20.12.2024
Sadiq Khan, le nouveau maire de Londres, espoir des pro-Européens ?
Interview
11 mai 2016
Les résultats des élections locales reflètent en grande partie la polarisation de la vie économique et politique entre Londres et le reste du Royaume-Uni. Il y a des enjeux locaux en Ecosse, au Pays de Galles ou dans le Nord de l’Angleterre qui, parce qu’ils diffèrent des problématiques propres à Londres, ne permettent pas d’appliquer une grille d’analyse unique à l’ensemble des élections locales.
Il serait erroné par ailleurs de vouloir tirer des leçons de ces élections pour le référendum du 23 juin. Les enjeux des élections locales sont ancrés dans les territoires, alors qu’un référendum est fortement lié à la personne qui le soumet au peuple, en l’occurrence David Cameron. Il y a donc deux écueils à éviter dans l’analyse de ces résultats. D’une part, regarder dans la boule de cristal pour en tirer des conclusions sur le référendum, et d’autre part y appliquer une grille de lecture commune et transversale au Royaume-Uni.
De ce point de vue, le résultat des élections à Londres entre en contradiction avec le bilan des élections dans le reste du pays, qui est plutôt favorable aux conservateurs. En Ecosse, bastion traditionnel des travaillistes jusqu’à il y a peu, les conservateurs ont devancé le Labour, mais restent derrière le Parti national écossais, qui surfe sur le projet économique et social construit à l’occasion du référendum sur l’indépendance de l’Ecosse. À l’inverse, à Londres, ce sont les travaillistes qui sont sortis victorieux du scrutin.
Reste que la grille de lecture ne peut non plus y être cantonnée à celle opposant les conservateurs aux travaillistes. La victoire de Sadiq Khan, qui se dit à la fois favorable à l’esprit d’entreprise et aux avancées sociales, traduit un renouvellement politique qui n’a pas eu lieu en France.
Le travailliste et pro-européen Sadiq Khan a été élu maire de Londres le 5 mai 2016 avec 57 % des voix, succédant au conservateur Boris Johnson. Sa victoire est-elle un symbole pour la Grande-Bretagne ?
En élisant Sadiq Khan sur un score sans appel, Londres a offert une réponse retentissante au débat sur l’identité nationale. Peut-on à la fois être londonien, britannique, européen et musulman ? Ou bien certaines de ces différentes dimensions de l’identité sont-elles exclusives l’une de l’autre ? Les élections locales à Londres ont démontré qu’elles ne l’étaient pas. Elles constituent en cela une défaite cinglante pour les extrémistes de tous bords. Elles montrent que dans une grande ville européenne les musulmans ont un avenir, un horizon, et qu’ils peuvent y renouveler les conditions de la vie politique, à condition que le système y soit suffisamment ouvert.
Cette victoire peut incarner l’émergence d’un nouveau modèle. Au-delà de l’opposition traditionnelle entre conservateurs et travaillistes, face aux fractures créées par la mondialisation le choix est davantage celui de l’ouverture ou du repli. L’enjeu est de tracer un nouveau chemin qui ne soit ni celui de l’ouverture à tout crin, ni celui de la fermeture et du repli, mais qui soit une solution comprenant les bénéfices de ces deux postures. C’est un modèle qui reste à inventer.
L’élection de Sadiq Khan est un pas en ce sens. S’il y a un endroit où ce modèle pourrait être inventé, c’est certainement à Londres, capitale ouverte sur le monde par définition. Il n’est pas illogique que cette ville multiculturelle soit la première capitale européenne à élire un maire de confession musulmane.
Où en est l’opinion publique vis-à-vis du Brexit ?
Tout comme il serait dangereux de tirer des conclusions pour le référendum de ces élections locales, il serait bien imprudent de tirer des leçons des sondages publiés dernièrement, qui ont démontré leur fiabilité limitée lors des précédentes élections législatives.
Il est clair cependant que la campagne contre le Brexit, portée aussi bien par David Cameron que par Jeremy Corbyn, et désormais par le nouveau maire de Londres, manquait de souffle. Elle était cantonnée à un débat pragmatique et technique à l’anglaise, à un calcul coût/avantage qui ne parvenait pas à soulever les foules ni à conférer un avantage définitif au camp du oui européen. Or, le débat sur le référendum est très irrationnel et comprend des enjeux affectifs importants pour les électeurs. L’aspect émotif avait jusqu’alors été presque exclusivement capté par la campagne favorable au Brexit, et notamment par l’ancien maire Boris Johnson, qui a su attiser les peurs.
L’enjeu pour le camp du « Bremain » était donc d’éviter d’être une campagne essentiellement technique et soutenue par le pouvoir en place. Cela place en effet le oui à l’Union européenne dans le camp de la raison plutôt que dans le camp du cœur, privilégié par les soutiens au Brexit. Et ce d’autant plus que Jeremy Corbyn est empêtré dans des divisions internes à son parti.
L’élection du maire de Londres peut de ce point de vue donner un nouvel élan à cette campagne. David Cameron a également tenu un discours cette semaine au British Museum appelant à la fois au sens commun britannique – en évoquant les fermiers et les compagnies aériennes – et au cœur, en prenant des accents lyriques pour faire référence aux grandes figures historiques du Royaume-Uni, à Churchill, ou au rôle de l’Union européenne dans la préservation de la paix et de la prospérité sur le continent.
Dans un début de campagne plutôt favorable au Brexit, du fait des défections des membres du cabinet de Cameron, de la prise de position de Boris Johnson et du côté émotionnel de la décision de se séparer ou non de l’Union européenne, les opposants au Brexit ont l’occasion de démontrer que le camp adverse n’a pas le monopole du cœur, en sus de ne pas avoir celui de la raison économique. Or, plus la date du référendum s’approche, plus la raison risque de prendre le pas sur le cœur.