19.11.2024
Russie : des législatives aux enjeux « limités »
Interview
13 septembre 2016
La Russie traverse, depuis 2014, une crise économique profonde. La récession de 3,7% enregistrée l’an dernier, la chute de 10% des revenus réels de la population ou la dévaluation du rouble – qui a perdu près de la moitié de sa valeur face aux devises occidentales – illustrent ce choc. Pour autant, l’économie russe ne s’est pas effondrée comme on a pu le dire en Occident. Elle a même plutôt bien résisté au vu des défis auxquels elle a dû faire face, en particulier la chute des cours des hydrocarbures et les sanctions occidentales. Aujourd’hui, l’économie russe s’est adaptée à la « nouvelle réalité ». Le pays est peu endetté (12% du PIB) et dispose d’importantes réserves de change (environ 400 milliards de dollars). Pour 2016, on attend un recul situé entre 0,5% et 1%, puis un retour à une croissance d’environ 1,5% en 2017. Le risque est désormais plutôt celui d’une croissance durablement molle, insuffisante pour mener à bien la modernisation du pays et soutenir ses ambitions internationales. Aujourd’hui, l’économie russe se situe environ à son niveau de 2011 ; les effets de la crise devraient être effacés en 2019. Après « 10 glorieuses » (entre 1999 et 2008), le pays a connu une croissance moyenne de 7%, on peut donc parler d’une décennie perdue. La question est de savoir quels choix seront faits dans les prochains mois.
Le contexte politique est celui de la préparation du – probable – 4e mandat de Vladimir Poutine. Les élections législatives ne sont que la première étape d’un cycle électoral qui se conclura par les élections présidentielles de printemps 2018. Le phénomène le plus significatif est le renouvellement au sein de l’appareil d’Etat, illustré cet été par des départs et des nominations inattendus au niveau régional mais également au cœur du système (administration présidentielle, FSB, douanes). Cette rotation est la plus importante depuis 2007. A l’époque, Vladimir Poutine parachevait sa « verticale du pouvoir » en plaçant des hommes de confiance (issus pour la plupart du KGB et de la mairie de Saint-Pétersbourg). Aujourd’hui, il fait émerger une nouvelle génération de dirigeants qui l’accompagneront jusqu’en 2024 et qui gouverneront la Russie après son départ du Kremlin.
Pourquoi Vladimir Poutine a-t-il décidé d’avancer la date des élections législatives initialement prévues en décembre ?
Il y a eu beaucoup de spéculations à ce sujet. La décision a été prise l’année dernière, à un moment où les perspectives économiques étaient alarmantes. L’explication généralement admise est que le gouvernement russe a souhaité raccourcir la durée de la campagne électorale, réduite, de facto, à une quinzaine de jours au sortir des vacances d’été. Ce n’est, au demeurant, pas la seule priorité du Kremlin dans cette affaire. Il souhaite que le scrutin, à défaut d’être irréprochable, soit plus « présentable » que celui de 2011 dont, rappelons-le, la légitimité avait été contestée dans les rues de Moscou pendant de nombreuses semaines. D’où certains signes d’ouverture, comme la nomination d’Ella Pamfilova, une personnalité respectée y compris chez les adversaires de Poutine, à la tête de la Commission électorale centrale. Mais ces ajustements, qui n’allaient pas de soi au vu du « serrage de vis » à l’œuvre depuis 2012, s’inscrivent dans un jeu politique étroit, codifié, opaque. En Russie, les vrais débats ont lieu en coulisses, et les décisions importantes sont prises par un cercle restreint autour du président, le plus souvent hors des instances officielles (gouvernement, conseil de sécurité).
Quels sont les enjeux des élections législatives ? Pensez-vous que l’hégémonie quasi-totale de Russie unie, le parti de Vladimir Poutine, sur la vie politique russe peut être remise en cause ? Qui sont les autres partis composant la Douma ?
Les enjeux de ces élections sont limités, car la Douma n’a pas vraiment de pouvoirs. Le Parlement – Douma et Conseil de la Fédération – s’apparente plus à une courroie de transmission voire à une chambre d’enregistrement. Ces élections seront cependant l’occasion d’un renouvellement du personnel politique russe : de nombreux élus ne se représentent pas et le pouvoir cherche, tout comme dans l’appareil d’Etat, à faire émerger de nouvelles personnalités issues de la société civile, en tout cas de ses composantes jugées loyales.
Russie unie aura sans doute la majorité dans la prochaine mandature même si ses résultats seront sans doute moins bons qu’en 2011. Il faut savoir que les législatives sont organisées selon un mode de scrutin mixte : la moitié des députés est élue à la proportionnelle, les listes recueillant 5% au niveau national obtenant des sièges ; l’autre moitié est élue en circonscriptions au scrutin uninominal à un tour. Russie unie aura sans doute la majorité absolue, les autres partis se partageront les restes. Parmi eux, le Parti communiste, crédité de 17% dans les sondages, le Parti libéral-démocrate de Vladimir Jirinovski et Russie juste. Ces trois formations se disent d’opposition mais sont en réalité très dociles. Certes, il leur arrive de hausser la voix contre le gouvernement Medvedev – notamment sur les questions sociales – mais ils ne contestent en aucun cas le leadership de Vladimir Poutine. En politique étrangère, ces partis s’inscrivent dans le « consensus post-Crimée ». En d’autres termes, ils soutiennent la politique étrangère du Kremlin.
Quant à la vraie opposition, celle dite « hors système », elle est faible, divisée et sous pression. Ses chances de faire élire des candidats sont très limitées, peut-être un ou deux sièges à Moscou et Saint-Pétersbourg.
Depuis l’annexion de la Crimée, la Russie est très incisive sur la scène internationale. Quelle est la stratégie du Kremlin en termes de politique étrangère ? Est-ce aussi un enjeu de ces élections ?
La politique extérieure de la Russie ne représente pas un enjeu lors des élections du 18 septembre dans la mesure où la Douma n’a aucune prérogative en la matière. Mais ces questions sont tout de même importantes car elles font partie du débat politique et le pouvoir les utilise pour mettre en avant ses succès.
En termes de stratégie, la Russie cherche avant tout, me semble-t-il, à obtenir de la considération de la part des Occidentaux. Elle veut être traitée d’égale à égale et voir reconnus ce qu’elle considère comme ses intérêts légitimes. Elle est en passe d’obtenir ce statut d’acteur incontournable dans la crise syrienne. Mais pas au-delà, que ce soit en ex-URSS ou en Europe. Pour l’instant en tout cas.
L’annexion de la Crimée, en 2014, a clos une parenthèse historique de 30 ans ouverte avec la perestroïka. Au-delà des brouilles et des différends, on estimait généralement à Moscou et dans les capitales occidentales que les deux Europe avaient vocation à converger (dans les faits, cela signifiait que la Russie allait, tôt ou tard, adopter les standards ouest-européens). C’est cette perspective qui a disparu depuis deux ans. L’objectif de la Russie n’est plus de s’intégrer dans un grand ensemble occidental, mais de s’affirmer comme une grande puissance qui propose un autre modèle, conservateur, axé autour de valeurs telles que la souveraineté ou l’équilibre des forces. Cela constitue un tournant majeur et la situation n’a pas, selon moi, vocation à changer dans les années à venir.