19.12.2024
Affaire Benzema : une affaire identitaire ?
Presse
2 juin 2016
Plus largement, la pure logique sportive a été rattrapée et absorbée par le prisme identitaire, qui s’impose comme grille d’analyse générale et exclusive. L’identité expliquerait tout, ou presque, y compris le fait d’être sélectionné ou non, de chanter ou pas La Marseillaise, etc. La catégorisation communautaire de l’équipe de France fait écho à la représentation fragmentée de la société française. La communautarisation ethno-raciale et/ou ethno-culturelle de la représentation de l’équipe de France conforte le doute sur ce qui unit la société elle-même. Le prisme purement identitaire sape la cohésion nationale. Ce système communautaire constitutif de l’ordre identitaire entretient un climat de méfiance et de suspicion généralisé.
Comment en est-on arrivé là ? Dès lors que les traditionnelles identités et solidarités de classe – encore partiellement pertinentes – ont été érodées, on a assisté à un glissement de la lecture sociale (par classe) à une représentation identitaire (par groupe) d’une société perçue comme «black-blanc-beur» pour mieux neutraliser la question des classes/inégalités sociales. Cette tendance aboutit à un mode de pensée qui culturalise la société comme le sport/football, sans pour autant neutraliser tout risque de réactiver la «guerre des races». Non seulement les citoyens/sportifs sont renvoyés à une identité présumée par un regard culturaliste et/ou essentialiste, mais ils se trouvent réduits à une appartenance particulière, constitutive à elle seule de leur propre identité.
La bataille culturelle et idéologique lancée par les identitaristes a envahi le champ du politique, bien au-delà des frontières de l’extrême droite. Cette dynamique est source de reconfiguration du système des partis et affecte les traditionnels clivages extrême droite/droite/gauche. Des digues cèdent, des frontières s’effacent, des jonctions s’établissent. L’entreprise a ceci de pervers que le tenants de l’«identité nationale française» n’hésitent pas à se parer des valeurs de la République pour se prémunir contre toute critique. Ainsi à droite comme à gauche, il y a encore des responsables politiques pour considérer qu’il n’y a pas de problème de racisme et de discriminations en France. Quelle France?