13.12.2024
États-Unis : le retrait des troupes pour maintenir le leadership
Édito
21 juin 2016
En avril 2016, un sondage, réalisé par le Pew Research Center, « fact tank » spécialisé notamment sur la politique étrangère américaine, révélait que, pour 57% des Américains, les États-Unis devraient se concentrer sur leurs problèmes internes et laisser les autres nations s’occuper des leurs. Les coûts économiques, stratégiques et moraux des catastrophiques guerres d’Irak et d’Afghanistan y sont pour beaucoup. C’est en tenant compte à la fois de ces sentiments et des réalités stratégiques que Barack Obama a développé le concept de « leading from behind », le leadership en soutien, et a évité de s’engager dans de nouvelles aventures militaires, y compris en Syrie, malgré le fait que Bachar Al-Assad, en utilisant des armes chimiques, ait franchi la « ligne rouge ».
La plupart des candidats républicains à la primaire américaine reprochait à B. Obama son absence de leadership et prônait un retour à une politique de puissance. Mais Donald Trump, qui l’a emporté, prône une politique isolationniste, qui laisserait les alliés européens, asiatiques et du Golfe assurer eux-mêmes leur sécurité sauf à payer intégralement la présence militaire américaine.
Deux universitaires réputés, appartenant à l’école réaliste des relations internationales, John J. Mearsheimer et Stephen M. Walt, apportent leur contribution à ce débat[1], plaidant pour une refonte globale de la stratégie américaine. Selon eux, l’actuelle politique, qualifiée d’hégémonie libérale, a échoué. En Asie, les arsenaux nucléaires indien, pakistanais et nord-coréen s’accroissent et la Chine monte en puissance. Au Moyen-Orient, les interventions en Irak et Afghanistan sont autant de faillites, le terrorisme est toujours présent, le monde arabe en plein marasme et la paix semble inaccessible entre Israël et la Palestine. Quant à la Russie, elle a annexé la Crimée et sa relation avec les États-Unis est au plus bas. Face à ces terribles constats, Mearsheimer et Walt proposent que les États-Unis développent une politique de « offshore balancing » (équilibre des forces à distance), à leurs yeux la plus à même de préserver leur suprématie.
La volonté d’exporter la démocratie par la force est un échec magistral qui a conduit les États-Unis à justifier la torture et ouvrir le camp de détention de Guantanamo. La meilleure façon de répandre la démocratie est de donner l’exemple en en montrant les avantages. Déployer des troupes uniquement lorsqu’un allié est réellement menacé permet qu’elles soient perçues comme salvatrices et non comme des forces d’occupation.
Selon ces deux spécialistes, les États-Unis ont agi sagement dans le Golfe en créant une force de déploiement rapide (donc basée aux USA) en 1979, afin d’empêcher l’URSS ou l’Iran de dominer la région, et en intervenant directement qu’en 1990, lorsqu’il fut nécessaire de déloger l’Irak du Koweït. Mais depuis, le déploiement permanent des troupes n’a que renforcé les sentiments antiaméricains. C’est en invoquant ce déploiement que Ben Laden s’est retourné contre les États-Unis. Ils y perçoivent même davantage un facteur d’incitation à la prolifération nucléaire (pour se protéger des interventions américaines).
L’élargissement de l’OTAN est perçu comme une erreur fatale, qui a entravé la relation américaine avec Moscou.
Ils distinguent trois régions d’intérêt stratégique majeur pour les États-Unis : l’Europe, l’Asie du nord-est et le Golfe. Ils proposent de retirer leurs troupes d’Europe et du Golfe, car aucune puissance n’est en mesure d’y menacer les intérêts vitaux des États-Unis et d’y établir son hégémonie. Si cela venait à changer, les États-Unis auraient toujours le temps de repositionner leur dispositif. Ce retrait permettrait de réduire drastiquement les dépenses militaires américaines. En Asie, alors que la Chine monte en puissance en évitant toute intervention militaire extérieure, les États-Unis s’y sont épuisés et compromis leur suprématie à long terme. Il faut donc s’organiser pour contenir une éventuelle volonté hégémonique chinoise et coordonner les efforts des puissances régionales.
Le plan peut paraître très iconoclaste, allant trop à l’encontre de ce qui existe pour être mis en œuvre. Nul doute que le Congrès et le Pentagone s’y opposeront. Hillary Clinton, plus interventionniste qu’Obama, le rejetterait certainement, elle qui souhaite au contraire renforcer l’OTAN contre Moscou. Mais, de façon assez paradoxale, les thèses de ces deux très sophistiqués universitaires américains appartenant à la crème des spécialistes des relations internationales pourraient donner des arguments au très simpliste Donald Trump. Elles mériteraient en tout cas d’y réfléchir.
[1] The Case for Offshore Balancing. A Superior U.S. Grand Strategy, in Foreign affairs, July-August 2016.