14.11.2024
« Les Jeux Olympiques de Rio ne sont pas menacés »
Presse
17 avril 2016
Pays émergent, désormais émergé, le Brésil est devenu, après la chute de la dictature, un pays incontournable sur le plan international. Sa participation au G20 et au groupe des BRICS peuvent en être deux exemples. À cette époque, certains chercheurs parlent même de « miracle brésilien ». Après des années de croissance, de baisse de chômage et de recul de l’inflation, le pays connait depuis la fin des années 2000 des difficultés économiques importantes, à la fois dues à la crise économique internationale mais aussi à sa politique économique nationale. Des premières manifestations secouent le pays à l’été 2013, à l’occasion de la Coupe des confédérations et demandent un changement de politique. Au début de l’année 2014, l’affaire Petrobras éclate. S’il s’agissait au début d’une affaire de corruption au sein de la principale entreprise brésilienne, cette affaire prend de plus en plus d’importance au fur et à mesure de l’enquête, en mettant notamment en lumière l’implication à la fois d’acteurs économiques de premier plan, mais aussi des partis politiques (Parti des travailleurs, Parti du mouvement démocratiques, Parti progressiste etc). En d’autres termes, l’entreprise Petrobras est soupçonnée d’avoir constituée, avec d’autres entreprises, des surfacturations de chantiers, tout en versant des pots de vins à différentes personnalités politiques. Dilma Rousseff est de plus en plus mise en cause et nombre de manifestations sont organisées pour demander son départ de la présidence.
Lula, l’ancien président brésilien, qui bénéficiait jusque-là d’une sorte d’immunité morale, grâce à son histoire personnelle et à ce qu’il a accompli pendant son mandat (2003-2010), est, lui aussi, cité dans l’affaire, quelques jours avant d’être appelé à rejoindre le gouvernement par Dilma Rousseff. Face à cette politique et à ces implications, les Brésiliens descendent massivement dans la rue. Si Mme Rousseff a, jusqu’à présent, réussi à sauver sa place, une procédure parlementaire de destitution est en cours dont le verdict doit être rendu ce soir. Si elle était poussée dehors, une période d’instabilité et d’incertitudes politiques s’ouvrirait au Brésil.
Cette période incertaine menace-t-elle la tenue des Jeux Olympiques de Rio ?
Cela est difficilement envisageable même s’il est trop tôt pour répondre. La plus grande partie du travail a déjà été réalisée. Les sites sont globalement terminés à 98%[1] et ils restent quelques chantiers à finir mais dont les livraisons sont prévues entre mai et juin. D’autre part, les enjeux économiques sont énormes (sponsors, organisation de la compétition), tout est le fruit de longs pourparlers pour que tout soit cadré et prêt pour le Jour J. De plus, le comité d’organisation des Jeux (COJO) a un fonctionnement propre donc il ne devrait pas trop être influencé par les éventuels changements au niveau du pouvoir politique.
Pourrait-on voir des débordements ?
C’est une éventualité qu’il ne faut pas écarter. On peut se rappeler les manifestations monstres qu’il y avait eu, en 2013, lors de la Coupe des confédérations, et qui avaient rassemblé plus d’un million de Brésiliens, avec comme point de départ, la hausse du prix du ticket de bus. Des manifestations ont, elles aussi, été organisées en 2014 pendant la Coupe du monde, mais sans toutefois attendre le niveau de 2013. Pendant ce genre de compétitions, il y a souvent une « pause » où l’attention est détournée vers l’actualité sportive.
Néanmoins, contrairement à la Coupe du Monde 2014 qui avait couvert tout le pays, les Jeux ne seront qu’à Rio. Si les mesures de vigilance y seront prises, il n’est pas impossible que ça bouge ailleurs. En outre, la situation politique et économique du pays n’est toutefois pas la même qu’en 2014. La suite du vote pour la destitution de Dilma Rousseff nous donnera une nouvelle grille d’analyse, même si ce genre d’évènements est relativement complexe à prévoir en raison de la multitude de facteurs à prendre en compte.
La crise économique et sociale semble donc aussi être une cause profonde de protestation au Brésil ?
