21.11.2024
Venezuela : le pays sombre lentement dans le chaos, pendant que l’armée joue l’arbitre
Presse
20 mai 2016
Mais la vraie raison, qui explique la détérioration profonde de l’économie vénézuélienne, c’est la structure de son système productif. L’économie au Venezuela repose depuis des années sur un seul produit : le pétrole. Quand le pétrole se vend bien, la situation est correcte, quand il se vend mal, c’est la panique.
L’histoire se répète
En 1989, lorsque les prix du pétrole s’étaient effondrés, les caisses de l’État s’étaient vidées : le gouvernement du président Carlos Andrés Pérez, dont le parti est aujourd’hui dans l’alliance de l’opposition, avait augmenté les prix des services publics pour pouvoir les renflouer. L’armée avait tiré et il y avait eu plusieurs centaines de morts. C’est à la suite de ces évènements qu’Hugo Chávez est arrivé au pouvoir.
Les fronts politiques sont aujourd’hui renversés : le gouvernement de Nicolas Maduro, issu de la tendance partisane bolivarienne d’Hugo Chávez, affronte une chute brutale des prix du pétrole. Ils ont diminué de deux tiers en deux ans. Et donc tout autant les moyens financiers de l’équipe au pouvoir.
En dehors de l’or noir, le Venezuela ne produit pas grand-chose. Il importe pratiquement toute sa consommation : son riz, ses pâtes, sa farine, son huile, sa viande et ses produits de santé, du dentifrice au papier hygiénique et aux médicaments. Aujourd’hui sans liquidités, le pays ne peut assurer la vie normale du pays.
Récemment, le grand brasseur vénézuélien Polar a suspendu ses activités. Faute de devises il ne peut plus importer le malt, nécessaire au brassage de la bière – le Venezuela est un pays tropical, on en consomme beaucoup.
Le Venezuela a le « mal hollandais »
Pourquoi donc l’économie vénézuélienne n’est-elle pas diversifiée, puisqu’on sait que le prix du pétrole est cyclique ? Le pays souffre du « mal hollandais », appelé ainsi puisqu’il s’est posé pour la première fois aux Pays-Bas, lorsqu’on a découvert du gaz naturel.
Paradoxalement, ce qui aurait pu être une richesse supplémentaire pour le pays a eu un effet boomerang sur toute l’activité productrice de valeur ajoutée : le florin, la monnaie des Pays-Bas, avait flambé, tiré par les prix du pétrole fixés en dollar : les importations non-gazières sont devenues plus intéressantes que l’exportation, voire la production.
Le Venezuela, comme l’Arabie Saoudite, le Nigeria ou l’Algérie, est finalement l’otage d’un produit énergétique ou minéral qui accapare la totalité de l’économie. Autour du pétrole, c’est le désert.
Conséquence, au Venezuela, lorsque le pétrole se vend à bon prix, la situation est bonne, le pays vit sur ses acquis. Il a pu, grâce au pétrole, développer des programmes sociaux ambitieux, les « missions » vénézuéliennes. Elles ont permis l’accès à l’éducation et à la santé pour des gens qui n’en bénéficiaient pas… Avant de retomber dans un effondrement brutal de l’économie.
Cinq heures de queue pour acheter de l’huile
Pour autant, la crise politique qui frappe le pays est ancienne. Elle n’est pas seulement le fruit de la crise économique : la société est polarisée. Les classes moyennes et supérieures, plutôt blanches, sont radicalement opposées à la politique bolivarienne de Chávez, et Maduro. Qui eux, sont soutenus par les habitants des « barrios » (ou « quartiers » défavorisés), pauvres et métissés. Ce clivage ancien a toujours donné, à chaque élection, un rapport de force immuable : 55% en faveur de Chavez, 45% contre. Ces deux blocs n’ont jamais eu un dialogue minimal pour faire fonctionner le pays.
La crise économique actuelle effrite le camp bolivarien de Maduro, le successeur de Chávez. Quand vous faites, toutes les semaines, cinq heures de queue pour acheter une bouteille d’huile, votre enthousiasme pour soutenir le gouvernement souffre. Beaucoup de partisans du pouvoir en place, qui reconnaissent pourtant que celui-ci a fait beaucoup lorsque l’économie était tirée par les prix du pétrole, voient bien que le gouvernement n’est aujourd’hui pas en mesure de résoudre les difficultés actuelles.
La crise économique au contraire a stimulé la mobilisation de l’opposition. En 2013 encore, Nicolas Maduro gagnait la présidentielle. Deux ans plus tard, en décembre 2015, aux élections législatives, c’est l’opposition qui remportait les deux tiers des sièges du parlement. Si de nouvelles élections venaient à avoir lieu demain, Nicolas Maduro perdrait la consultation.
Les fonctionnaires et les chefs d’entreprises menacés
Depuis décembre 2015 le pays est en situation de cohabitation avec un président bolivarien et un parlement d’opposition. Cette cohabitation se passe très mal. Chacun considère qu’il est le seul légitime. On assiste à une montée de l’intolérance mutuelle. Le président fait tout ce qu’il peut pour bloquer les décisions du parlement, et ce dernier conteste systématiquement les décisions du président.
