27.12.2024
« Donald Trump était Jean-Marie Le Pen, il devient Marine Le Pen »
Presse
27 avril 2016
Depuis 6 mois, je dis à qui veut l’entendre que Donald Trump est un Américain authentique et qu’il est soutenu par de véritables Américains. Mais ce n’est pas le genre d’Américain que les Européens connaissent, ni le genre dans lequel ils se reconnaissent.
Le caractère américain a deux facettes. Il y a une facette européenne, qu’on a vue avec George Bush père, Bill Clinton ou Barack Obama. Barack Obama a étudié dans les bonnes universités de la côte Est. Même s’il n’a pas une formation européenne, il nous est familier.
Une autre facette du caractère américain est la personnalité jacksonienne. Celle-ci représente les mœurs du Far West: la concurrence, le combat, le fait de résoudre des problèmes par le litige à l’interne et la guerre à l’externe. Les Américains ont de l’estime pour ce côté de leur propre personnalité, qui est liée à cette capacité à inventer des choses, à se remettre en cause et à battre la concurrence. L’Américain qui écrase est l’Américain jacksonien.
Ce genre de personnalité existe et on peut même le trouver dans la ville de New York. Donald Trump en est une. Il ne faut donc pas sous-estimer la réalité du mouvement qui a donné une impulsion à ce monsieur. Même si Donald Trump ne ressemble pas au genre d’Américains que les Européens aiment, il est réel.
Pourquoi une personnalité telle que lui émerge-t-elle aujourd’hui ?
Les Etats-Unis commencent péniblement à prendre conscience de leurs maux. Je vous donne deux exemples: le pouvoir d’achat du foyer moyen américain n’a pas progressé depuis les années 70. Or depuis les années 80, quand Reagan a été élu, il y a un consensus à Washington autour des «Reagonomics». Cette doctrine suppose que les riches auraient l’argent mais le dépenseraient et comme ça, les moins riches pourraient en bénéficier. Ce présupposé s’est révélé faux pour l’économie intérieure. D’autre part, les Américains se réveillent maintenant, 8 ans plus tard, pour constater les conséquences de la crise financière de 2007-2008. Les deux maux sont bien entendu liés. C’est le consensus de Washington, avec l’idée que les marchés ont toujours raison, qui a abouti à la crise financière.
La colère des Américains est donc dirigée contre un système qui s’est révélé trompeur. Le fait de ne pas avoir progressé sur le pouvoir d’achat depuis 40 ans et de savoir que ses enfants seront plus pauvres que soi-même brise le rêve américain. Et ça, ce n’est pas seulement une déception, mais une hérésie. Car l’Amérique est un pays où il suffit de croire, – mais il faut croire – pour être américain. Il faut croire en l’Amérique.
Ce manque intenable de visibilité sur l’avenir provoque de la colère. Et cette colère s’exprime autant du côté de Donald Trump que de Bernie Sanders. Beaucoup de jeunes soutiennent Bernie Sanders, qui exprime des valeurs sociales-démocrates européennes pure souche, mais qui aux Etats-Unis sont vues comme gauchisantes sinon gauchistes.
Donald Trump peut-il devenir le candidat des Républicains ?
Il est en train d’y arriver. Quelques petits Etats doivent se prononcer avant la Californie, mais s’il remporte la Californie, il y est presque. Le problème, c’est que la colère des électeurs de Trump se dirige tout autant vers l’establishment républicain que vers l’establishment démocrate.
La Suisse en 1848 a repris le «système américain», soit un parlement qui élabore et met en œuvre les politiques. Mais il y a deux grandes différences. D’abord les législateurs suisses ne sont pas payés ou très peu, et d’autre part, aux Etats-Unis, contrairement à tout ce qui se passe en Europe, y compris à Bruxelles, on peut payer les législateurs pour qu’ils votent comme on veut. Le lobbying permet non seulement de suggérer ce que telle ou telle entreprise souhaiterait, mais aussi de soutenir la campagne de tel sénateur ou de tel représentant. Et ça, les Américains en ont marre, car cela permet la domination des grandes entreprises et ce sont ces grandes entreprises ou ces grandes banques qui ont déçu après la crise de 2008.
A votre avis, Donald Trump pourrait-il même être élu ?
