21.11.2024
Destitution de Dilma Rousseff : quel avenir politique pour le Brésil ?
Interview
12 mai 2016
Premièrement, si la présidente est écartée des responsabilités effectives, elle reste présidente en titre du Brésil. Pendant 180 jours, Dilma Rousseff va abandonner le palais présidentiel, sera démise de ses compétences et de sa capacité de décision, mais elle conservera l’usage de la résidence officielle. Le pouvoir va être exercé de façon intérimaire par le vice-président Michel Temer, élu sur le même programme que Dilma Rousseff en 2014 mais issu d’un autre parti politique. Il a d’emblée annoncé, contrairement à l’usage en matière de pouvoirs intérimaires compris comme des pouvoirs de gestion, qu’il allait mettre en œuvre une autre politique.
Que va-t-il se passer durant ces 180 jours ? La présidente va être mise en examen et jugée par un organisme parlementaire, non judiciaire, à savoir le Sénat qui se situe dans l’opposition. Il a voté ce matin, par 55 voix contre 22, la destitution provisoire de la présidente. Au terme de la procédure, et après que la présidente ait eu l’opportunité de présenter ses arguments, les sénateurs devront prendre une décision finale à la majorité qualifiée des deux-tiers (54 sénateurs sur 81). A priori, cette majorité est d’ores et déjà acquise. On peut considérer que le jugement est déjà connu puisque ce jeudi 12 mai, ce sont 55 voix qui se sont prononcées contre la président, soit une voix de plus que la majorité qualifiée. Il y a donc de grandes probabilités pour que la décision prise en séance plénière par les sénateurs ce 12 mai, soit confirmée au terme de la procédure de destitution.
Dans quelle mesure le nouveau président par intérim Michel Temer va-t-il entamer un mandat à haut risque ? Quelles sont son image et sa popularité auprès des Brésiliens ?
La popularité de Michel Temer est infime puisque seul 8 % des Brésiliens lui accordent leur soutien, ce pour diverses raisons. D’une part, il a changé de bord et aurait également dû être destitué dans la mesure où il a participé à l’élaboration de la campagne de Dilma Rousseff en 2014 et devrait donc en être logiquement solidaire. C’est un vice de forme remarquable parmi les multiples vices de forme et détournement de la Constitution constatés tout au long de cette opération lancée contre la présidente brésilienne.
L’annonce faite par Michel Temer, bien que président intérimaire et donc chargé d’assurer les affaires courantes, de mettre en œuvre une autre politique, de caractère nettement néolibérale, est assez surprenante et rentre en contradiction avec ses engagements de campagne mais aussi avec ce que lui commanderait sa fonction. La conclusion que l’on pourrait tirer de cette affaire, partagée par beaucoup de Brésiliens, est qu’on assiste à un détournement de la Constitution et à un règlement de compte. Les députés, qui ne peuvent déposer de motion de censure dans le régime présidentiel brésilien, ont usé de ce biais constitutionnel pour mettre en examen la présidente pour atteinte grave à la Constitution. Cette atteinte est largement fictive puisque le motif qui vient justifier cette mise à l’écart, le crime constitutionnel de responsabilité encadré par l’article 85 de la Constitution brésilienne, est d’avoir présenté un budget incorrecte et trompeur avant les élections. C’est une pratique courante dans les gouvernements mais aussi dans les Etats brésiliens, voire dans les différentes démocraties du monde. Nous sommes face à une opération de passe-passe institutionnel qui déstabilise la démocratie brésilienne, qui va provoquer de nombreux problèmes et qui risque de se retourner contre ses initiateurs.
Comme analysez-vous le retour des recettes néolibérales attendues au Brésil ? Dans un pays où le taux de chômage et les inégalités sont extrêmes, les sacrifices annoncés par le président par intérim ne risquent-ils pas d’envenimer le ras-le-bol politique au Brésil ?
Le président par intérim a l’intention de proposer un programme qui porte sur la gestion de la crise et la répartition des efforts entre les différentes catégories sociales. Les classes moyennes et supérieures, les grandes entreprises et les banques, souhaitent un changement de politique économique au profit d’une austérité budgétaire et d’une réduction des programmes sociaux. Au contraire, les catégories plus modestes et pauvres aspirent à la préservation des programmes sociaux, comme promis par Dilma Rousseff en 2014.
C’est un véritable conflit de classe qui a abouti aux votes du Parlement et du Sénat, sous la pression de la Fédération des industries et des économies, le Medef local à Sao Paulo, Etat le plus riche du Brésil. Il représente les industriels agricoles, le secteur bancaire et le secteur lié aux exportations, et s’est fortement mobilisé à travers les médias. Ces acteurs économiques ont exercé une pression sur les élus suffisamment forte et convaincante pour que la majorité soit devenue minoritaire en l’espace de 15 jours. Jusqu’au 29 mars, Dilma Rousseff disposait d’une majorité très confortable de plus de 300 sièges de députés, mais le 17 avril, elle ne disposait plus que de 138 parlementaires la soutenant. L’utilisation de moyens politiques et médiatiques a provoqué un changement de majorité en l’absence d’élection. Les parlementaires ont été convaincus, par la force des grands médias, des grandes entreprises et des puissances du Brésil, de changer leur vote pour que le pays change de politique. D’ailleurs, la présidente a été destituée non pour corruption, n’étant mêlée à aucune affaire, mais par un parlement dont plus de 60 % des membres sont eux cités dans des affaires de corruption.
Pour le reste, il faut attendre les décisions concrètes qui vont être prises par le nouveau président par intérim. Il y aura probablement des mouvements de protestation dans les corporations et les groupes sociaux affectés par les coupes sociales. D’un point de vue démocratique, il y aura aussi des manifestations des militants et des électeurs du Parti des travailleurs (PT) et des partis politiques à sa gauche. Une montée des tensions est probable et pourrait provoquer des troubles assez graves au Brésil. Il y a aura sans doute un changement de politique mais difficilement une amélioration de la situation. Le contexte tendu ne permet pas d’entrevoir une sérénité favorable aux investissements.