17.12.2024
Donald Trump est-il d’abord le candidat des riches ?
Presse
7 septembre 2016
Qu’est-ce qui, dans leur programme économique, différencie Donald Trump et Hillary Clinton ?
Trump comme Clinton disent se soucier des plus faibles mais chacun accuse l’autre d’être au service des plus riches. La candidate démocrate promet un vaste plan d’investissement public dans les infrastructures et dans la transition énergétique. Elle envisage aussi d’augmenter le salaire minimum des agents fédéraux et d’inciter les Etats fédérés et les entreprises à faire de même. C’est une politique, modérée, de relance économique, dans laquelle s’inscrit également l’augmentation des dépenses pour l’éducation et la gratuité des études supérieures pour une partie des étudiants. Clinton est également favorable à une régularisation d’une partie des clandestins car elle argue que l’immigration crée de la richesse économique, de l’innovation.
Comme je l’explique en détail dans mon livre, Trump, de son côté, veut au contraire limiter une immigration légale choisie et un arrêt total de l’immigration clandestine pour, dit-il, sauver les emplois et préserver les salaires des Américains. Il souhaite limiter l’intervention de l’Etat fédéral dans la vie des entreprises, en particulier en matière écologique mais s’est lui aussi rangé à l’idée d’une augmentation du salaire minimum. Il promet de conserver Médicare — l’assurance-santé des plus de 65 ans — et Medicaid — l’assurance-santé des plus démunis —, mais sans dire comment les financer. C’est son projet protectionniste qui a fait couler beaucoup d’encre.
Miser sur son programme économique est-il la seule solution pour Donald Trump de remonter dans les sondages ?
L’écart entre Trump et Clinton s’est resserré ces derniers temps. Il est en moyenne de 5 points dans les sondages. La candidate démocrate ne parvient pas à creuser l’écart. Trump est même donné gagnant dans un récent sondage de CNN. Il va sans doute continuer ses messages incantatoires sur l’ensemble des thématiques de l’agenda mais, en effet, s’il veut « ratisser » plus large dans l’électorat de Sanders, il a tout intérêt à donner davantage de gages aux classes populaires. Par exemple en précisant de quelle manière il compte s’y prendre sur le salaire minimum. Car il se contente pour l’instant de dire que, pour y parvenir, il devra tout d’abord « redresser le pays » et faire revenir les entreprises qui se sont délocalisées. Il ajoute que ce sera aux États fédérés de décider d’une telle augmentation et en aucun cas à l’Etat fédéral. Ce qui est pour le moins flou et peu engageant.
Trump a pris acte des déceptions de la petite classe moyenne qui n’a pas bénéficié des fruits de la reprise économique. « Je suis la voix de ceux qui travaillent dur, mais qu’on n’écoute plus », a-t-il dit dans son discours d’investiture à Cleveland, le 21 juillet 2016. Or, en matière de lutte contre les inégalités de revenus, Donald Trump est face à une contradiction forte. D’un côté, il veut donner des gages à l’électorat populaire. De l’autre, il conserve un discours contre ce que les Républicains nomment « l’assistanat ». De plus, il prend garde à taire les conditions dans lesquelles ses employés peu qualifiés travaillent, par exemple dans les casinos de Las Vegas ou d’Atlantic City – salaires faibles, absence de couverture sociale, etc.
Simultanément, il ne doit pas (trop) perdre l’électorat traditionnel des entrepreneurs. D’où ses annonces contre la régulation économique et pour la défense des entreprises, notamment par une fiscalité favorable.
Qu’un candidat vienne du monde des affaires peut-il être un atout pour les Etats-Unis ?
Je ne pense pas que ce soit un atout particulier pour les Etats-Unis. Ce qui est sûr, c’est que le fait qu’il soit étranger au champ politique et qu’il mise sur le mythe de l’effort individuel et de l’enrichissement par le travail est un atout auprès de son électorat — bien qu’il essaie de faire croire que c’est un « self-made man », ce qui est faux, c’est un héritier. C’est la vision moralisatrice et protestante, très américaine, de l’entrepreneur-héros qui prend des risques.
Donald Trump propose une baisse généralisée des impôts. Est-ce ce qui peut le différencier de la présidence de Barack Obama ?
