ANALYSES

Ce que la France attend du sommet de l’Otan à Varsovie et pourquoi elle a bien peu de chances de l’obtenir

Presse
8 juillet 2016
Interview de Olivier Kempf - Atlantico
A l’occasion du sommet de l’Otan à Varsovie ces 8 et 9 juillet, la France tentera de faire entendre ses positions en faveur d’un plus grand partage du fardeau de la sécurité entre Etats européens et d’un redéploiement de l’Alliance au sud de la Méditerranée. Mais du fait de la faiblesse des moyens militaires français par rapport à ceux des Etats-Unis, la voix de la France est secondaire.

Dans quelle mesure le fait que l’armée et le budget de la défense de la France soient soumis à de fortes pressions du fait des opérations antiterroristes en interne (opération Sentinelle) et à l’étranger (opération Barkhane et coalition anti-EI) influencera-t-il les positions françaises au sommet de l’Otan qui se tient ces 8 et 9 juillet à Varsovie ?

Si l’on observe les priorités affichées lors du sommet de Varsovie, l’essentiel est tourné vers la question russe. Or, vu de Paris, elle n’est pas au premier rang des priorités, d’autant que la France veille à préserver un dialogue minimal dans le cadre du processus de Minsk (gestion de la crise ukrainienne). Pour le reste, comme vous le dites, les priorités stratégiques françaises sont tournées vers l’intérieur, la bande sahélo-saharienne et le Proche Orient.

L’enjeu majeur du sommet – le renforcement de l’alliance sur le flanc est (Etats baltes, Pologne) – laissera-t-il de l’espace aux revendications de Paris telles que le redéploiement sur le flanc sud, ou un meilleur partage du fardeau sécuritaire entre les pays européens ? La France peut-elle faire entendre sa voix face au Royaume-Uni, à l’Allemagne et aux Etats-Unis dont la priorité est de contenir et d’intimider la Russie ?

La France est peut-être ambiguë : car d’une part elle souhaite ne pas trop investir à l’est et en même temps, elle ne voit pas d’un très bon oeil l’action de l’OTAN au sud. Ensuite, je ne suis pas aussi sûr que vous l’affirmez que la priorité de l’Allemagne et des Etats-Unis soit de contenir la Russie. Leur priorité est d’assurer suffisamment de cohésion à l’Alliance et pour cela, satisfaire à frais réduits les demandes des alliés orientaux (Pologne, Etats baltes, Roumanie). Quant au Royaume-Uni, sa position est évidemment déstabilisée par la question du Brexit : il cherchera certes à prendre plus de poids dans l’Alliance (objectif premier) mais devra composer avec la variété des positions des différents alliés. Enfin, la France apparaît plus que jamais comme la première puissance militaire européenne. Nous avons trop de complexes sans voir que nous sommes vus par tous les autres comme une grande puissance dont on entend la voix et qui sert très souvent à dire tout haut ce que d’autres pensent tout bas mais n’osent pas afficher clairement. Bref, nous sommes entendus ce qui ne signifie pas que toutes nos positions sont aceptées à 100%. Mais aucune puissance ne voit ses positions acceptées à 100%, même pas les Etats-Unis : l’OTAN est peut-être la seule enceinte où ils ont l’habitude de transiger.

Du point de vue de Paris, le pire serait que l’Alliance adopte des positions et se fixe des objectifs trop ambitieux pour être tenables militairement ni financièrement. L’attachement à la crédibilité de l’Alliance est-il partagé par d’autres Etats membres ? Quel est le risque que des engagements trop ambitieux soient pris à l’occasion de ce sommet ?

Je n’ai pas l’impression que les engagements soient trop ambitieux : on ne parle après tout que de déployer, par relèves successives, que quatre bataillons en Pologne et dans les Etats baltes : soyons sérieux, cela reste largement à portée des alliés dont les effectifs cumulés se comptent en centaines de milliers. Quant au budget, les dépenses de défense de l’Alliance sont quinze fois supérieures à celles de la Russie : même en ôtant les dépenses américaines, on est dans un rapport de 5 à 1. Enfin, tout le monde convient qu’on a fait trop d’économies en matière de défense et qu’il faut remonter les budgets, globalement tombés à moins de 1,5% du PIB.

Pour mémoire, en France, au cours de la guerre froide nous étions bien au-delà de 3 %. L’OTAN est aussi un moyen de cette prise de conscience collective. Quant à la crédibilité de l’Alliance, je crois que c’est l’intérêt essentiel de tous, partagé par tous. C’est sa crédibilité qu empêche tout intrus de franchir les lignes rouges. Bref, l’Alliance est aussi utile à la France.
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