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Brésil, Dilma Rousseff destituée : « Ce fut avant tout un procès politique »

Presse
31 août 2016
La procédure de destitution de Dilma Rousseff est très contestée. S’agit-il d’un coup d’Etat ? Quel regard portez-vous ?

Le procès qui est fait à Dilma Rousseff est avant tout un procès politique. La justice aurait dû être saisie, ce sont des sénateurs qui vont désormais jouer le rôle de juges… En réalité, il s’agit d’un changement de majorité au sein du Parlement, qui ne s’est pas manifesté par des élections mais par un renversement pur et simple de la présidente en place. Le système brésilien, présidentialiste, est fait d’une telle manière qu’il n’y a pas de chef de gouvernement, pas de Premier ministre que les assemblées législatives pourraient désavouer.
Dans cette configuration, un changement d’orientation politique est donc censé se matérialiser par des élections. Mais les députés et les sénateurs ne souhaitant pas que cela ait lieu, l’option choisie a été de chercher dans la Constitution l’article qui allait permettre ce changement sans élections.
C’est finalement en se fondant sur l’article permettant d’accuser un président de « crime de responsabilité », en l’occurrence sur la question des comptes de l’Etat, que l’assemblée a pu mettre en place cette procédure. Ses raisons sont donc nettement plus politiques qu’éthiques.

Cette destitution semble donc fondée sur des raisons purement politiciennes, à la limite de la légalité ?

C’est d’ailleurs ce qu’a reproché ouvertement la présidente Dilma Rousseff au Sénat qui l’interrogeait le 29 août. Evoquant un succès de la procédure de destitution, elle a qualifié cette éventualité d’un « coup d’Etat parlementaire ». Le cas échéant, elle a annoncé vouloir saisir le Tribunal suprême fédéral brésilien, pour vérifier la légalité d’une telle démarche, demandant à être jugée uniquement sur ce « crime de responsabilité ».
Elle a également profité de l’occasion pour pointer du doigt un paradoxe: elle allait être condamnée dans ce procès express par des hommes actuellement mis en examen pour corruption, alors même que les procédures ouvertes contre eux sont au point mort.

Faut-il y voir une faille dans la justice brésilienne ?

Cela pose en tout cas question quant à son fonctionnement. On note que là où les affaires Lula ou Dilma Rousseff sont rapidement expédiées, d’autres responsables de l’opposition s’en sont sortent mieux. Ainsi, le comportement du juge Sérgio Moro avait posé problème lorsqu’il avait ordonné aux forces de l’ordre de se rendre chez Lula à 6 heures du matin, sans même lui avoir auparavant transmis une convocation… Il avait d’ailleurs été suspendu de cette affaire par le Tribunal suprême fédéral.
Le rôle des médias peut aussi interroger. Ils sont majoritairement dans l’opposition au Parti des Travailleurs (PT) de Lula et Dilma Rousseff. Tant et si bien que même si toutes les mises en examens et enquêtes sont connues, ce sont celles qui portent sur les cadres du PT qui seront les plus médiatisées, entraînant une sorte de condamnation par avance des personnes concernées.

Quel est le sentiment des Brésiliens à propos de toute cette procédure de destitution ?

A vrai dire, il n’y avait pas vraiment d’attente particulière de la part des Brésiliens à la veille de la décision, le dénouement de cette affaire étant relativement certain. Ce phénomène s’était déjà retrouvé dans la première partie de l’année: les manifestants étaient alors des Brésiliens qui soutenaient le PT ou d’autres qui s’y opposaient.
Mais le reste était détaché de la politique, comme désintéressé. C’est la tendance générale au Brésil : il y a une lassitude qui s’est installée. Les Brésiliens ont tendance à replier sur eux-mêmes et sur leurs problèmes, causés par la situation globale de crise économique et politique.

L’héritage du Parti des Travailleurs, au pouvoir depuis 2002, est-il remis en cause par le départ de la présidente ?

