17.12.2024
Les jeux sont faits
Presse
5 août 2016
Le « comme toujours », on le lit dans les communiqués diffusés par les autorités. Le COI, le Comité olympique international, a publié le texte attendu en ce genre de circonstances. Les installations sportives ont été livrées comme prévu. Les investissements en transports publics, tram et ligne 4 du métro vont bien fonctionner à l’heure dite. La sécurité est garantie. L’armée et la police sont dans les airs, sur mer et dans les zones urbaines sensibles. La délégation française va bénéficier d’une protection renforcée. Place donc à la fête sportive, au divertissement, qui permet de faire une pause bienvenue pour mettre de côté au Brésil comme ailleurs soucis et préoccupations. 70.000 spectateurs sont attendus pour la soirée d’ouverture au stade mythique de Maracana. Plusieurs millions de téléspectateurs suivront à distance la cérémonie d’ouverture, selon les informations communiquées par les personnes compétentes.
En coulisse, le moral des participants directs est entre variable et au bas du baromètre. Les premières délégations étrangères arrivées dans le village olympique ont fait la difficile expérience de l’insécurité. Insécurité physique pour les Australiens, qui relogés après un incendie, se sont fait dérober maillots anti-zyka et ordinateurs. Idem pour les journalistes chinois qui dès les premiers pas dans l’aéroport Carlos Jobim se sont fait voler leur matériel. Insécurité physique également, mais sanitaire celle-là, pour les premiers sportifs ayant posé leurs bateaux, leurs voiles et leurs rames, dans les eaux usées de la Baie de Guanabara. Plus que le zyka, les eaux merveilleuses du haut des mornes, non traitées faute de budget, sont hautement dangereuses pour qui y plongerait, par inadvertance, un doigt. Enfin, cerise sur ce gâteau olympique à la grimace, la télévision NBC des Etats-Unis gros investisseur, a tapé du poing sur la table. Le payeur doit, selon NBC, pouvoir imposer sa loi. Les jeux doivent oublier le portugais, et suivre une nomenclature anglo-américaine.
Côté brésilien, les gens ont la tête ailleurs. Les JO au mieux sont perçus comme un surcroît de difficultés dans un quotidien qui en est saturé. La ville est embouteillée par d’interminables travaux. Le coût de la vie a explosé. Plus de 77.000 personnes ont été expulsées de leurs maisons par les opérations immobilières des JO. Les travaux réalisés ont été accompagnés de mauvais gestes politiques et de graves malfaçons. Le village olympique sera recyclé en appartements de luxe. Il ne sera pas affecté à des logements sociaux, comme cela est l’usage. La piste cyclable vitrine de bord de mer s’est partiellement effondrée provoquant la mort de deux personnes. Les travaux avaient été effectués par une entreprise proche d’un élu. L’insécurité était et reste chronique. Moins que l’Etat islamique la menace est d’origine locale. La délinquance est l’une des plus élevées au monde. La ville « vit » au rythme de 320 vols quotidiens. Qui plus est, cette violence est hautement déstabilisante. En 2015 la police de Rio a tué selon une ONG, 645 personnes. La crise économique et sociale a plutôt détérioré la statistique. Le 3 août en urgence, à deux jours des JO, le gouvernement fédéral a été contraint d’envoyer 1200 militaires dans l’Etat du Rio Grande du Nord, mis en coupe réglée et violente par des bandes organisées.
Le président intérimaire, Michel Temer, fera une très brève apparition pour la cérémonie d’ouverture, par crainte des sifflets. Président non élu, arrivé en responsabilité par défaut, il est contesté par l’écrasante majorité des Brésiliens. Il ne pourra pas bénéficier de la présence de quelques chefs d’Etat étrangers venus assister à la cérémonie d’ouverture pour légitimer a posteriori une prise de pouvoir démocratiquement acrobatique. La présidente en exercice, Dilma Rousseff, écartée de toute responsabilité effective, ne fera pas le déplacement. Pas plus d’ailleurs que son prédécesseur Lula da Silva, paradoxalement à l’origine de la tenue des jeux à Rio. Le pays est en attente crispée de l’ultime décision du Sénat, le 29 août, visant à destituer la présidente élue en 2014. Ces jours-ci et les prochaines semaines, les Brésiliens sont appelés à manifester. Non pas leur enthousiasme supposé pour le sport. 60% des Brésiliens ne voient rien de positif dans les JO. Non. Ils sont invités à participer à des manifestations pour ou contre la destitution de la présidente élue en 2014, Dilma Rousseff. 52% des Brésiliens selon un sondage, condamnent comme antidémocratique le processus de destitution, et souhaitent de nouvelles élections pour remettre la démocratie sur les rails qu’elle n’aurait jamais dû quitter.
Les Collectifs de mécontents, expropriés par les JO, ou se considérant victimes de la flambée des prix, liés à cette spectaculaire manifestation médiatico-sportive, alors que le pays traverse un grand moment de difficultés économiques et sociales, ont programmé conférences de presse, manifestations et marches dans les rues de Rio. Le jour « J » le 5 août, à 11h, un « Front du peuple sans peur » invite à protester devant le Copacabana Palace, luxueux établissement hôtelier de la plage mythique de Rio. A 14h ils seront relayés par un collectif contre les jeux de l’exclusion. Le MST, le Mouvement des sans terre a également annoncé qu’il allait réactiver ses actions revendicatives.
Les JO de Rio sont des JO de crise. Le pays a hérité d’un bébé fabriqué en 2009, année d’optimisme financier, économique, politique et diplomatique. Le panorama est bien différent aujourd’hui. Les JO 2016, sont révélateurs de la crise globale, économique et démocratique, qui bouscule le Brésil depuis quelques mois. La faillite financière de l’Etat de Rio, le 17 juin, à quelques jours de l’ouverture des Jeux en témoigne. La ville contrainte par les circonstances est incapable de jouer sur le levier olympique pour actualiser son développement. Les JO sont les JO de Barra de Tijuca, le quartier des nouveaux riches. Ses résidents, déjà bien dotés, auront gagné dans l’aventure une Cité de la musique, signée Portzamparc, et une liaison métro directe avec le centre historique de la ville. Ces jeux quelque part sont les révélateurs de la crise d’un modèle censé combiner de façon harmonieuse, fête sportive universelle, ambitions nationalistes et intérêts médiatiques et mercantiles. Ils cumulent de façon caricaturale selon Jules Boykoff, éminent universitaire de l’université de Washington, ancien international de football, « privilèges pour les plus riches, expulsion de leurs lieux de vie pour les plus pauvres, militarisation de l’espace public ».