L’opposition a saisi il y a quelques jours une opportunité, offerte par la Constitution de 2000, qui avait été adoptée après la victoire de Hugo Chávez. Celle-ci prévoit qu’à mi-mandat, le président peut être révoqué si 20% des électeurs le demandent. En quelques jours, une collecte de signatures afin d’imposer l’organisation d’un référendum a permis de recueillir 1,8 millions noms (sur les 4 millions nécessaires). Elles ont été déposés sur le bureau de la Commission nationale électorale, pour que le processus de destitution soit enclenché.
Or manifestement, la Commission fait traîner l’examen des signatures. Des représentants du gouvernement ont menacé les fonctionnaires qui ont signé. Les chefs d’entreprises signataires sont également menacés de perdre les contrats éventuellement passés avec l’Etat. Le 18 mai, l’opposition a manifesté devant le Conseil national électoral, pour signaler qu’elle souhaitait rester dans la légalité, et que le CNE avait donc le devoir de remplir sa mission constitutionnelle au plus tôt, c’est-à-dire de procéder à l’examen et à la validation des signatures demandant la tenue d’un référendum révocatoire.
L’armée arbitre ?
Ce qui est préoccupant, c’est que d’un côté comme de l’autre, on fait appel à l’arbitrage de l’armée. En 1989, le gouvernement avait mobilisé l’armée pour tirer sur les manifestants, avant qu’Hugo Chávez, un militaire, ne prenne le pouvoir. Une tentative de coup d’État fomentée par les partis d’opposition contre Hugo Chavez en 2002, avait été arbitrée par l’armée, à l’issue de laquelle les cadres des forces militaires compromis avaient été écartés.
Aujourd’hui, si la crise de légitimité ne débouche sur aucun compromis, il pourrait y avoir une intervention des forces armées pour faire respecter l’une ou l’autre des interprétations de la Constitution.
En parallèle, à la crise économique, des phénomènes de débrouille individuelle émergent. Ils sont brutaux et violents. La délinquance se globalise. Caracas est devenue la ville la plus dangereuse d’Amérique du sud.
Des boucs émissaires
Le président fait porter le chapeau de la crise à des acteurs extérieurs, désignés comme des boucs émissaires : l’Espagne de Mariano Rajoy, l’ancien président colombien Alvaro Uribe, et les États-Unis. Ces pays seraient les auteurs d’un complot dont les manifestants seraient les pions. Cette thèse pourrait justifier, pour le président Maduro, la suspension des droits fondamentaux des citoyens, pour sauver la République menacée de l’étranger.
Faire référence à un danger extérieur est une stratégie politique vieille comme le monde : cela permet de ressouder les rangs de la communauté nationale et de faire l’impasse sur des responsabilités personnelles. C’est un discours d’ultime recours.
Ce qui ne veut pas dire que les supposés ennemis du Venezuela ne voient pas d’un bon œil la chute du gouvernement en place. Ils ne s’en sont jamais cachés. Le gouvernement vénézuélien est un caillou dans le soulier des États-Unis dans cette région du monde. Le président ultra-conservateur Alvaro Uribe, en Colombie, a toujours eu des discours idéologiques très violents contre tout ce qui ressemble de près ou de loin à la gauche ou au centre gauche. L’Espagne du président José María Aznar, membre du Parti populaire comme Mariano Rajoy a été, en 2002, le seul gouvernement européen à reconnaître le gouvernement putschiste qui avait renversé pendant quelques heures Hugo Chávez. Mais de là à envisager que ces pays vont envahir militairement le Venezuela, c’est absurde.
Et maintenant ?
L’issue de la crise dépend de la voie que choisira le président Maduro. Mais aussi de la réponse qu’apportera l’opposition. Deux familles constituent cette opposition : l’une est favorable à un règlement pacifique de la situation, elle privilégie la voie des élections et la Constitution. Il s’agit du parti de centre droit, Primero Justicia, de l’ancien candidat aux élections, Enrique Capriles. En face de lui, le nouveau parti « Voluntad Popular », dont le leader Leopoldo Lopez est en prison, a lancé il y a quelques mois une campagne pour « prendre le pouvoir par la rue ». Celle-ci s’était soldée par 43 morts, des manifestants et des policiers.
Ces deux courants sont actuellement en dialogue interne. La voie pacifique et constitutionnelle d’Enrique Capriles est celle qui a été suivie l’année dernière et a permis à l’opposition de gagner à la loyale les élections législatives. C’est elle qui a lancé le référendum révocatoire contre Nicolas Maduro. Mais cette option est actuellement bloquée par les autorités. On pourrait bien assister à une montée des violences de la part de l’opposition radicale. Mais cela est peut-être souhaité par certains cercles du pouvoir.
Quoi qu’il en soit, l’inquiétude est générale en Amérique latine sur la situation du Venezuela, tout comme elle l’est au sujet du Brésil. Le Secrétaire général de l’Organisation des États américains, Luis Almagro, a signalé sa préoccupation, et a lancé un appel au respect de la Constitution. L’ancien président de l’Uruguay, Pepe Mujica, a relayé cette attente et lui aussi a fait appel à la sagesse des uns et des autres.
Propos recueillis par Julia Mourri