20.11.2024
Iran : le choix populaire d’une voie « modérée »
Interview
3 mai 2016
On peut parler d’une victoire de la liste « Espoir », alliance entre les conservateurs modérés et les réformateurs qui soutiennent le président Rohani. C’est une victoire en dépit de tous les obstacles qui ont été mis sur leur parcours, que ce soit le fait que le Conseil des Gardiens ait invalidé une grande partie des candidatures des réformateurs ou encore que le Guide Suprême soit intervenu plusieurs fois pour faire pencher la balance du côté des conservateurs. Les partisans de Rohani n’ont pas la majorité absolue au parlement mais ont enregistré une progression. Le parlement était depuis 2004 composé en majorité d’une frange conservatrice dure. Or, une grande partie des députés qui avaient une position très ferme sur la question du nucléaire n’ont pas été réélus. Le parlement précédent menait une politique d’obstruction systématique à tous les actes et gestes de Rohani. Rohani devrait parvenir à mener sa politique avec une plus grande facilité.
Une incertitude demeure quant aux candidats indépendants et leurs votes, d’autant plus importante qu’ils ont la possibilité de faire pencher la balance dans un camp ou dans un autre. Il est possible qu’à cause du barrage du Conseil des Gardiens, plusieurs réformateurs se soient présentés sous une étiquette indépendante pour ne pas susciter d’opposition de sa part. Un certain nombre d’entre eux peuvent donc être des soutiens de Rohani et jouerons de toutes façons un rôle important dans l’équilibre du nouveau parlement.
Pour résumer, on peut globalement parler d’une victoire de Rohani et d’une approbation de sa politique d’ouverture extérieure, et de ses projets d’ouverture intérieure.
Les retombées économiques peinent encore à se faire sentir pour la population. La croissance économique reviendra-t-elle sans libéralisation politique et sociale ? Les progrès en matière de droits civils promis par Rohani en 2013 ont-ils une chance d’aboutir ?
Mécaniquement, avec la levée des sanctions, la croissance devrait être un peu supérieure cette année. Le FMI prévoit 4 % de croissance cette année, alors qu’elle était proche de 0 % en 2015. Pour autant, il faut que les sanctions soient complètement levées. Or, jusqu’alors, les banques européennes, qui auront un rôle important à jouer, se sont montrées excessivement prudentes. On peut espérer que les assurances données récemment par John Kerry encouragent les banques européennes à véritablement travailler sur le marché iranien.
La question se pose aussi à plus long terme. Si Rohani veut continuer une politique d’ouverture et attirer les investissements étrangers, il devra rendre l’environnement des affaires en Iran plus attractif en diminuant la bureaucratie et la corruption, ainsi qu’en développant le poids du secteur privé et la concurrence. Une croissance forte sur le long terme nécessite une libéralisation économique mais aussi politique, les deux étant liées. Si le secteur privé iranien a plus de pouvoir économique, cela aura des conséquences politiques.
Il est difficile pour Rohani de tout faire en même temps. La priorité était donnée à la question du nucléaire mais c’est désormais la problématique économique qui fait l’objet de nombreuses attentes de la part de la population. Il va être intéressant de voir comment se déroulent les prochains mois. D’ores et déjà, la question de la privatisation est politique compte tenu des rentes de situation détenues par des groupes politiques liés aux conservateurs. Nous aurons là une première réponse sur la capacité des autorités à réformer le système économique.
Deux dynamiques, réformatrice et conservatrice, semblent s’opposer au sommet du régime. Quels sont aujourd’hui les points d’accords et de désaccords entre Rohani et le Guide Suprême ?
Il y a une opposition politique réelle au sein du pouvoir. Un membre des réformateurs iranien a récemment affirmé que l’on pouvait diviser les députés en deux catégories : les partisans (bardjâmi) et les adversaires de l’Accord sur le nucléaire (nâ bardjâmi). La population a bien compris cette rivalité lorsqu’elle apporte son soutien à une approche générale de la gestion du pays modérée, représentée par Rohani qui défend une approche plus ouverte vis-à-vis du reste du monde et rejette le maintien d’une politique plutôt agressive à l’égard des Etats-Unis.
Ce clivage n’est pas nouveau en Iran. Les divisions politiques internes sont fortes mais le nationalisme iranien assure une légitimité au système politique. Le régime, sur les grandes problématiques, notamment nucléaires, est parvenu à trouver des compromis même si les tensions internes sont actuellement très fortes. Hassan Rohani est régulièrement accusé de trahir les idéaux de la révolution dans la presse la plus conservatrice. Cependant, depuis le début de son élection, le président iranien s’est montré particulièrement diplomate, a réussi à négocier avec les éléments les plus durs et c’est certainement ce qui fait sa force. Rohani a su allier pour l’instant capacité de négociation et imposition d’un rapport de forces. Il y a des accords communs entre les deux camps sur la question des privatisations, sur l’ouverture économique de l’Iran, mais Hassan Rohani veut clairement aller plus loin à chaque fois. Fin tacticien, le président iranien fait avancer ces questions sans que ses victoires politiques apparaissent comme des défaites pour ses opposants. Si cela peut donner l’impression qu’il avance lentement, il veut surtout éviter que les conservateurs se sentent acculés et se lancent dans des actions de répression tous azimuts, comme sous les deux mandats de l’ancien président Khatami.
Face aux tensions politiques et sociales, la stabilité du régime est-elle en jeu ?
Je ne suis pas certain qu’il faille s’attendre à une crise sociale majeure, une sorte de révolution bis. Pour autant, il faut rester prudent dans la mesure où personne n’avait prévu 2009, quand les Iraniens sont sortis protester dans la rue. Il y a un mécontentement social et économique évident, notamment parce que les Iraniens attendent énormément de la levée des sanctions qui les ont beaucoup fait souffrir. Hassan Rohani devra y répondre. Pour l’heure, si on regarde les taux de participation aux élections présidentielles et législatives, les Iraniens jouent le jeu de la légalité et veulent que les choses changent pacifiquement par les urnes. La population voit ce qu’il se passe dans la région et n’a pas envie que l’Iran devienne la nouvelle Syrie. Il y a un haut niveau d’éducation en Iran et une maturité politique certaine. Mais il y a aussi des attentes fortes des classes les plus pauvres et des classes ouvrières. Or, Rohani défend un programme d’ouverture économique et de libéralisation qui peut conduire à court terme à accroitre les tensions sociales. Le gouvernement devra donc mettre en place une politique d’ouverture économique tout en limitant les possibles tensions sociales induites par cette politique.