27.11.2024
Attentats à Istanbul : nouvelle démonstration de force du terrorisme ?
Interview
29 juin 2016
Plusieurs facteurs expliquent ce constat.
Un facteur géographique, tout d’abord, puisque la Turquie est située à proximité de zones de conflits, notamment la Syrie et l’Irak. La Turquie possède une frontière longue d’un peu plus de 900 kilomètres avec la Syrie, qu’il est impossible de contrôler de façon efficace et efficiente. Cette perméabilité offre la possibilité aux groupes terroristes de franchir la frontière pour venir commettre des attentats en Turquie.
La Turquie accueille actuellement 2,8 millions réfugiés syriens. Et si, bien évidemment, l’immense majorité de ces réfugiés sont totalement étrangers à des actes terroristes, on peut toutefois supposer qu’il existe au sein d’entre eux des cellules dormantes de l’Etat islamique capable d’organiser des attentats en Turquie.
Le troisième aspect, plus politique, porte sur les formes de complaisance entretenues pendant quelques temps par les autorités politiques turques à l’égard des groupes djihadistes combattant en Syrie, dans l’optique de renverser le gouvernement de Bachar al-Assad. Pour autant, on peut constater qu’une véritable lutte contre l’Etat islamique a été engagée par le gouvernement turc depuis le début de l’année 2015. Les services de sécurité, de renseignement et de police se sont effectivement mobilisés afin de démanteler les réseaux de Daech en Turquie.
La conjonction de ces trois facteurs nous permet de comprendre pourquoi la Turquie est la victime privilégiée d’attaques terroristes. Par ailleurs, en gardant la plus grande prudence quant au commanditaire de l’attentat à Istanbul qui n’a pas été encore revendiqué, il faut rappeler qu’une guerre sans merci est actuellement menée par les autorités turques contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Evidemment, personne à ce stade ne peut attribuer au PKK cet attentat, mais nous savons qu’il est devenu depuis juillet 2015 l’ennemi public numéro un en Turquie. Les pertes militaires infligées à cette organisation d’opposition kurde, qualifiée de terroriste, ont déjà entrainé plusieurs attentats revendiqués par le PKK ou des entités affiliées au PKK, comme les Faucons de la liberté du Kurdistan (TAK).
Tous ces facteurs conduisent à dessiner un environnement trouble et complexe. Face à cela, les autorités turques, même si elles ont pu commettre des erreurs à un moment donné, constatent que la lutte contre l’hydre terroriste est singulièrement difficile et compliquée. Les Français, qui sont pourtant plus loin des théâtres d’opérations djihadistes, sont bien placés pour le savoir.
Le président Recep Tayyip Erdogan a appelé à une lutte commune avec les Occidentaux contre la mouvance terroriste. Après s’être réconciliée avec Israël, et avoir esquissé un rapprochement avec la Russie, la Turquie tente-t-elle de normaliser ses relations et de s’affirmer comme un partenaire fiable dans la lutte anti-terroriste ?
Cela ne date pas d’aujourd’hui. La Turquie a toujours considéré qu’il était nécessaire d’organiser un front commun contre les organisations terroristes. Il y a évidemment dans cette déclaration un aspect de communication politique, qui s’inscrit dans le contexte de l’attentat d’Istanbul fortement chargé émotionnellement, mais on ne saurait reprocher au président turc d’appeler à une lutte commune légitime avec les Occidentaux, contre les mouvances terroristes.
Depuis maintenant plusieurs semaines, les autorités turques ont exprimé leur volonté de normaliser leurs relations parfois tendues avec certains pays. Il s’agit tout d’abord de l’Etat d’Israël avec lequel a été acté un processus de réconciliation après 6 ans de turbulences. Par ailleurs, suite aux vives tensions qui ont émergé avec la Russie depuis la destruction d’un avion russe par la Turquie, M. Erdogan semble visiblement vouloir calmer le jeu et reprendre des échanges raisonnés avec Vladimir Poutine.
Ces deux inflexions diplomatiques s’inscrivent dans le sillage d’une politique volontariste de la Turquie, qui connait une phase de relatif isolement politique, afin de normaliser ses relations avec ses partenaires régionaux et internationaux. On peut souhaiter que cela ouvre des perspectives positives dans la lutte anti-terroriste, mais également dans la reformulation de la politique régionale de la Turquie.