ANALYSES

Brexit : les répercussions d’un séisme politique et stratégique

Interview
27 juin 2016
Le point de vue de Olivier de France
Les Britanniques ont décidé à 51,9 % de quitter l’Union européenne. Comment analysez-vous ce résultat ?

Les citoyens britanniques ont dû faire face jeudi à un choix structurant entre interdépendance et insularité. Ils ont choisi l’insularité. Cette décision, aux répercussions historiques, est susceptible de remettre en cause l’ordre politique qui prévaut en Europe depuis la fin de la Guerre froide. Le dilemme entre interdépendance et insularité est une question compliquée, qui se pose dans toutes les démocraties occidentales, des Etats-Unis à la Pologne, de la Hongrie au Danemark. Les citoyens, qui font face à l’incertitude et l’imprévisibilité du monde d’aujourd’hui, réclament des certitudes et du contrôle.

Les dirigeants européens tant que nationaux ont échoué à construire un modèle qui puisse faire bénéficier les citoyens des fruits de l’ouverture sans leur en faire subir les impuissances. Une démocratie parlementaire, qui n’a pas les mêmes outils d’un régime autoritaire, est condamnée à tenter de construire ce type de projet par un débat démocratique serein. A défaut, le besoin de contrôle et de certitude des citoyens s’exprimera autrement – par un vote protestataire ou de réaction, par l’élection de personnalités providentielles qui promettront l’illusion de la reprise en main à court terme et le retour aux identités nationales ou locales.

Au Royaume-Uni, David Cameron a soumis cette question au référendum. Ce faisant, il l’a soumise via une méthode qui offre une réponse binaire à une question complexe et qui, dans le contexte actuel, mobilise nécessairement tous les leviers irrationnels de l’époque. Les termes du débat ayant été ainsi posés par le Premier ministre David Cameron, la volonté démocratique du peuple fait loi.

De quelles divisions le « Brexit » est-il le nom ?

Le pays est désormais plus divisé que jamais, entre Londres et le reste de l’Angleterre, entre l’Angleterre et le reste du Royaume-Uni, entre le Royaume-Uni et l’Europe, entre les jeunes et les personnes âgées, et finalement entre les classes les plus aisées et celles moins aisées. Cela était somme toute assez prévisible, ce dès le lendemain du discours de David Cameron annonçant, en janvier 2013, sa volonté de convier les Britanniques à un référendum sur la sortie ou le maintien du pays de l’Union européenne.
Lorsqu’on analyse la géographie et la sociologie du vote, l’on s’aperçoit que le Royaume-Uni sort de en effet de ce scrutin plus divisé qu’il n’y est entré – du point de vue tant géographique, que socio-économique et générationnel.

Les fractures spatiales sont nettes entre l’Angleterre et le Pays de Galles d’une part, qui se sont respectivement prononcés en faveur d’un Brexit à 53% et 52%, et l’Ecosse, Londres et l’Irlande du Nord, qui ont fait le choix d’un maintien dans l’Union européenne respectivement à hauteur de 62%, 59% et 56%.

La division générationnelle est tout aussi criante, et peut laisser de graves traces dans la société britannique. Les jeunes peuvent avoir l’impression qu’une génération dorée de baby-boomers a décidé de façonner un futur en leur nom, dont ils devront subir les conséquences. 64% des 18-24 ans ont exprimé leur adhésion à l’Union européenne. Les fractures socio-économiques sont également assez claires : plus les citoyens sont qualifiés et issus d’un milieu favorisé, plus ils ont voté pour le camp du remain. Une énorme incompréhension subsiste entre les deux camps. Elle risque de subsister longtemps et de laisser des séquelles majeures.

Quelle est la portée politique et économique de ce vote sur la scène européenne ?

Aujourd’hui, au lendemain du référendum et alors que l’émotion est encore vive, je pense que l’apaisement doit être la priorité. Les chefs d’Etats et de gouvernement ont le devoir d’œuvrer en faveur de l’apaisement et de tenir un discours de modération.

Dans un second temps, le plus dur commence : il s’agira de faire des propositions afin que le Brexit ne provoque pas un effet d’entrainement. La responsabilité des autorités politiques, et particulièrement du couple franco-allemand, est donc de sortir du cercle vicieux actuel et de faire preuve de leadership. L’on s’aperçoit, si cela était encore nécessaire, que le statu quo et la gestion technique des institutions à Bruxelles ne sont donc pas susceptibles d’entraver les forces centrifuges. Ces derniers mois, un certain nombre de briques fondatrices de l’Union européenne – l’espace Schengen, le principe de non-discrimination, l’Etat de droit – sont remises en cause. Chacun joue alors sa partition, ce qui ouvre la voie à une Europe à la carte. Le fonctionnement de l’Union européenne, inadapté à une gestion intergouvernementale, pâtit de cette dynamique. Les successions de crises encouragent les populismes et les renationalisations, qui à leur tour enraillent la machine européenne, et la boucle est bouclée.

Si le statu quo n’est pas tenable, comment alors l’Europe doit-elle réagir face au choix britannique ? Cela relève de la discussion politique, bien davantage que des arguties juridiques. Doit-elle privilégier la fermeté afin de contenir la contagion, au risque de s’aliéner un acteur stratégique et commercial important pour l’UE, mais aussi partenaire privilégié de certains Etats membres ? Ou doit-elle transiger en acceptant de découpler la libre circulation des personnes de celle des biens, des services et des capitaux, comme l’exige le Royaume-Uni ? Le risque de construire un modus vivendi pragmatique avec le Royaume-Uni est bien d’encourager encore davantage les renationalisations, de l’Autriche à la Hongrie, de la République tchèque à la Suède. Faut-il relancer l’Union autour de la zone euro ? Autour du couple franco-allemand ? Par une poussée précipitée vers l’intégration, l’UE pourrait s’aliéner davantage certains de ses membres les plus eurosceptiques.

A mon sens, l’UE doit privilégier l’intégration autour de domaines clés, avec des actions concrètes, rapides, et des priorités définies clairement avec un nombre de partenaires réduit si nécessaire, mais qui progressent de concert et qui font preuve de confiance mutuelle. Les pays qui veulent avancer doivent pouvoir le faire sans l’aval ou le blocage des autres. Cela nécessite un leadership fort des chefs d’État, et un leadership à la fois fort et rapide du couple franco-allemand, soumis à une année électorale en 2017. Et si cela aboutit à différencier progressivement une Europe plus politique, recentrée autour de la zone euro ou de ses membres fondateurs, et davantage soumise au contrôle démocratique, d’une Europe plus économique aux liens plus lâches et plus ad hoc, cela ne peut que contribuer à combler le fossé que l’Union a progressivement creusé entre ses citoyens et elle-même.
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