28.11.2024
L’OPEP n’est pas morte, elle se transforme !
Interview
6 octobre 2016
La déclaration d’Alger a surpris de nombreux analystes qui estimaient que les conditions politiques n’étaient pas réunies pour trouver un accord entre les deux principales puissances régionales et pays producteurs de l’Organisation (Arabie Saoudite et Iran). Cette annonce est donc historique à plus d’un titre puisqu’elle intervient après les réunions de novembre 2014, décembre 2015 et avril 2016, qui ont vu successivement l’OPEP ne pas intervenir dans un contexte d’effondrement des cours, inonder les marchés pétroliers pour finalement échouer à trouver un compromis sur les marchés. Ainsi, après une « politique de la vanne ouverte » initiée en 2015, l’OPEP cherche désormais à reprendre le marché en main avec une décision de diminution de production, une première depuis près de 8 ans !
Les facteurs qui ont poussé les producteurs à retrouver les bases d’un accord jugé impossible en avril dernier sont nombreux et ne relèvent pas des derniers développements enregistrés sur les prix qui se révèlent par ailleurs très volatils. En effet, la séquence d’effondrement des cours du brut (une baisse de près de 70 % entre juin 2014 et décembre 2015) s’est interrompue début 2016 à moins de 30 dollars le baril et les prix oscillent désormais dans une fourchette comprise entre 40 et 50 dollars le baril. Le pré-accord trouvé à Alger peut en partie s’expliquer par les incertitudes de la production des pays non-OPEP pour les mois à venir. Ainsi, lors de son allocution du 28 septembre dernier, le ministre de l’Energie et de l’Industrie du Qatar et président de la conférence de l’OPEP à Alger -HE Dr. Mohammed Bin Saleh Al-Sada- a insisté sur le fait que l’Organisation avait révisé à la baisse la réduction anticipée de la production non-OPEP en 2016 (de 760 000 barils prévue initialement, la baisse pourrait n’atteindre que 600 000 barils), mais également pour 2017. Pour l’année prochaine, l’Organisation anticipait une réduction de 100 000 barils de la production non-OPEP alors qu’elle prévoit désormais une hausse de 200 000 barils. Dans un contexte où la demande mondiale de pétrole devrait progresser d’environ 1,3 % l’année prochaine, l’OPEP se devait dès lors d’envoyer un signal au marché.
En août 2016, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’OPEP a ainsi produit 33,47 mbj, soit un niveau record notamment pour de nombreux pays producteurs au Moyen-Orient. Le Koweït et les Emirats Arabes Unis ont pompé à des niveaux sans précédent ; l’Arabie Saoudite s’est rapprochée de son record de production et l’Iran a produit près de 3,64 mbj, contre 2,8 mbj en décembre 2015.
Au final, en août 2016, la production totale de l’Organisation était supérieure de près de 930 000 barils à celle de 2015. La réduction annoncée de 2 % devrait retirer plus de 700 000 barils du marché, un chiffre inférieur à l’augmentation de production observée depuis près d’un an au sein du cartel. Si la déclaration d’intention se transforme en accord en novembre prochain, il pourrait ainsi contribuer à un rééquilibrage du marché en 2017.
Pourquoi cette décision aujourd’hui et quel sera son impact ?
Les pays producteurs souffrent dans leur grande majorité et à des degrés divers de l’effondrement des prix du pétrole. Le département américain à l’énergie (DOE) a ainsi estimé que les revenus d’exportations de pétrole des principaux membres avaient atteint 404 milliards de dollars en 2015, contre plus de 750 milliards en 2014, soit une chute d’environ
46 %. La chute des prix du pétrole a ainsi conduit au niveau de revenu le plus faible depuis 2004 pour les pays de l’OPEP. Les premières estimations pour l’année 2016 laissent envisager une nouvelle baisse des recettes d’environ 15 %. Ces chiffres expliquent les difficultés économiques de certains pays membres, qui ont enregistré un ralentissement marqué de leur croissance (voire une entrée en récession) dès 2015. La situation du Venezuela, qui combine une crise politique et une crise économique (PIB en chute de 6 %, inflation à plus de 150 % en 2015), parait difficilement soutenable tout comme les situations observées au Nigeria, en Libye ou en Angola, particulièrement difficiles. Dans ce contexte, il ne faut pas s’attendre à un changement radical de la conjoncture économique des 14 pays membres de l’OPEP. Pour nombre d’entre eux, les difficultés rencontrées sont d’ordre structurel (diversification limitée, concentration de la rente, crise sociale…).
