14.11.2024
La Russie à Rio : un scénario de plus en plus improbable ?
Interview
22 juillet 2016
Cette décision constitue un nouveau rebondissement dans le scandale de dopage qui touche le sport russe, et notamment sa fédération d’athlétisme. Le point de départ remonte à la diffusion à l’été 2015 d’un documentaire allemand, basé sur des témoignages et démontrant l’existence d’un système de dopage organisé au sein de l’athlétisme russe, impliquant le pouvoir et les services secrets. Suite à ces révélations, l’Agence mondiale antidopage (AMA) avait constitué une commission d’enquête chargée de faire la lumière sur cette affaire. En novembre 2015, puis en janvier 2016, cette commission avait mis en avant les pratiques de dopage au sein du sport russe, tout en citant également plusieurs autres pays, et avait mis en évidence l’importante corruption qui régnait au sein de la fédération russe d’athlétisme.
La fédération internationale d’athlétisme (IAAF) avait alors interdit aux athlètes russes de participer à des compétitions internationales organisées sous son égide. C’est précisément sur cette décision que le TAS devait se prononcer. En donnant raison à l’IAAF, le TAS confirme donc la non-venue des athlètes russes aux Jeux de Rio qui se dérouleront du 5 au 21 août, et du 7 au 18 septembre pour les Jeux paralympiques. Toutefois, une possibilité est envisagée par le TAS, puisqu’il « laisse la possibilité au Comité olympique russe de sélectionner […] les athlètes qui remplissent les critères et sont éligibles pour concours selon le règlement de l’IAAF ».
Si la question de l’athlétisme semble être scellée par le TAS, le sort des autres disciplines n’est pas encore déterminé. Selon le rapport McLaren, près de 30 sports, dont une vingtaine de disciplines olympiques, semblent être concernés par le dopage, allant de l’haltérophilie à la lutte en passant par le cyclisme. Suite à la publication de ce rapport, une réaction du CIO était attendue. Afin d’envisager l’ensemble des possibilités légales, le CIO a souhaité retarder sa décision et devrait se prononcer dans les jours qui viennent sur la possible interdiction totale des Russes aux Jeux. L’instance olympique se trouve donc dans une position délicate : elle devra prendre en considération à la fois l’équilibre entre punition collective et justice individuelle (c’est-à-dire punir ou non l’ensemble d’une délégation, même les sportifs propres), le respect de l’intégrité du sport, la crédibilité du CIO, etc.
La Russie a dénoncé un « instrument de pression géopolitique » alors que 10 pays ont demandé son exclusion des Jeux de Rio. Dans quelle mesure les intérêts russes sont-ils menacés dans le monde sportif et par quelle(s) puissance(s) ?
La Russie se trouve dans une situation pour le moins embarrassante. Depuis 2015, le pays est régulièrement visé par des enquêtes et largement cité dans des affaires de dopage et de corruption. Le rapport McLaren évoque ainsi un système de dopage d’État, mis en place entre la fin de l’année 2011 à l’année 2015 et incluant donc les périodes des Jeux de Londres et Sotchi mais aussi différents championnats du monde, après les faibles performances réalisées par les athlètes russes à Vancouver en 2010.
Vladimir Poutine, suite à la publication de ce rapport, a dénoncé l’intrusion dangereuse de la politique dans le sport, évoquant un retour à des réflexes des années 1980. Il a de plus remis en doute les accusations de Grigory Rodchenkov, ancien directeur du laboratoire antidopage de Moscou qui avait révélé un certain nombre de pratiques interdites. En outre, il mettait en garde le CIO contre un risque de « schisme » si une décision d’empêcher la Russie de participer aux Jeux était prise. De leur côté, le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov et le ministre des Sports, Vitaly Mutko, ont très largement dénoncé une décision politique et une manipulation. Les États-Unis et le Canada ont notamment été visés par ces critiques, considérant que ce rapport faisait partie d’une campagne planifiée à l’encontre des sportifs russes. Le pouvoir politique russe met aussi en avant l’obsession de certains pays à ne dénoncer que la Russie, alors que d’autres pays ont aussi été pointés du doigt.
Pourtant, en parallèle de ces plaidoyers, le Kremlin a pris la décision de limoger les personnes directement mises en cause par le rapport McLaren, et notamment le vice-ministre du Sport, Yuri Nagornyck.
En conséquence, la Russie se trouve donc dans une position relativement délicate, devant à la fois faire face aux accusations et défendre sa place sur la scène internationale sportive, tout en concédant des gages de bonne volonté au CIO, destinés à montrer sa lutte contre les dérives et le dopage et empêcher l’interdiction totale de participation de la délégation russe.
Entre tensions sécuritaires et rivalités géopolitiques, dans quel contexte vont s’ouvrir les Jeux de Rio ?
Ce serait un euphémisme de dire que les Jeux de Rio vont s’ouvrir dans un contexte complexe. Au-delà des questions de politique interne, d’instabilité politique et de crise économique latente, le Brésil doit faire face à un défi sécuritaire renforcé par les récents évènements et les différentes informations faisant état de menace contre les Jeux. En outre, le défi sanitaire est toujours important avec le virus Zika et a même entrainé l’abandon de différents sportifs.
S’ajoute à ce tableau des tensions importantes dues à la décision du TAS. Dans ce contexte tendu, la décision du CIO est d’autant plus attendue qu’elle influera directement sur les deux quinzaines olympiques et paralympiques. Elle pourrait également avoir des conséquences bien plus importantes dans le temps et dépasser définitivement le seul cadre du sport. En effet, la Russie accorde une très grande importance au sport, considéré comme un outil de soft power, et objet de fierté nationale et patriotique.