La situation économique et sociale est tendue depuis maintenant plusieurs années au Brésil. Lorsque les Jeux ont été attribués à Rio, en 2009, le Brésil était la septième puissance économique de la planète. On parlait du « miracle brésilien » avec des années de croissance successives, souvent à deux chiffres, une chute phénoménale de l’inflation et un PIB multiplié par cinq. À cette époque, plus de 30 millions de Brésiliens sont sortis de la pauvreté et 21 autres millions ont alors constitué une classe moyenne naissante. Puis, peu à peu, la situation s’est aggravée jusqu’à l’an dernier où le pays est officiellement rentré en récession, mettant un terme à ce mythe.
Comment sont perçus les Jeux au sein de la population ?
Bien entendu, certaines voix se sont fait entendre, comme en 2014, qui ont appelé au boycott de la compétition pensant que cet argent pouvait être investi ailleurs (éducation, santé). Toutefois, pour l’instant, cela est resté mineur.
De plus, contrairement à la Coupe du monde où le Brésil a vraiment été assommé par le cahier des charges de la FIFA, le CIO apparait comme beaucoup moins exigeant, notamment avec sa mise en place de l’Agenda 2020 qui entend faire des Jeux durables, respectueux de l’environnement et non somptuaires. Par exemple, à l’époque de la Coupe du monde, le Brésil avait été forcé de revenir sur une loi interdisant l’alcool dans les stades afin que Budweiser, sponsor officiel de la Coupe du Monde, puisse commercialiser ses bières. Cela peut paraitre anecdotique, mais cela avait soulevé un important débat au Brésil sur les obligations imposées par l’organisation sportive.
Concernant les retombées économiques, elles sont évidemment difficiles à prévoir et chiffrer précisément, mais elles seront réelles notamment sur l’emploi et les infrastructures. Certains rapports nuancent ces retombées en précisant qu’il s’agira d’impact limité dans le temps, puisque la plupart des emplois générés seront assez précaires, car concentrés sur le temps de la compétition.
Toutefois, sur le moyen et long terme, les réaménagements de la ville de Rio seront un élément de développement majeur, et profiteront à l’ensemble de la population. La candidature de Rio a vraiment voulu laisser une trace dans la ville. Comme le demande dorénavant le CIO, qui promeut des candidatures viables économiquement et qui ne veut plus d’éléphants blancs, il y aura un réel impact dans les quatre quartiers où seront localisés les épreuves et le village olympique. Les habitants, mais aussi les entreprises, pourront grandement en profiter. Par exemple, les docks de Copacabana ont été transformés et une partie du quartier de Barra a été rénovés pour servir de pépinière d’entreprises. Un effort important a aussi été fait concernant les infrastructures. Ainsi, à titre d’exemple, en 2009, seul 13% de la population carioca avait accès aux transports en commun. Ils seront 63% à la fin des Jeux.
Voyez-vous d’autres points de vigilance concernant les Jeux ?
La sécurité a également été un vrai sujet d’inquiétude pour le gouvernement qui en a fait une de ses priorités en prenant des mesures énergiques et radicales comme par exemple la gestion des favelas, qui, pour certaines, ont été purement et simplement rasées. Pour certains experts, le problème ne serait que déplacé dans l’espace et dans le temps. En outre, le contexte international, pour le moins complexe et agité, incite les autorités à renforcer la sécurité dans le village olympique mais plus globalement sur l’ensemble du territoire.
Deuxièmement, même si l’on en parle moins, il ne faut pas oublier le risque sanitaire avec Zika. Le discours des autorités se veut rassurant mais il y a là un vrai défi à relever. D’ailleurs, un rapport de l’OMS est paru la semaine dernière, rappelant que le virus aurait bien des conséquences importantes sur les grossesses et l’embryon (microcéphalie des nouveaux-nés).
Et n’oublions pas le dopage ! Aujourd’hui, certains pays sont dans le viseur du CIO et de l’Agence mondiale antidopage (Russie, Kenya, Maroc). Des discussions sont en cours pour déterminer quelles sanctions seront appliquées contre les athlètes et contre les fédérations impliquées.
Si tout se passe bien, peut-on imaginer que les Jeux puissent redorer le blason du pouvoir brésilien ?
Il y a bien un mythe de l’apolitisme du sport qui veut que le sport soit exclu de toute logique politique et idéologique. Toutefois, si un événement est bien organisé, que l’économie est boostée par une compétition ou que le climat national s’est apaisé, il est évident que cela sera récupéré par le pouvoir en place. De même, si les choses ne se passent pas comme prévu, les manifestants et l’opposition politique pourraient s’en servir.
Propos recueillis le 15 avril 2016 par Pierre Cottin