17.12.2024
Les paradoxes « pacifiques » de la Colombie à l’Amérique latine
Presse
29 juin 2016
Le hasard des mots a croisé la paix et le Pacifique. Ce curieux jeu de passepasse sémantique invite à la réflexion géopolitique. Paix et Pacifique vont bien ensemble. Y-aurait-il au-delà de cette rencontre linguistique fortuite, un sens plus profond? Peut-être. Mais le dénominateur n’est pas d’un commun très partagé entre Colombie, Cuba, Mexique et Venezuela. Les uns se disent anti-impérialistes, voire communiste. Et les autres mondialistes et libéraux. Pourtant c’est vrai la paix, en Colombie, s’est imposée aux uns et aux autres comme une forme incontournable de règlement des conflits.
Les discours de coexistence, pacifique, ont il est vrai, repris du service en Amérique latine depuis plusieurs années. Entre Colombie et Venezuela, entre Equateur et Colombie, dès 2010. Et en ce moment les 23 juin et 20 juillet 2016, avec le soutien de tous les latino-américains, entre les Forces armées révolutionnaires et le gouvernement de Colombie. Le symbole est fort. Les ennemis colombiens d’hier, partagent le cigare de la paix. Même s’il n’est pas universel, le geste a été suivi bien au-delà des Andes. Le secrétaire général des nations unies a tenu à être de la partie. On ne sait jamais cela pourrait donner des idées, de bonnes idées à d’autres, au Proche et au Moyen-Orient par exemple. Mais aussi en Amérique latine. Où Bolivie et Chili n’en finissent pas de solder leurs guerres frontalières de la fin du XIXème siècle. Leurs disputes alimentent les travaux de la CIJ (=la Cour internationale de justice). Quant aux querelles de Vénézuéliens elles empoisonnent durablement la convivialité régionale. OEA, UNASUR, multiplient les initiatives, les médiations, et les faire-part d’échec.
Comment interpréter ces prurits régionaux qui semblent ignorer les courants porteurs de paix ? La montée en puissance de l’Alliance du Pacifique aurait-elle quelque chose à voir avec la persistance des crises signalées ? La question parait incongrue. Après tout la Colombie, membre de l’Alliance a pris la voie de la paix. Et l’Alliance du Pacifique, dernière-née des organisations interaméricaines, comme ses grandes sœurs n’œuvre-t-elle pas en faveur de l’union et donc de la conciliation générale? Chili, Colombie, Mexique, Pérou, quatre pays riverains de l’Océan pacifique ont en effet décidé de s’unir pour le meilleur le 6 juin 2012. 49 Etats de divers horizons ont souhaité être associés à ce projet. D’autres frappent la porte de l’adhésion, l’Argentine, le Costa-Rica, le Paraguay, l’Uruguay. Le Brésil paraît, avec ses nouvelles autorités, disposé à un rapprochement.
Mais il est non moins vrai que cette expansion de l’Alliance a érodé périmètre et capacités des institutions régionales inventées auparavant. A savoir l’ALBA (Alliance bolivarienne des Amériques), la CELAC (la Communauté des Etats d’Amérique latine et de la Caraïbe), le MERCOSUR (marche commun du sud), l’UNASUR, l’Union des nations d’Amérique du sud. Or ces institutions avaient fait preuve de leur efficacité pour résoudre pacifiquement diverses crises, qu’elles soient internes en Bolivie, Equateur, ou bilatérales comme celles ayant opposé Colombie et Venezuela.
Ces ensembles, bien qu’affaiblis, ont toujours pignon sur rue, avec un siège, un secrétariat. Mais L’ALBA est affaiblie par la crise économique de ses membres pétroliers, Equateur et Venezuela.
Tandis que Cuba cherche aux Etats-Unis la solution à ses carences économiques. Quant au Mercosur trois de ses membres historiques, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay, cherchent des ouvertures en direction du Pacifique et de son Alliance. Résultat les centres de gravité des collectifs plus vastes, la CELAC et l’UNASUR, ont tendance à déplacer leurs boussoles de référence.
Libre-échange, privatisations, ouverture au monde, de façon préférentielle sur les Etats-Unis et accessoirement l’Europe et le Japon, sont les maitres mots des chantres du Pacifique et de leur Alliance. Tous, au nom d’un régionalisme commercial ouvert, ont signé des accords commerciaux avec les Etats-Unis, l’Union européenne et souvent avec divers « tigres » asiatiques. Ces choix diplomatiques, valorisant le marché global et ses acteurs dominants, rompent avec ceux de l’ALBA, du MERCOSUR ou de l’UNASUR qui privilégient les défenses tarifaires régionales communes.
Ce changement d’époque diplomatique reflète la réorientation des gouvernements de divers pays. Les électeurs argentins ont fait basculer le pouvoir du péronisme « kirchnérien » vers la droite libérale. Au Brésil députés et sénateurs du « marais » parlementaire ont fait le pari d’une manipulation de la Constitution pour forcer une alternance sans élection. L’Amérique du sud a ainsi fait basculer le point d’équilibre idéologique du sous-continent. Majoritairement attachés à la préférence régionale, les latino-américains ont désormais, selon les propos de leurs nouveaux dirigeants « retrouvé le monde », sous-entendu occidental. Au prix d’une montée des tensions aux frontières des deux blocs, entre Bolivie et Chili et au Venezuela.
Reste à comprendre le paradoxe de la paix colombienne. Cette paix a en effet été négociée à Cuba, pays communiste, membre de l’ALBA. Les FARC, Forces armées révolutionnaires de Colombie, tout aussi marxistes, ont déposé les armes certes, mais le gouvernement colombien leur garantit sécurité et participation à la vie politique et électorale. Chili, pays de l’Alliance du Pacifique et Venezuela, pays de l’ALBA, sont les garants du processus. Sans doute faut-il voir là le reflet d’une volonté partagée de compromis, afin d’éviter une escalade vers la violence dommageable au développement comme à la paix. La présence du secrétaire général de l’ONU, celle du président « pro tempore » de la CELAC, apportent une caution hémisphérique et internationale. Sans doute aussi invitent-elles Chili et Bolivie, Autorités et opposition vénézuéliennes, à prendre graine et à trouver la voie de coexistences pacifiques.