ANALYSES

Birmanie : une conférence pour la paix bien difficile à tenir

Interview
2 septembre 2016
Le point de vue de Olivier Guillard
Depuis son indépendance en 1948, la Birmanie est minée par les rivalités et les conflits opposant le pouvoir central (et sa puissante armée, la tatmadaw) à une galaxie de groupes ethniques armés. Comment expliquer cet état de fait ?

La Birmanie contemporaine, point de jointure atypique entre les mondes indien, chinois et du sud-est asiatique, se lit depuis 2011, lorsque la junte militaire céda d’elle-même le pouvoir (qu’elle accaparait depuis 1962) et engagea une transition graduelle vers la démocratie et les réformes, et plus encore depuis le printemps 2016, dans une perspective démocratique.
Animé du souci de réconcilier la nation et de mettre un terme pacifique (et équitable) à près de soixante-dix années de conflit opposant une kyrielle de groupes ethniques armés (représentant des minorités ethniques souvent marginalisées, volontairement ‘’oubliées’’ sur les pourtours frontaliers – de la Chine, de la Thaïlande, de l’Inde ou du Bangladesh – du pays) aux forces régulières nationales, le gouvernement civil d’Aung San Suu Kyi (Ligue Nationale pour la Démocratie ; LND) s’attèle depuis son installation (avril 2016) à la tâche ; une entreprise complexe, mêlant des acteurs que tout ou presque oppose, alors même que se poursuivent, à l’heure où ces lignes sont rédigées, accrochages, escarmouches et bombardements sur divers fronts (Etats Kachin et Shan, principalement). Un comble alors même que la plus grand-messe dédiée aux négociations de paix jamais organisée sur le sol birman accueille entre le 31 août et le 4 septembre, dans l’austère capitale administrative Naypyidaw, près de 2000 invités et participants…
La population aspire dans sa majorité à la paix ; les minorités ethniques (un tiers de la population totale) sont les victimes collatérales de ces affrontements sans fin. Pourtant, ces dernières, leurs représentants politiques et leurs bras armés (guérillas ethniques), ne sont pas disposés à simplement déposer les armes, fut-ce sur l’autel de la démocratie renaissante ; les aspirations en un futur fédéral qui satisferait leurs demandes de relative autonomie administrative, d’égalité de statut et une répartition équitable des bénéfices d’un développement économique local (en ces régions généralement riches en matières premières) doivent prioritairement être pris en compte. Sans quoi, cette impasse ne demanderait qu’à se prolonger indéfiniment.

Le gouvernement avec à sa tête Aung San Suu Kyi, l’armée et une quinzaine de groupes rebelles sont réunis depuis mercredi 31 août pour essayer de mettre un terme à 70 ans de guerre civile. Mais certains représentants ont déjà claqué la porte. Quels sont les enjeux de ces pourparlers ? La situation a-t-elle une chance d’évoluer ?

Très attendue, l’Union Peace Conference (ou 21st Panglong Union Peace Conference) réunissant actuellement la totalité du spectre des acteurs concernés par les enjeux de paix et de réconciliation nationale (gouvernement, armée, groupes ethniques armés, société civile, partis politiques, diplomates étrangers, hôtes d’honneur, etc.) figure tout en haut de l’agenda politique du premier gouvernement démocratique birman depuis le début des années soixante ; c’est peu dire que les attentes populaires, dans ce contexte politique post-junte encore inédit, encore impensable il y a six-sept ans, sont immenses ; et déraisonnablement élevées, probablement.
La conférence en cours a avant tout vocation à créer de la confiance entre les diverses pièces de ce puzzle instable, entre la toute puissante institution militaire – laquelle conserve malgré l’ambiance pro-démocratique du moment, des prérogatives considérables, sur lesquelles le gouvernement civil d’Aung San Suu Kyi a peu ou prou de prise – et la vingtaine de groupes ethniques armés, dont seuls 8 sur 21 ont à ce jour paraphé avec le gouvernement (de l’administration précédente) un accord national de cessez-le-feu (une terminologie bien avantageuse pour un accord si partiel…), à l’automne dernier.
Elle entend également démontrer la bonne volonté et les dispositions des uns et des autres, constituer un ‘’premier pas’’ à partir duquel la prochaine étape, le complexe et laborieux Dialogue Politique, pourra s’esquisser, sous le jour bienveillant d’une administration civile (nettement) plus en cours auprès des minorités ethniques, même si ces dernières émettent quelques craintes quant à une possible marginalisation, y compris de la part d’un gouvernement démocratique ayant comme figure de proue l’emblématique Aung San Suu Kyi.

Les Rohingyas, une minorité musulmane de Birmanie, sont le peuple le plus persécuté au monde selon l’ONU. Quelle est actuellement la situation pour cette minorité ? Le gouvernement se préoccupe-t-il également de leur sort ?

Cette thématique birmane taboue, à l’évocation de laquelle se hérisse immédiatement une majorité de Birmans – à plus forte raison ceux sensibles au discours nationaliste – bouddhiste renaissant -, n’est pas à l’ordre du jour des cinq journées de conférence évoqués ci-dessus ; cela signifie déjà quelque chose…
Cette minorité (non-officiellement reconnue par les autorités) d’environ un million d’individus (le dernier recensement national effectué en 2014 ne les a pas pris en compte) concentrés dans des conditions fort difficiles dans le volatile Etat de l’Arakan (ouest du pays, frontalier du Bangladesh) continue à souffrir un quotidien très ténu. N’était-ce le soutien extérieur (capitales occidentales et musulmanes ; structures de plaidoyer œuvrant à la protection des droits de l’homme ; agences onusiennes) et la pression exercée de diverses manières (médias ; déclarations politiques ; mises en garde), les Rohingyas connaitraient probablement une situation plus critique encore.
Tout démocratique soit-il et en dépit de son fort soutien populaire, le gouvernement actuel et sa principale cheville ouvrière, l’omniprésente Aung San Suu Kyi, ne peuvent se permettre de s’aliéner l’opinion – très désinvolte si ce n’est sévère à l’endroit de cette minorité, désignée généralement ‘’bengalie’’ – et divers autres acteurs influents du panorama politique contemporain, à commencer par l’armée (peu empathique à son sujet) et d’influents mouvements nationalistes bouddhistes très promptes à s’enflammer dès lors que la thématique, sous un angle ou sous un autre, revient dans les débats. La Dame de Rangoun le sait bien ; la gestion du brûlant ‘’dossier Rohingya’’ constitue un des principaux écueils, pièges, attendant son administration ; lequel requerra toute son expérience et des trésors de précaution pour ne pas hypothéquer ses autres projets nationaux.
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