19.12.2024
Vers une démocratisation de l’élection du Secrétaire général de l’ONU ?
Tribune
19 mai 2016
A présent, une petite révolution est en train de s’opérer dans le mode de recrutement du futur Secrétaire général: cette fois, chacun des 8 candidats présélectionnés a eu le droit, du 12 au 14 avril 2016, de se présenter devant l’Assemblée générale afin de répondre durant deux heures aux questions des délégués. Ils ont pu exposer leurs valeurs et la manière dont ils entendent piloter l’ONU. De plus, leurs CV et lettres de sélection ont été mis en ligne sur internet, et sont donc consultables par tous. Ces auditions, qui se sont étalées sur trois jours, représentent un progrès, un pas vers plus de transparence dans la nomination du Secrétaire général de l’ONU.
Par ailleurs, de manière inédite, parmi les huit candidats officiels auditionnés, quatre sont des femmes. La parité est donc atteinte, et, pour la première fois, il se peut très bien que ce soit une femme qui accède au poste de n°1 de l’ONU.
Grâce à quoi s’est faite cette remarquable évolution?
Beaucoup d’Etats membres (au moins 56 sur 193, dont le Japon et l’Allemagne) se sont ralliés à un appel de la Colombie réclamant que, ce soit enfin une femme qui accède cette fois à la tête de l’ONU. Les 8 Secrétaires généraux qui se sont succédés depuis 1945 ont en effet tous été des hommes. Cette fois, sur les 8 candidats présélectionnés, 4 sont des femmes, selon la volonté de Ban Ki-moon, dont 2 sont déjà à la tête d’une agence ou d’un programme de l’ONU : Irina Bokova, directrice générale de l’Unesco, et Helen Clark, qui dirige le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Les deux autres candidates femmes sont la Croate Vesna Pusic et la Moldave Natalia Gherman, deux ex-ministres des Affaires étrangères de leur pays respectif. Toutefois, parmi les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, seul le Royaume-Uni s’est prononcé clairement dans le sens de l’élection d’une femme.
En 2006, lors de l’élection de Ban Ki-moon, sur les 7 candidats présélectionnés, un seul était une femme: Vaira Vīķe-Freiberga, présidente de la Lettonie. Mais, malgré une campagne en ce sens de l’ONG Equality Now, elle n’avait pas été retenue, beaucoup de pays (dont la Chine, dotée du droit de veto) souhaitant alors un Asiatique.
C’est aussi sur la pression du groupe ACT (Accountability, Coherence, Transparency – fiabilité, cohérence, transparence), coordonné par la Suisse et réunissant des Etats membres pour réformer le Conseil de sécurité, que cette évolution s’est faite. En 2015, Paul Seger, alors ambassadeur de Suisse à l’ONU, avait déploré que «la nomination du Secrétaire général est moins transparente que celle du Pape» [1], ce qui est tout dire !
Les propositions du groupe ACT ont été aussi soutenues par Mary Robinson, première présidente d’Irlande et ancienne haut-commissaire de l’ONU pour les droits de l’homme, représentante également du groupe «The Elders» [2] qui regroupe des cadres internationaux n’exerçant plus d’activité. Cette évolution a été promue également entre autres par William Pace, directeur exécutif de l’Institut pour la politique globale, qui représentait «1 for 7 billions», une campagne pour davantage de démocratie dans le choix du Secrétaire général, réunissant plus de 100 organisations de la société civile du monde entier.
Un autre critère important de sélection traditionnel du Secrétaire général de l’ONU est l’appartenance géographique : le Secrétaire général est par roulement le représentant d’une région du monde. Ainsi, c’était l’Asie pour Ban Ki-moon, et l’Afrique pour Kofi Annan. Cette fois-ci, la Russie, peu enthousiaste de cette nouvelle transparence dans l’élection, a fait savoir qu’elle attend que ce soit un(e) représentant(e) de l’Europe de l’Est. La Bulgare Irina Bokova est donc particulièrement bien placée.
Sur huit candidats officiels, six viennent d’Europe de l’Est: outre Irina Bokova, Vesna Pusic et Natalia Gherman, il faut compter avec les anciens ministres des Affaires étrangères de Macédoine et du Montenegro Srgjan Kerim et Igor Luksic, et l’ancien président slovène Danilo Turk. Enfin, le dernier candidat, qui ne répond, lui, pas à ces critères, mais qui bénéficie d’une bonne expérience à un poste-clé de l’ONU, est l’ancien Premier ministre portugais et ex-Haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés, Antonio Guterres.
Enfin, la France, autre membre permanent du Conseil de sécurité, insiste pour que le futur n°1 de l’ONU parle français.