Toutefois, la promesse d’un accord pourrait donner un peu d’air à certaines économies de l’Organisation qui conjuguent une crise économique et politique. Les marchés pétroliers ont ainsi accueilli favorablement cet accord avec une hausse du prix du pétrole brut Brent de plus de 3,5 % à Londres, à environ 48 dollars le baril et de plus de 5 % à New-York pour le WTI. Toutefois, les effets à moyen terme sur les prix restent suspendus à de nombreux facteurs. Le premier, capital, reste la capacité de l’OPEP à transformer l’essai d’une déclaration de principes à un véritable accord de production, assorti d’une réduction des quotas des différents pays membres. Sur ce premier point, il faudra notamment observer le combat à distance que risquent de se livrer l’Arabie Saoudite et l’Iran. Historiquement, l’hétérogénéité économique, politique et sociale des membres du cartel rend difficiles les accords à long terme sur le marché. Et le contexte actuel est inédit puisque l’OPEP doit gérer le retour marqué de l’Iran sur la scène internationale, le potentiel de développement considérable de l’Irak sur les marchés pétroliers et la quasi-faillite de l’un de ses membres fondateurs (le Venezuela). Les contours de l’accord restent flous et le cartel devra dépasser la seule stratégie de l’effet d’annonce s’il veut entretenir un effet durable sur les prix.
Le second facteur interroge les transformations structurelles du marché pétrolier. En effet, la simple déclaration d’intention n’aura de conséquences, sur le marché, à moyen terme, que si d’autres pays producteurs de pétrole non-membres du cartel s’associent à cette nouvelle politique. On pense bien évidemment à la Russie, qui par le passé, a souvent joué le rôle de passager clandestin des politiques de l’OPEP. D’autres éléments pourraient également rendre cet accord caduc. Ainsi, de manière globale, l’environnement économique mondial reste soumis à une myriade de risques. La croissance mondiale, tout comme celle du commerce international, décélère et les perspectives actuelles interrogent : le risque bancaire en Europe, les incertitudes sur le rééquilibrage économique en Chine et la situation financière de l’Empire du milieu sont autant de facteurs induisant une forte volatilité sur les marchés. En outre, le contexte électoral aux Etats-Unis et les incertitudes sur la politique monétaire américaine renforcent le sentiment de flou sur les perspectives économiques mondiales et, en tout premier lieu, sur le marché pétrolier.
Les pays OPEP ont-ils, aujourd’hui, les moyens de faire durablement augmenter le prix du baril, alors que certains pays, en particulier les Etats-Unis, ont commencé à exploiter leurs propres réserves pétrolières et que de nombreux pays diversifient leurs ressources en énergie, notamment dans le cadre de la transition énergétique et de la COP 21 ?
Il est intéressant d’observer que l’OPEP utilise toujours les mêmes recettes (annonce de réduction de production…), alors que le marché pétrolier a connu de profondes transformations structurelles. Ainsi, la révolution du pétrole de schiste aux Etats-Unis a considérablement flexibilisé le marché pétrolier. Désormais, toute diminution de production du cartel peut être compensée à courte échéance par une hausse de la production aux Etats-Unis. La chute des prix de près de 65 %, entre juin 2014 et décembre 2015, avait permis de réduire la production américaine de pétrole de schiste. En juillet 2016, cette dernière a ainsi atteint environ 4 mbj, soit une diminution de 15 % par rapport à son pic de mars 2015. Si l’accord est confirmé en novembre prochain, l’OPEP devra rester attentive à une possible reprise de la production américaine. En effet, des prix compris entre 45 et 55 $ le baril constituent une zone grise de reprise possible de l’activité aux Etats-Unis.
A plus long terme, les politiques de transition énergétique au niveau mondial risquent d’accélérer la substitution des énergies carbonées et, en premier lieu du pétrole, par d’autres sources énergétiques. Toutefois, ces processus restent ancrés dans le très long terme et le secteur des transports, grand consommateur de produits pétroliers, restera encore longtemps dépendant de l’or noir. Cependant, l’OPEP et les pays producteurs commencent à préparer leur après pétrole. Les Emirats Arabes Unis constituent l’exemple le plus avancé en matière de diversification. Pour l’OPEP, ces évolutions induisent également des changements structurels. Ainsi, le retour de l’Indonésie – un pays importateur net – et du Gabon au sein de l’OPEP sont sûrement le symbole d’un nouvel état d’esprit au sein du cartel. L’Organisation a conscience que son pouvoir d’influence est désormais limité dans un contexte d’abondance pétrolière et elle tend à opérer sa mue sur les marchés. Marqueur politique, géopolitique et économique des années 1970, l’OPEP pourrait chercher à moyen terme à devenir plus globale et, pourquoi pas, élargir son leadership en se positionnant comme une Agence de l’énergie des pays du sud…
Ne nous trompons pas, l’OPEP n’est pas morte, et tout comme les marchés pétroliers, elle se transforme !