Donald Trump est quelqu’un de très controversé et, on comprend pourquoi quand on l’entend, mais on ne peut pas exclure qu’il remporte cette élection.
Hier, il a déjà commencé à dire que si Hillary Clinton était un homme, elle n’aurait que 5% de taux d’approbation. C’est astucieux parce que Clinton n’est pas aimée. Il dit qu’elle a un avantage un peu illégitime de pouvoir devenir la première femme présidente. Il fait ainsi un parallèle avec Obama qui est devenu le premier président noir. Or sur la scène domestique, Obama a fortement déçu.
Donald Trump essaie de capitaliser sur le manque de popularité personnelle d’Hillary. Elle est assez controversée. Aux Etats-Unis, il existe des groupes, médiatiques entre autres, qui sont déterminés à la faire échouer. Ils n’ont pas encore commencé à lui mettre des bâtons dans les roues car les candidats ne sont pas encore désignés, mais ça va venir. Donald Trump n’aurait pas été leur candidat préféré, mais ils s’en accommoderont. Quand Hillary Clinton fera campagne pour la présidentielle, ces groupes lui lâcheront de terribles peaux de bananes et il se pourrait qu’il y en ait une sur laquelle elle glisse et se fasse particulièrement mal. C’est ce genre d’accident qui pourrait donner la victoire à Trump.
Les partisans de Sanders, eux aussi anti-establishment, pourraient-ils soutenir Trump ?
Ce n’est pas totalement exclu, ça dépend lesquels. C’est le même genre de phénomène qui fait qu’en France d’anciens communistes votent pour le Front national. Ça dépend du degré de leur colère et s’ils ne trouvent pas d’autres véhicules pour l’exprimer. S’ils considèrent qu’Hillary représente trop l’establishment, ce n’est pas exclu. Pourtant, je vois mal la masse des jeunes voter pour Trump.
La grosse surprise chez Trump a été qu’il a pu avoir autant de soutien en insultant à peu près tout le monde, surtout les Latinos. Politiquement, ce n’est pas du tout le genre de discours que l’on considérerait comme astucieux dans les Etats-Unis d’aujourd’hui, mais ça ne l’a pas encore stoppé. Il est donc possible que son discours rencontre une résonance chez certains des électeurs de Sanders. Certaines personnes voteront pour Trump en se pinçant le nez, comme on dit aux Etats-Unis.
On dit que ce sont les militants qui votent dans les primaires et que les candidats doivent se repositionner d’une façon plus centriste pour l’élection présidentielle. Or, on voit que Trump est déjà en train de se repositionner vers le centre alors qu’Hillary est encore obligée de tenir compte des positions de Sanders. Elle est un peu plus à gauche et Trump un peu moins à droite. Donald Trump est en train de se métamorphoser de Jean-Marie Le Pen en Marine Le Pen. Il a été très démago au début, mais il l’est de moins en moins.
Donald Trump représente-t-il vraiment des valeurs purement américaines ?
De 1776, au moment de la déclaration d’indépendance, jusqu’en 1815 lors du traité de Gand, les Etats-Unis étaient un peu bafoués entre la Grande-Bretagne et la France. A partir de 1815, le pays a eu la possibilité de s’élargir sur son propre continent et d’élargir son influence. Donc de 1815 à 1917, quand les Américains sont revenus en Europe, les Etats-Unis ont connu cette ébullition, cette expansion, qu’était le Far West.
Le général Andrew Jackson, avant de devenir président, avait vaincu les Peaux-Rouges en Floride. Il avait gagné la bataille de la Nouvelle Orléans et il a dirigé les opérations militaires de ce qu’on appelle le chemin des larmes, par lequel les Peaux-Rouges ont été obligés de quitter leurs terres.
C’était un monde de violence, de force, avec l’idée que la nature était là pour être dominée par l’homme. Cette Amérique est une Amérique sans modèle social, où chacun doit lutter par lui-même. C’est l’Amérique où l’argent est le plus important. Aux Etats-Unis, si vous voulez que vos enfants aillent à l’école ou que vous voulez une assurance médicale suffisante, il faut de l’argent. Le succès et la réussite se mesurent par l’argent. Et regardez comment vit Donald Trump. Son avion est tout aussi rutilant qu’Air Force One.
Propos recueillis par Julie Conti pour Le Temps