17.12.2024
Vers une nouvelle crise économique et sociale en Argentine ?
Interview
12 mai 2016
Il est possible de dresser un premier bilan de la politique de Mauricio Macri, élu en novembre 2015 mais formellement au pouvoir depuis le 10 décembre 2015. Depuis son accession à la présidence argentine, M. Macri s’est essentiellement concentré sur 4 chantiers structurant l’économie et la géopolitique en Argentine.
Il s’est tout d’abord attaqué à la question de la dette souveraine argentine en faisant le choix de rouvrir les négociations avec les fonds vautours, impliqués dans un litige avec le précédent gouvernement pour un montant représentant 7 % de la dette nationale contractée en 2001 (un total d’environ 100 milliards à l’époque). M. Macri a décidé de négocier, de rembourser (à hauteur de 9 milliards de dollars) et finalement de combler les attentes des fonds américains afin de normaliser la relation de l’Argentine avec les marchés financiers et de lui en réouvrir l’accès. Son choix est de réactiver les mécanismes d’endettement souverain en Argentine dans l’espoir de susciter l’arrivée de capitaux internationaux capables de financer la croissance économique d’un pays actuellement en récession. Cette première décision constitue un basculement radical par rapport à la politique menée par Cristina Kirchner. L’Argentine peut désormais à nouveau émettre des titres de dette publique sur les marchés financiers pour s’endetter, en proposant des taux d’intérêts juteux compris entre 7 et 8 %, mais cela l’expose de facto à un nouveau cycle d’endettement potentiellement dévastateur. Le montant de la levée de la dette est faramineux pour un pays comme l’Argentine : 16,5 milliards de dollars, pour des titres qui s’étalent de trois à trente ans.
Par ailleurs, Mauricio Macri a procédé à une dévaluation du peso argentin par rapport au dollar, provoquant une montée de l’inflation – déjà très importante – à hauteur de 30 %, ainsi que des conséquences très concrètes sur le pouvoir d’achat des Argentins qui, dans le même temps, ne voient pas leur salaire augmenter.
Le troisième chantier ouvert par M. Macri concernait l’augmentation massive du prix du gaz, des transports et de l’électricité (de 300 %). Cette décision exige de la part de la population des efforts majeurs et fait dans le même temps entrer de nouveau la notion d’austérité et d’ajustement structurel dans le débat public et le panorama politique argentin.
Enfin, le président Macri a proposé une réforme du marché du travail incitant à davantage de flexibilisation et de dérégulation, également accompagnée de licenciements massifs dans l’administration publique et dans plusieurs entreprises nationalisées comme les compagnies aériennes, médiatiques (beaucoup de journalistes considérés comme opposants sur les télés et radios publiques ont été remerciés) ou pétrolières. Depuis l’arrivée au pouvoir de Mauricio Macri, on estime qu’il y a eu entre 80 et 140 000 licenciements. Ce n’est évidemment pas négligeable de fragiliser ainsi l’emploi dans un pays de 40 millions d’habitants où une bonne partie de la population travaille déjà dans le secteur informel.
C’est donc une politique assez offensive qui s’inscrit largement dans les plans d’austérité que nous connaissons ailleurs, à commencer en Europe. Ce programme économique libéral commence à avoir ses effets : la situation et l’horizon social se dégradent, le pays est voué à se réendetter, l’emploi s’érode, etc. La conclusion est que cette orientation est en train de cristalliser de nouvelles résistances et une reconfiguration de l’opposition politique qui compte bien utiliser cette détérioration sociale pour repartir à l’initiative contre M. Macri.
M.Macri a déjà dû faire face à une puissante mobilisation unitaire des cinq centrales syndicales argentines contre ses politiques le 28 avril. C’est une première en Argentine où les syndicats sont très divisés. Il doit aussi désormais compter avec le retour de Cristina Kirchner qui propose de rassembler l’opposition au sein d’un Front citoyen qui serait la nouvelle force politico-sociale organisée pour concourir aux prochaines élections législatives de l’année prochaine.
Comment comprendre le revirement idéologique opéré par M. Macri par rapport à la politique de Cristina Kirchner ? Avec quelles perspectives ?
