20.12.2024
Le Brexit en pratique, un processus politique inédit
Tribune
1 juillet 2016
Alors que le Pparti conservateur se déchire autour de la succession de David Cameron, le Labour party connaît une crise de leadership similaire, de nombreux parlementaires du Labour profitant de la situation pour remettre en cause l’autorité de Jeremy Corbyn, aux orientations politiques très à gauche et pourtant largement élu par les militants du parti en septembre 2015. Entre impréparations caractérisées pour les leaders politiques du Brexit et trahisons shakespeariennes au sein de la classe politique britannique, on en oublierait presque que le référendum s’est soldé par un vote en faveur de la sortie de l’UE et que le gouvernement britannique devra l’organiser dans un avenir proche, presser par les autres membres et les institutions de l’UE. Le processus de sortie de l’Union européenne, qui n’a jamais été éprouvé et qui véhicule de nombreuses incertitudes, pourrait prendre plusieurs années.
Le principe : la clause de retrait de l’article 50
L’article 50 du traité sur l’Union européenne fixe une clause de retrait de l’Union européenne par un État membre. Avant la signature du traité de Lisbonne, en décembre 2007 (le traité est entré en vigueur le 1er décembre 2009), les traités européens ne contenaient aucune référence à une clause de sortie. En rajoutant une telle clause, le traité de Lisbonne reprenait une disposition présente dans le traité constitutionnel européen rejeté en 2005.
L’article 50, qui se compose de cinq paragraphes relativement courts, acte la possibilité pour un État membre de quitter l’UE et fixe les grandes lignes du processus de sortie de l’UE. En revanche, il ne donne que peu de détails concrets sur la manière dont le retrait doit s’organiser.
Le paragraphe 1 indique que « Tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union.” Le paragraphe 2 prévoit la procédure à suivre pour l’État concerné, qui doit notifier sa demande au Conseil européen (la réunion des chefs d’État ou de gouvernement). La prérogative d’enclencher la procédure de retrait appartient à l’État concerné, qui l’exerce de manière unilatérale et sans justification nécessaire, et à qui revient donc la décision du moment auquel il entend notifier sa sortie. Une fois cette notification de sortie intervenue, s’ouvre ensuite une période de négociation au cours de laquelle l’UE, par le biais du Conseil de l’UE (conseil des ministres), « négocie et conclut avec cet État un accord fixant les modalités de son retrait ». Le paragraphe 3 fixe les modalités temporelles relatives au retrait officiel. Les traités européens cessent de s’appliquer à l’État concerné au moment de l’entrée en vigueur de l’accord de retrait ou dans les deux ans suivant la notification de retrait – ce délais peut être allongé si les États membres du Conseil européen le décident. Jusqu’à ce moment, l’État en question, en l’espèce le Royaume-Uni, reste membre de plein droit de l’UE.
Inspiré par le député européen Alain Lamassoure, l’introduction d’une telle clause de retrait a fait l’objet de vifs débats juridiques et politiques au moment de son adoption. Ces débats portaient autant sur la nécessité d’une telle clause que sur le fait de savoir si elle ne remettait pas en cause l’essence même du projet européen et son caractère inéluctable. L’une des raisons majeures d’un tel ajout était d’éviter que l’UE puisse être confrontée à une situation de blocage du fait de décision issue d’un seul État, à l’image de la non ratification d’un traité européen. Par ailleurs, il s’agissait également pour les promoteurs de cet article de répondre à la critique en déficit démocratique de l’UE et de rappeler que l’appartenance à l’UE était le produit d’une décision librement consentie de la part des États.
La mise en œuvre : des impératifs immédiats contradictoires
En annonçant qu’il laisserait à son successeur la responsabilité d’engager la sortie du Royaume-Uni et les négociations avec l’UE, le Premier ministre britannique a renvoyé à l’automne le moment où le processus de sortie pourrait être engagé. De son côté, Boris Johnson, membre du Pparti conservateur et chef de file des partisans du Brexit, laissait entendre qu’il n’y avait pas d’urgence à engager un tel processus, dissimulant mal l’impréparation dans laquelle se trouvait les tenants d’une sortie de l’UE. En revanche, pour les États-membres de l’UE et les institutions européennes, il n’est nullement question de temporiser. Ils ont ainsi fait savoir à David Cameron, lors du Conseil européen qui s’est tenu à Bruxelles les 28 et 29 juin 2016, que le processus de retrait devait être enclenché aussi rapidement que possible.