C’est en effet une promesse qui est très éloignée d’un programme démocrate, quoiqu’Obama n’ait pas pu s’attaquer comme il l’aurait voulu à la fiscalité des plus riches, en raison de l’opposition du Congrès républicain. Quoi qu’il en dise, Trump a un projet fiscal de droite très classique. Il se fonde sur la « théorie du ruissellement », selon laquelle la diminution des impôts des plus aisés libère de l’investissement et crée de la richesse, donc de la croissance, qui se répercute sur l’ensemble de la population. Bien entendu, si ce programme est appliqué, les budgets sociaux en seront inéluctablement affectés, mais aussi l’éducation et les transports publics.
Trump veut revenir sur les accords commerciaux avec le Mexique et le Canada notamment. Sa politique économique tend-elle vers le protectionnisme ?
Il promet clairement une politique protectionniste pour séduire les cols bleus, y compris chez les partisans de Sanders. Il veut renforcer les barrières douanières pour les produits manufacturés chinois (qu’il entend taxer à 45%), mais aussi mexicains (35%). Il envisage aussi de faire sortir les États-Unis de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC). Sur ce point, il s’éloigne du libéralisme orthodoxe.
Trump n’hésite pas non plus à remettre en cause de vieux accords commerciaux comme l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain), qui lient les États-Unis, le Canada et le Mexique depuis 1994 et qu’il a qualifié de « désastre ». Selon lui, l’ALENA doit être renégocié pour favoriser davantage les Etats-Unis.
Cette promesse de fermeture des frontière économique s’inscrit dans son storytelling de fermeture des frontières tout court (aux immigrés, aux musulmans, et donc aux produits chinois et mexicains).
C’est le mythe du repli sur soi, censé protéger l’Amérique et la rendre plus forte, alors qu’en réalité, isoler les Etats-Unis du commerce mondial ne fera que l’appauvrir (risque d’augmentation des prix, difficultés pour les entreprises d’exporter, etc.). La Chambre de commerce des États-Unis, proche du parti républicain, a d’ailleurs dit qu’elle ne soutiendrait pas cette politique. La personnalité de Mike Pence adoucit un peu l’image de Trump auprès des pro-free trade.
Donald Trump est favorable à une réduction de l’impôt sur les sociétés mais aussi sur les revenus des ménages, à la suppression de l’impôt sur les successions et à la déréglementation du secteur de l’énergie. C’est un vrai libéral ?
Marie-Cécile Naves : Oui, sur ce point, c’est un libéral, au sens français du terme. Trump prône une forte simplification fiscale : certes, il promet une réduction des niches fiscales, mais aussi le passage de sept à trois du nombre de tranches de l’impôt sur le revenu (ces trois nouveaux seuils seraient de 10, 20 et 25 %, la tranche la plus élevée est aujourd’hui au taux de 39,6 %). Il promet ainsi d’éliminer l’impôt fédéral pour 73 millions de foyers américains, mais seuls ceux qui le paient seront concernés, surtout les gros contribuables. Il souhaite aussi baisser le d’imposition sur les sociétés à 15 %, contre 35 % aujourd’hui. Trump prévoit que ces mesures conduiront à une croissance de 6 % annuels, soit le triple du taux actuel, ce qui est très ambitieux.
Il considère également, comme les climato-sceptiques du parti républicain dont il partage les vues, que l’écologie est une menace pour l’économie. Le court-termisme et le principe de dérégulation économique l’emportent. Il ne voit pas le potentiel de la croissance verte. Trump promet de déréguler encore le secteur pour exploiter au maximum les ressources présentes dans le sous-sol américain et rendre les États-Unis indépendants sur le plan énergétique. Il prétend aussi pouvoir relancer la construction de l’oléoduc Keystone XL – bloquée par Obama.
Comment compte-t-il contrebalancer cette baisse d’impôts dans le budget américain ?
Sur ce point, il ne dit mot, et c’est bien le problème.
Economiquement — et schématiquement —, Trump est-il le candidat des riches là où Hillary Clinton est la candidate des foyers plus modestes ?
Très schématiquement oui, mais surtout depuis que Clinton a repris à son compte des éléments du programme de Bernie Sanders : augmentation du salaire minimum, extension de la gratuité des études supérieures, etc. Selon le Tax Policy Center, un centre d’études indépendant, si le programme fiscal de Trump est mis en œuvre, les 1 % d’Américains les plus aisés économiseront 275 000 dollars en moyenne, contre 2 700 pour la classe moyenne. Mais Clinton mènera, si elle est élue, une politique centriste.
Propos recueillis par Isabelle Maximoff pour EcoMag