En tant que candidat, Mauricio Macri a porté les couleurs des secteurs libéraux de la société Argentine, en particulier les secteurs entrepreneuriaux opposés au gouvernement Kirchner. Les libéraux argentins considéraient que le précédent pouvoir muselait la liberté commerciale et les rapports avec les marchés internationaux, et privilégiait une politique trop protectionniste et trop favorable aux dépenses publiques sociales consacrées à la réduction des inégalités et de la pauvreté. M. Macri représente l’ensemble de ces intérêts opposés à l’interventionnisme étatique et souhaitant une réinsertion normalisée de l’Argentine dans les courants dominants du libre-échange et de la finance internationale. Le président argentin s’est présenté sur cette base-là, notamment car en tant qu’ancien chef d’entreprise, il considère qu’il peut faire bénéficier l’Argentine de son large carnet d’adresses de multinationales susceptibles d’investir dans le pays, de contribuer à la croissance et de créer des emplois. C’est ce rêve-là qui a été vendu aux Argentins pour changer de gouvernement.
Au-delà de son projet économique libéral, Mauricio Macri a mené une campagne d’autant plus efficace qu’elle s’appuyait sur les faiblesses du gouvernement Kirchner en matière de sécurité et de lutte contre la corruption et le narcotrafic. C’est sur ces questions que M. Macri l’a emporté et peut-être aussi sur une certaine usure du pouvoir Kirchner, en place depuis 12 ans. Le président argentin a plus bénéficié d’une fatigue des Argentins vis-à-vis de l’ancien gouvernement qu’il n’a suscité une vague d’enthousiasme autour de sa personne et de son programme.
Aujourd’hui, que va-t-il se passer ? Il est clair que l’Argentine s’enfonce peu à peu dans une crise économique indéniable. Les voyants sont rouges en matière d’emplois et de pouvoir d’achat. L’Argentine, en récession pour 2016, va également rentrer dans un cycle à haut risque de ré-endettement, alors que c’était l’un des seuls pays au monde qui avait réussi à sortir de la dette et qui bataillait au niveau international pour réguler autrement l’endettement des Etats, notamment au sein des Nations unies. C’est donc une page qui est tournée. L’Argentine prend désormais des risques financiers qui pourraient la ramener dans un contexte économique de crise, une situation qu’elle a déjà connue il y a une quinzaine d’année. Mauricio Macri est donc confronté au risque d’être associé à un président de l’austérité en Argentine, ce qui éroderait assez largement sa notoriété, d’ores et déjà entamée depuis qu’il a pris ses fonctions.
Le revirement libéral de Mauricio Macri se traduit-il sur la politique étrangère de l’Argentine ?
En matière internationale, Mauricio Macri reste cohérent avec sa vision de la société et de l’économie argentine qui le pousse à se distancer sensiblement des logiques d’intégration régionale qui ont prévalu depuis les années 2000. Il privilégie une politique d’alignement de l’Argentine avec le bloc des pays les plus libre-échangistes de la région, en particulier l’Alliance du Pacifique : Mexique, Colombie, Pérou, Chili. Il souhaite développer une politique de coopération et de libre échange bilatéral entre l’Argentine et d’autres blocs internationaux. De ce fait, il aspire à réduire ses relations avec les aires d’intégration régionales, en particulier le Mercosur en grande difficulté, et l’Union des nations sud-américaines.
M. Macri a également accueilli le président Barack Obama, le 24 mars, à Buenos Aires, où il a discuté d’une coopération économique et financière plus étroite et bilatérale entre l’Argentine et les Etats-Unis. Un accord de libre-échange pourrait donc voir le jour entre les deux pays. Le président argentin a aussi reçu plusieurs présidents des pays européens pour renforcer l’arc transatlantique. Cela représente une inflexion majeure par rapport à tout ce qui s’est construit en Amérique latine depuis une quinzaine d’années. M. Macri renoue avec une certaine tradition argentine qui consiste à privilégier les relations avec l’Europe et les Etats-Unis par rapport aux relations Sud-Sud précédemment développées par le gouvernement Kirchner. Sans évoquer une rupture nette, on peut parler d’une inflexion très importante qui dirige l’Argentine vers un réalignement sur les courants dominants du commerce international.