paix. Parti dont les cartes maitresses sont dans les mains de Juan Manuel Santos.
Il lui reste maintenant à en faire bon usage. A trouver les arguments permettant d’apaiser les craintes des opposants, les initiatives qui sans soumettre les accords à révision permettent des compromis consensuels. Il lui reste aussi à expliquer, accords en mains, avec le soutien effectif des partisans de la paix, le contenu de ce qui a été signé. Et qu’ignorent aujourd’hui encore l’écrasante majorité des Colombiens, qu’ils aient voté, oui, non, ou se soient abstenus.