Souhaitons que cette tendance à davantage de transparence dans la nomination du Secrétaire général de l’ONU se confirme. Il faudrait même, à l’avenir, que le Secrétaire général de l’ONU soit vraiment élu par l’Assemblée générale, sans intervention des 5 membres permanents du Conseil de sécurité. Ainsi, cette véritable campagne électorale, qui serait relayée par les médias, permettrait à la population mondiale de davantage se sentir concernée par cette élection, et donc à la personne élue d’avoir une visibilité plus grande sur la scène internationale.
En effet, l’évolution actuelle, si elle est louable, est clairement insuffisante: il est évident que les cinq membres permanents continueront à choisir leur leader en coulisse comme c’est la coutume depuis 70 ans. Il n’y aura d’ailleurs pas de véritable vote de l’Assemblée générale pour signaler au Conseil de sécurité qui est le candidat ayant sa préférence.
Donc, d’autres pas vers plus de démocratie sont nécessaires. Dans la foulée, supprimer le droit de veto permettrait un pas énorme vers une plus grande démocratisation de l’ONU. De plus, cela rendrait caduque la tradition tacite qui veut que le Secrétaire général ne soit jamais issu d’un pays ayant le droit de veto: ainsi, loin d’affaiblir la France, cela ouvrirait la porte à un(e) possible Secrétaire général(e) français(e).
A présent, les auditions étant passées, le processus de sélection commence en juillet entre les 15 membres du Conseil de sécurité, avec plusieurs tours de scrutin à bulletin secret. D’autres candidats pourraient se déclarer alors, comme la Commissaire européenne Kristalina Georgieva, également une Bulgare, ou la ministre argentine des Affaires étrangères Susana Malcorra, ex-chef de cabinet de Ban Ki-moon. En septembre, le Conseil ne soumettra qu’un seul nom à l’Assemblée générale, qui sera forcée d’entériner ce choix. Le nominé prendra ses fonctions au 1er janvier 2017.
Parmi tous ces candidats, certains ont plus de points forts que d’autres. Irina Bokova est incontestablement très bien placée : non seulement elle est une femme, venant d’Europe de l’Est et francophone, mais elle a aussi à son actif d’avoir assuré la direction depuis 2009 d’une grande agence onusienne, l’Unesco. Son mandat a été marqué par la destruction par Daech de sites archéologiques antiques comme Palmyre, inscrits sur la célèbre liste du patrimoine mondial de l’Unesco, destructions qu’Irina Bokova a qualifiées de « crimes contre la culture », intervenant souvent dans les médias à ce sujet.
Sa rivale, Helen Clark, est bien positionnée aussi : elle est la femme la plus gradée de l’ONU, à la tête du Programme des Nations unies pour le développement » (PNUD) [3] depuis 2009 ; en outre, elle a une longue expérience politique dans son pays, la Nouvelle-Zélande, dont elle a été Première ministre de 1999 à 2008. A ce poste, elle n’a pas hésité à faire preuve d’indépendance face aux Etats-Unis, refusant d’envoyer des troupes en Irak. C’est une figure progressiste, qui, rappelons-le, a commencé sa carrière politique en protestant contre la guerre du Vietnam.
Le Portugais Antonio Guterres, lui, est un rival de poids : à la tête du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), il a pris en main la crise des réfugiés, et, lors de son audition le 12 avril devant l’Assemblée générale, il s’est montré particulièrement convaincant sur cette question majeure, qui concerne aujourd’hui plus de 60 millions de personnes déplacées dans le monde. Cet homme de gauche jouit en outre d’une grande popularité au Portugal, où il a été Premier ministre de 1995 à 2002.
Face à ces poids lourds, les autres candidats, issus de tout petits pays, font pâle figure. La Moldave Natalia Gherman est surtout la fille du premier président moldave ; le jeune Monténégrin Igor Luksic est un homme de droite, qui s’est attaché à réformer la fiscalité de son pays et à libéraliser le monde des affaires, prônant des privatisations, esprit qui paraît peu compatible avec les valeurs humanistes de l’ONU. La Croate Vesna Pusic et le Slovène Danilo Turk se distinguent toutefois, celle-ci ayant fait entrer la Croatie dans l’Union européenne, ayant agi pour l’accueil des migrants, et étant une militante féministe progressiste ainsi qu’une sociologue de formation, et celui-là étant connu pour son engagement en faveur des droits de l’homme et de l’égalité, ayant créé la fondation Danilo-Turk consacrée à la réhabilitation des enfants victimes de conflits armés ; il a également travaillé avec Amnesty International dans les années 1980.
A l’heure où l’ONU est face à la plus grave crise de réfugiés de son histoire et à des conflits meurtriers en Syrie et en Afrique, il est de la plus haute importance que l’organisation internationale se choisisse un dirigeant à la hauteur des défis à laquelle elle est confrontée: «bien plus un Général qu’un Secrétaire», contrairement à la formule humoristique qui a traditionnellement cours parmi les quelques 41 000 membres du personnel des Nations unies, formule qui veut que le n°1 de l’ONU soit habituellement «plus un Secrétaire qu’un Général».