14.11.2024
Ouverture des JO de Rio : ces 4 leçons géopolitiques que les jeux
Presse
6 août 2016
Pascal Boniface : On a déjà pu constater les limites de la puissance du Brésil bien avant les Jeux olympiques, à travers notamment la crise politique et économique dans laquelle le pays est plongé depuis trois ans. Le fait que la corruption soit un phénomène de grande ampleur au Brésil a été connu de tous après la procédure de destitution de Dilma Roussef, la mise en cause de Lula et la récession économique. Néanmoins, les JO ont pu révéler l’impréparation du pays, ainsi que l’influence de la corruption sur l’organisation. Le fait que cela soit connu désormais à l’étranger pourrait contribuer à ce que les choses changent, à travers notamment la mise en œuvre de réformes indispensables. Dans ces conditions, il est sûr que le Brésil triomphera moins de ces JO que ce que le pays aurait pu espérer lorsqu’il s’est vu attribuer l’organisation de l’événement en 2009. Toutefois, le Brésil sera au centre du monde pendant deux semaines grâce à cet événement, et je pense que cela permettra de véhiculer une image plutôt positive du pays, à travers notamment la diffusion des formidables paysages de Rio, ce qui pourrait donner envie aux gens de s’y rendre. Même si tout n’est pas prêt – comme c’est souvent le cas au Brésil, mais également dans le cadre d’autres olympiades – les choses devraient bien se dérouler pour cette ouverture.
Carole Gomez : Cela constituait véritablement l’objectif de Lula au moment de l’attribution des Jeux à la ville en 2009. Les raisons pour lesquelles le Brésil avait présenté sa candidature résidaient alors notamment dans cette volonté de confirmer la place du Brésil sur la scène internationale sportive, mais également pour confirmer ce statut de puissance émergente, pour ne pas dire émergée. Aujourd’hui, la situation du pays est différente puisque le Brésil fait face à une crise économique majeure. A cela s’ajoutent les inquiétudes sanitaires et sécuritaires autour de l’évènement. Ainsi, le Brésil n’est pas dans les meilleures conditions aujourd’hui pour accueillir cet évènement. En termes de retombées économiques, ce qui est sûr, c’est que le Brésil – avant même que la cérémonie d’ouverture ait eue lieu – n’attend qu’une chose : que ces jeux olympiques et paralympiques soient finis pour pouvoir pousser un « ouf » de soulagement ; car ces retombées s’annoncent moindre que ce qui était attendu. Les estimations actuelles tournent autour de 500 000 visiteurs. Par ailleurs, ce type d’évènement focalise l’attention, pendant plusieurs semaines, sur le pays, sur son dynamisme mais également sur un certain nombre de problèmes. On peut notamment se demander si l’on aurait été autant informés des manifestations importantes survenues au Brésil en juin 2013 en marge de la Coupe des confédérations et de la Coupe du monde 2014 si ces deux évènements sportifs n’avait pas eu lieu. Il est indéniable que les affaires de corruption ayant entaché l’organisation des Jeux ont révélé les limites de la puissance brésilienne. Toutefois, ce problème n’est pas nouveau. La multiplication des appels d’offre et des constructions d’infrastructures qu’il a pu y avoir est directement liée à cette question là. Cette multiplication, et la corruption qu’elle a suscitée, sont sans doute la conséquence de cette volonté d’affirmer, pour le Brésil, sa puissance sur la scène internationale sportive. Or aujourd’hui, on se retrouve avec un certain nombre d’infrastructures totalement inutiles, ce qu’on avait déjà pu observer pour la Coupe du monde.
Par le passé, d’autres olympiades ont été entachées par des affaires de corruption : on peut notamment penser aux JO de Sotchi. Ces affaires fragilisent davantage l’instance des Jeux olympiques. Celle-ci va devoir agir rapidement sur ces questions là pour ne pas dégrader encore plus l’image des Jeux et impacter leur déroulé.
À plusieurs reprises, l’URSS a été suspectée de dopage lors des JO. La Russie semble poursuivre ce que l’on pourrait qualifier de « tradition soviétique », comme le révèle le dernier scandale en date impliquant le pays. Pour quelles raisons ?
Carole Gomez : Je ne pense pas que l’expression de « tradition soviétique » convienne totalement. A ce propos, un point historique est nécessaire. Dans la Russie tsariste, le sport était considéré comme une activité bourgeoise. Après la révolution d’octobre 1917 et l’instauration de l’URSS, le sport n’a pas du tout été mis en avant, bien au contraire : les dirigeants pensaient que le sport n’était pas du tout important pour l’homme soviétique dont ils étaient en train de bâtir le modèle. Puis, au fur et à mesure, l’URSS a fini par comprendre l’intérêt que pouvait revêtir le sport en ce sens qu’il peut aider à fédérer et à améliorer la santé des hommes et des femmes qui le pratiquent. La première participation de l’URSS ne date que de 1956 : les Soviétiques ont voulu retarder leur participation aux JO pour ne pas paraître ridicule sur la scène internationale et pouvoir ainsi envoyer des athlètes performants et atteindre le sommet du classement des médailles. Aujourd’hui, les scandales de dopage impliquant la Russie qui ont été révélés s’inscrivent dans une double logique : la première, d’après le rapport McLaren, témoigne d’une volonté de la Russie de mettre en place un dopage d’Etat après les Jeux olympiques de Vancouver où le pays s’était retrouvé aux alentours de la 14ème place, alors qu’il était traditionnellement habitué aux premières places du podium. Ces performances ont été jugées intolérables par le Kremlin qui a eu la volonté de remettre en avant les performances russes, et ce donc grâce au dopage. La deuxième logique réside dans le fait que, depuis son arrivée au pouvoir, Vladimir Poutine a fait du sport un moyen d’afficher la puissance de la Russie sur la scène internationale. En effet, cela permet de montrer à la fois le dynamisme d’une population, avec une dimension nationaliste très forte. A travers le sport, il est ainsi possible de réaffirmer les caractéristiques de l’homme et de la femme russes. La dimension comparative entre les sportifs est importante : il s’agit de montrer qu’on est meilleur que l’autre, qu’on a reçu une meilleure formation, etc.