Sur le plan institutionnel, pour les pays membres de l’UE, l’enjeu est d’éviter de voir l’agenda européen totalement accaparé par la question du Brexit. Sur le plan politique, il s’agit de couper court à la volonté potentielle d’autres États de s’engouffrer dans la brèche ouverte par le vote britannique. En montrant qu’un vote de retrait aura des effets immédiats et occasionnera des conséquences négatives immédiates, les dirigeants de l’UE entendent éviter un effet domino et montrer que l’UE continue de fonctionner, conformément aux règles qu’elle s’est donnée.
Pour les dirigeants britanniques, en revanche, il s’agit d’éviter, dans un premier temps en tout cas, toutes précipitations qui pourraient déstabiliser encore davantage le pays, alors qu’il est déjà confronté aux soubresauts des marchés financiers et à de nombreuses incertitudes politiques intérieures. Le nouveau Premier ministre, qui aura àchargé de mener les négociations due retrait, aura davantage intérêt à ce que la procédure de retrait sortie se déroulent plus tard pour pouvoir être dans le meilleur rapport de force possible face aux autres membres et pour obtenir le meilleur accord possible au regard des intérêts du pays.
Les scénarios : place à l’inédit ?
Les négociations de sortie entre le Royaume-Uni et l’UE se diviseront en deux volets : la négociation d’un accord de retrait réglant une multitude de questions juridiques et fixant les conditions de départ, et la négociation d’un nouvel accord établissant la nature des relations entre les deux acteurs, notamment en matière commerciale. La question se pose de savoir si les deux volets seront négociés conjointement, ce que souhaiterait les Britanniques en s’appuyant sur les ambiguïtés de l’article 50 paragraphe 2 (« À la lumière des orientations du Conseil européen, l’Union négocie et conclut avec cet État un accord fixant les modalités de son retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l’Union. »), ou bien si l’on va dissocier les deux négociations et procéder par étape, comme l’entendent les instances de l’UE. À cet égard, la commissaire de l’UE en charge du commerce, Cecilia Malmstrom, a clairement fait savoir jeudi 30 juin qu’aucune discussion commerciale ne débuterait tant que le Royaume-Uni n’aura pas quitté l’UE. Elle déclarait ainsi : « There are actually two negotiations. First you exit, and then you negotiate the new relationship, whatever that is ».
Sur le plan juridique, toutes les options sont possibles, car il n’y a aucun précédent susceptible de baliser cette procédure de retrait. On peut donc imaginer un accord de retrait qui se doublerait d’un accord fixant les relations entre le Royaume-Uni et l’UE. Sur le plan politique, en revanche, il n’est pas improbable que les dirigeants de l’UE entendent faire du cas britannique un exemple en ne faisant aucune concession aux dirigeants britanniques et en se montrant très dur dans les négociations de retrait, puis sur le nouveau statut du pays, afin d’éviter que d’autres États membres n’aient la tentation d’imiter le Royaume-Uni. Dans ce cas de figure, l’UE s’attacherait d’abord à fixer les modalités du retrait, puis dans un second temps, entamerait des négociations quant aux relations entre les deux entités. Cette procédure repousserait le moment où le Royaume-Uni verrait sa relation avec l’UE se clarifier et se stabiliser, laissant le pays dans l’incertitude, avec les conséquences économiques que l’on peut imaginer.
Cette relation future entre les deux pourrait s’appuyer sur quelques expériences déjà à l’œuvre, mais dont on doute cependant qu’elles puissent convenir aux réalités britanniques. L’exemple norvégien est souvent mobilisé pour évoquer la relation entre l’UE et un État non membre mais ayant accès au marché unique européen (objectif avoué des Britanniques) via son adhésion à l’Espace économique européen. Cependant, la Norvège est contrainte d’adopter les législations européennes sans pour autant participer à leur élaboration ; en outre, le pays participe au budget européen. Le statut de la Suisse est également pris comme exemple. L’accord de libre-échange signé entre la Suisse et la CEE en 1972 s’est enrichi par la suite de la signature de nombreux accords sectoriels permettant au pays d’avoir un large accès au marché européen, tout en étant contraint par les règles et principes édictés par l’UE, à l’image du principe de libre circulation des personnes. Enfin, la dernière option consiste en l’élaboration d’une relation inédite dont les contours se dessineront au moment des négociations et au gré de l’état politique de l’UE et du Royaume-Uni.