La nouvelle majorité favorise l’équilibre budgétaire. Il va donc falloir couper dans les dépenses, puisque la nouvelle majorité a réfuté l’idée d’une hausse de la fiscalité émise par l’ancienne présidente.
Cela représente des coupes probables dans les secteurs décrétés comme prioritaires par les précédents gouvernements: les logements sociaux, les bourses étudiantes, les aides sociales… On peut penser qu’il va y avoir une réelle remise en cause des acquis sociaux défendus par Lula, puis Rousseff, depuis l’arrivée au pouvoir du PT.
Mais une forme de résistance à cette remise en cause est possible. Les anciens pauvres qui ont bénéficié des politiques du PT ne vont pas laisser la nouvelle majorité supprimer toutes ces mesures. Une autre partie de la population pourrait aussi s’y opposer: les nouveaux étudiants, qui n’existaient pas il y a une dizaine d’années, qui sont dotés de nouveaux outils théoriques et idéologiques et qui entrent aujourd’hui en conflit avec les anciennes classes moyennes.

Dans ce contexte, quelles sont les perspectives pour les élections à venir, d’abord les municipales d’octobre puis les présidentielles de 2018 ?

Les municipales d’octobre vont donner le premier indice d’une probable érosion de la participation, signe de la désaffection des Brésiliens pour le politique. Plus largement, il faut rappeler que le système des partis politiques est traditionnellement assez faible au Brésil, mis à part pour l’élection présidentielle qui voit deux candidats s’opposer dans un second tour.
Le schéma des élections législatives, lui, est plus favorable à une dispersion des voix et des partis (il y en a actuellement près de 25 dans les deux chambres). Ce système rend nécessaire des coalitions et des arrangements ouvrant la porte à toutes sortes d’abus.
Puisque le problème de la corruption repose sur les institutions politiques elles-mêmes, leur réforme doit être au cœur du programme des prochains candidats, notamment du PT. En 2018, cela sera l’un des principaux enjeux de l’élection: une réforme réelle ou non des institutions. Mais cela suppose déjà une remise sur les rails du PT, qui sort évidemment affaibli de cette destitution. Il doit remobiliser son électorat, qui, s’il est sociologiquement majoritaire au Brésil, est démoralisé et désabusé.

L’expérience du PT au pouvoir se solde-t-elle donc par un échec ?

En fait, Lula, arrivé au pouvoir en 2002, a pensé pouvoir faire l’économie d’une réforme politique supposant d’affronter un puissant réseau de pouvoirs locaux et particuliers. Pendant ses deux mandats, Lula a pu faire tourner la machine politique dans la mesure où la croissance était au rendez-vous, portée par sa politique keynésienne d’augmentation du pouvoir d’achat des plus défavorisés.
Mais en faisant cela, il n’a eu qu’une fausse impression que le changement s’était fait de manière indolore. C’était une illusion: le PT est rentré dans le système, avec tous les travers qu’il représente. Le parti est devenu comme les autres et a déçu son électorat.
La crise, postérieure à l’année 2010, a été marquée par l’épuisement d’un modèle fondé sur la stimulation de la consommation des plus pauvres. La perpétuation des politiques sociales supposait un effort fiscal refusé par les patrons brésiliens et les classes moyennes traditionnelles. Le divorce politique était inscrit dans les contradictions de la politique suivie jusque-là, d’autant plus que le/la président(e) n’avait pas le contrôle des dynamiques parlementaires, faute d’avoir engagé la bataille de la réforme politique.
Un changement des institutions politiques est désormais plus que nécessaire pour sortir le Brésil de l’impasse de son système politique, ouvert à la corruption.

Mais qui pourrait porter un tel changement ?

En tout cas, il est sûr que Dilma Rousseff ne pourra pas assurer ce rôle. Sa destitution entraîne pour elle une impossibilité de revenir à la politique dans les 8 années à venir. Lula, désormais conscient qu’il ne peut pas faire sans une réforme des institutions, pourrait tenter de l’incarner en 2018. Mais cela suppose que les procédures judiciaires qui le concernent ne le fassent pas tomber à son tour – d’autant plus que la justice a l’air d’aller plus vite sur son cas que su d’autres. Et il devrait de toute façon remobiliser son électorat.
De l’autre côté du spectre politique, difficile d’imaginer un Michel Temer, l’ancien vice-président ayant remplacé Dilma Rousseff, défendeur d’une réforme des institutions qu’il utilise à son avantage. De plus, il n’est pas aimé par l’opinion publique, étant lui-même (tout comme d’autres membres de son gouvernement) mis en examen pour des cas de corruption. Cela dit, les procédures judiciaires traînent plus du côté de cette nouvelle majorité…
Toujours est-il qu’il est aujourd’hui difficile de voir qui pourrait représenter cette réforme politique.

Propos recueillis par Martin Lavielle
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