Pascal Boniface : Comme il y avait un dopage d’État en URSS, on retrouve cette caractéristique dans la Russie actuelle. D’une manière générale, on peut dire que chaque pays respecte ses traditions politico-économiques en matière de dopage. Dans le cas des États-Unis par exemple, c’est à un dopage privé auquel nous faisons face. Le cas de la Russie est différent : il s’agit d’un des rares pays où l’organisation du dopage se fait au niveau étatique ; le Kenya est également suspecté de cela. Pour Poutine, la révélation de ce scandale et ses conséquences sont un revers, dans la mesure où le dopage était réalisé afin de grandir la stature sportive de la Russie ; or là, cela est totalement contre-productif, puisqu’au lieu de s’enorgueillir de bons résultats, on va avoir l’image d’une Russie qui a triché. Sur le plan intérieur, en revanche, Poutine communique sur le complot occidental et américain dont l’objectif est de mettre en cause les réussites de la Russie. Une communication qui pourra convaincre un certain nombre de Russes mais certainement pas la communauté internationale.
Comment se positionne la Chine à l’égard des JO ? Est-elle/Serait-elle tentée d’en faire la même utilisation politique que l’URSS en son temps ?
Pascal Boniface : Comme les États-Unis et la France, la Chine essaye d’avoir le plus de médailles possibles pour montrer aux yeux de tous la bonne santé du pays, pour fédérer en interne la société. Ce qui change néanmoins avec la Chine, c’est l’ampleur du pays et la nature du régime. C’est également le fait que la Chine, pendant très longtemps, voulait se tenir à l’écart des Jeux qu’elle considérait comme des jeux bourgeois. De même que la Chine est entrée dans l’OMC et dans la mondialisation, elle est également entrée dans le sport mondialisé. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, la même année, Pékin se voyait attribuer l’organisation des jeux et entrait à l’OMC. La Chine souhaite montrer que son système est performant parce que ses sportifs réussissent ; elle espère également fédérer sa population autour d’un projet national par cette réussite. Cette envie est commune à tous les pays et va au-delà de la considération du régime politique.
Carole Gomez : La mise en œuvre de la diplomatie sportive chinoise a commencé depuis quelques années maintenant. Les ressorts de cette diplomatie sont les suivants : accueillir un certain nombre de compétitions sportives internationales ; faire des athlètes chinois des sportifs de premier plan ce qui explique la multiplication des centres d’entraînement d’excellence ; attirer des entraineurs européens et américains dans ces centres d’entraînement, comme cela a pu être le cas récemment avec des maîtres d’escrime. Ainsi, l’utilisation du sport comme expression de sa puissance n’est pas quelque chose de nouveau pour la Chine, d’autant plus que cela s’inscrit dans une logique de long terme comme en témoigne l’accueil par le pays des Jeux olympiques d’hiver en 2022.
Les États, et notamment les pays occidentaux, se soucient-ils encore des résultats aux épreuves relativement à la notion de « puissance » ?
Carole Gomez : Indéniablement, oui. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que la première chose que l’on regarde à la fin des Jeux olympiques, c’est le tableau des médailles. Cela peut paraître, de prime abord, tout à fait anecdotique, alors que cela renvoie à la notion de « comparaison » entre Etats afin de savoir quelle a été la première nation au classement. Lors des JO de Pékin en 2008, il y avait eu quelques tensions entre les Etats-Unis et la Chine pour savoir lequel des deux pays allait finir premier, dans la mesure où l’un était premier en nombre total de médailles et l’autre premier en nombre de médailles d’or. Cela traduit bien l’état d’esprit qui règne pendant les JO : le sport, c’est la poursuite de la politique par d’autres moyens. Le sport n’est donc pas apolitique comme certains aimeraient le croire. Par ailleurs, le vocabulaire sportif (« attaque, « défaite », « défense », etc.) peut renvoyer au vocabulaire guerrier. Pour résumer, le sport, c’est une opposition pacifique entre plusieurs pays sur un autre terrain que celui militaire.
Pascal Boniface : Absolument. D’ailleurs le fait que le président Hollande ait fait le déplacement jusqu’à Rio le montre. Chaque médaillé devrait recevoir les félicitations du chef de son État. Le fait de vouloir surfer sur la popularité des sportifs est un phénomène global, mondial, qui transcende à la fois les différences continentales et politiques. Un champion médaillé (re)donne le moral au pays qu’il représente.
Propos recueillis par Thomas Sila