20.11.2024
Brexit : le Royaume-Uni face à son avenir
Interview
17 juin 2016
Lors du référendum sur l’indépendance de l’Ecosse en 2014, la teneur générale de la campagne était loin d’être purement négative. Les deux camps tentaient de dessiner des perspectives construites, de proposer des projets économiques et sociaux positifs. Par contraste, le débat sur le Brexit est centré sur les aspects négatifs des deux scénarios possibles au lendemain du 23 juin. L’argumentation des uns et des autres s’appuie essentiellement sur les peurs et sur les risques encourus, tant en cas de maintien que de sortie de l’Union européenne. Les Britanniques font face à des discours politiques qui leur présentent deux alternatives somme toute fort peu attrayantes. D’un côté, une récession économique et un effondrement de la livre sterling sont annoncés en cas de Brexit. De l’autre, le maintien dans l’Union européenne est présenté comme la porte ouverte à une immigration massive. Cette campagne violente n’hésite pas à jouer la carte des émotions et des peurs. L’assassinat de la députée britannique Jo Cox met en lumière cette brutalité latente. L’on s’aperçoit que lorsque les politiques jouent sur la haine et les pulsions, même dans un pays qui a une tradition sereine et séculaire de l’exercice démocratique, et qui a pratiquement inventé la démocratie parlementaire moderne, cela nourrit une violence qui peut affleurer à tout moment.
Dans une campagne à ce point polarisée et affective, et face aux exagérations typiques des tabloïds, c’est la société civile qui tente aujourd’hui d’insérer un peu de modération, de granularité et d’éléments factuels dans la campagne. La position, qui à bien des égards serait la plus réaliste, serait en réalité d’assumer l’incertitude et la complexité des informations et des scenarios. Presque par définition, cette position mesurée est entièrement évacuée dans le débat politique. La dramatisation des enjeux et les positions tranchées sont privilégiées par les hommes politiques. Certains intellectuels estiment qu’au vu des discours politiques actuels, les démocraties occidentales sont entrées dans une ère de « post-vérité ».
Du point de vue du débat d’idée, le camp du Brexit n’a jamais réussi à convaincre quant aux aspects économiques. A l’inverse, le camp du maintien ne s’est jamais investi sur le terrain miné des migrations, ce qui pourrait lui couter cher. Pour l’heure, il est difficile de prédire qui de la raison ou de l’affect, de la question économique ou migratoire l’emportera. Cela risque d’être la clef du scrutin du 23 juin.
En cas de Brexit, quelles seraient les conséquences pour le Royaume-Uni et l’Union européenne ?
En un mot, le Brexit me semble une mauvaise idée. Il serait néfaste pour le Royaume-Uni, et néfaste pour l’Union européenne. L’UE perdrait l’un de ses pays majeurs du point de vue diplomatique, militaire (la Grande-Bretagne et la France représentent presque la moitié des dépenses de défense européennes), stratégique (le Royaume-Uni a une culture stratégique ancienne et spécifique en Europe) et démographique (un peu moins de 10% de la population de l’UE).
Pour l’Union européenne, le Brexit créerait un précédent périlleux qui remettrait en cause le principe de l’irréversibilité de l’intégration politique. Dans le contexte actuel, peu propice aux tentatives de solutions collectives durables, ce risque est considérable. Rien n’empêcherait en effet tout un chacun de privilégier ses intérêts nationaux et de dessiner peu à peu une Europe à la carte.
Reste qu’un Brexit serait plus néfaste pour le Royaume-Uni que pour l’Europe. Le Royaume-Uni serait affaibli dans sa capacité à défendre ses intérêts et son modèle de société. L’influence britannique sur la scène mondiale serait amoindrie. En termes économiques, les estimations les plus crédibles oscillent, mais suggèrent toutes une récession.
Un travail juridique immense et compliqué débuterait, puisque c’est l’ensemble de sa relation avec l’Union européenne qu’il s’agira de reconstruire. L’article 50 du traité de Lisbonne prévoit une période de deux ans de négociation suite à la demande d’activation par le Premier ministre britannique, pour régler juridiquement une sortie de l’Union européenne. Il est cependant tout sauf certain que David Cameron reste aux responsabilités en cas de Brexit. Une période de vide politique pourrait retarder d’entrée de jeu le processus de négociation avec la Commission européenne et les 27 autres membres de l’Union. Une fois l’article 50 activé, deux années de négociation seront insuffisantes pour reconstruire l’ensemble les mécanismes juridiques et les traités de libre-échange entre Londres et les pays membres de l’Union européennes. La reconstruction juridique d’une telle relation pourrait durer fort longtemps, sans parler des pays tiers avec lesquels l’Union entretient une relation commerciale.
Dans le cadre de ces négociations politiques, le rapport de force avec l’Union européenne sera défavorable au Royaume-Uni. Les Britanniques souhaiteront conserver leur appartenance au marché unique, sans la liberté de circulation des personnes. Cette position est inacceptable pour l’UE, puisqu’elle découplerait quatre libertés de circulation fondatrices et indissociables. De ce point de vue, accepter les demandes britanniques reviendrait à signer son propre démantèlement, puisque plus rien n’empêcherait l’Europe à la carte pour les 27 membres restants. Quand bien même cela ne constituait pas pour l’UE une menace existentielle, elle n’aurait aucune raison d’accorder ce type de faveur à Londres après le 23 juin. L’Union veillera à protéger ses intérêts, ce qui n’a rien d’anormal.
Enfin, du point de vue stratégique, les conséquences d’un Brexit pourraient considérablement modifier la scène européenne. L’Irlande du Nord deviendrait de facto une frontière extérieure de l’Union européenne, avec tout ce que cela implique. Parmi les inconnues, il est possible que cela favorise les discussions entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Quant à l’Ecosse pro-européenne, il est probable qu’elle pousse à nouveau pour son indépendance, sans pour autant avoir la garantie que l’Union européenne l’accepte parmi ses membres – il y a en effet certains doutes du point de vue de sa dette et son indépendance énergétique. Enfin, les tensions entre l’Angleterre et l’Espagne à propos de Gibraltar, que l’Union européenne avait contribué à apaiser, pourraient ressurgir.