ANALYSES

« Il y a une vraie crise politique au Brésil, mais cela n’entravera pas le succès des Jeux Olympiques »

Presse
14 avril 2016
Vous considérez les JO comme un événement politique, notamment quant à leur attribution. Qu’en est-il des prochains JO de Rio et du contexte de leur attribution en 2009 ?
Pascal Boniface : A l’époque, j’avais parié sur une victoire de Rio malgré la concurrence de Chicago qui était défendue par Barack Obama, alors au pic de sa gloire parce qu’il venait d’entrer en fonction et n’avait pas eu le temps de décevoir. En pleine Obamania, le monde entier était à ses pieds, mais j’ai toujours eu la conviction que le Comité international olympique (CIO) faisait de la géopolitique, quitte à s’en défendre, et que c’était le tour des émergents. On était en 2009, le Brésil était sur une pente ascendante, c’était dans la logique de les avoir attribués à la Chine quelque temps auparavant et donc il était tout à fait légitime voire prévisible que les Jeux, qui allaient auparavant se dérouler à Londres, un pays occidental, aillent à Rio. C’était une reconnaissance de la multipolarisation du monde, du phénomène d’émergence et de la perte du monopole de la puissance du monde occidental. Il y avait aussi la dimension de Lula, qui est venu porter ce projet et qui représentait à l’époque également une alternative différente de popularité à Barack Obama, avec en plus tout ce qu’il incarnait lui aussi personnellement.

Avec un peu plus de perspective désormais, le Brésil et Rio étaient-ils prêts selon vous à recevoir un tel événement ?
Bien sûr il y a des problèmes politiques et le Brésil n’est pas tout à fait sur la même pente ascendante qu’en 2009, mais il faut considérer ces problèmes comme provisoires. La crise au Brésil, elle est conjoncturelle, pas structurelle, le poids du Brésil dans le monde restera et reviendra sur une autre pente ascendante. Avant la Coupe du monde, la presse était inquiète des manifestations et finalement, tout s’est bien passé, sans incident, avec les étrangers très bien reçus. Mise à part la déception des Brésiliens sur le plan sportif, elle a été un succès. Je suis persuadé qu’il en sera de même pour les JO et que, au-delà du combat politique qui existe aujourd’hui, lorsque la cérémonie d’ouverture démarrera le 5 août, tout sera prêt pour une grande fête, ces Jeux marqueront l’histoire et les étrangers seront très bien accueillis à Rio.

Aujourd’hui, le climat brésilien est en effet explosif, y a-t-il eu des cas similaires dans l’histoire des JO pouvant éventuellement nuire à la compétition ?
Oui et il y a eu bien pire même en 1968 au Mexique avec le massacre de plus de 300 étudiants avant l’ouverture des JO pour faire place nette justement. En termes de mouvement, je pense que ce standard est à peu près inaccessible et une telle chose ne pourrait plus se reproduire. Il y a aussi eu des rumeurs de coup d’Etat militaire avant les Jeux de Séoul (1988) ou encore le boycott des Jeux de Moscou (1980). Il y a une vraie crise politique au Brésil, mais cela concerne le gouvernement et je ne pense pas que cela soit de nature à entraver le déroulement des Jeux et leur succès. On peut juger dommage pour Dilma Rousseff si elle n’y est pas et cela ne sera plus quelque part l’héritage de Lula qui a obtenu les Jeux, mais quels que soient les aléas politiques, qui sont apparemment peu prévisibles même pour les meilleurs spécialistes de la vie politique brésilienne, les Jeux se dérouleront normalement.

Rio a pris comme modèle Barcelone quant à son projet post-olympique, le pari peut-il réussir ?
Cela a du sens, parce que les Jeux sont aussi un prétexte à urbaniser la ville, changer le schéma d’urbanisme et à la rendre mieux vivable à l’intérieur et plus attractive à l’extérieur. Cela a été le cas de Barcelone qui a complètement profité de l’effet Jeux en 1992 et son attractivité n’a plus rien à voir depuis. On est tous aujourd’hui émerveillé par Barcelone, qui est devenue une destination touristique très forte malgré la crise économique, politique et institutionnelle que traverse l’Espagne. Rio était déjà attractive avant les Jeux, mais on peut penser que ces derniers permettront une très nette amélioration de cette attractivité, visibilité et envie des gens de venir y passer un séjour.

Des JO politiques selon vous également dans le décompte des médailles. Quelques grandes nations telles que la Russie ou le Kenya sont menacées dans certaines disciplines phares en raison d’affaires de dopage. Croyez-vous à leur absence lors des prochains JO ?
J’espère que les sportifs qui ont été convaincus de dopage ne pourront pas mettre les pieds à Rio. Cependant, ce n’est pas parce que des athlètes russes ont été dopés que l’on doit condamner tous les athlètes russes. Je pense qu’il faut distinguer les athlètes et un sport. Il faut une sévérité accrue vis-à-vis des cas de dopage révélés, mais il n’y a pas de sanction et de culpabilité collectives à être mises en œuvre. Il est bien que la lutte contre le dopage s’intensifie et qu’un sentiment d’impunité qui existait auparavant disparaisse.
Comment les cartes seront-elles rebattues selon vous au niveau des médailles ?
Il y a tellement de sports que l’empêchement d’une fédération ne modifierait que marginalement le classement, cela ne peut pas le révolutionner totalement. A chaque Olympiade, il y a des sportifs de haut niveau qui sont blessés et ne peuvent pas concourir. Si des fédérations russes et kenyanes ne participaient pas, en athlétisme notamment, cela changerait un peu les Jeux, mais cela resterait des compétitions ouvertes.

A l’image de son pays, la Seleção semble toujours en plein doute, n’ayant pas réussi à effacer totalement le fameux 7-1 de la Coupe du monde 2014. La conquête d’une médaille d’or aux JO (seul titre jamais conquis) pourra-t-elle la réconcilier avec son public ?
Oui, d’autant plus qu’elle n’est pas passée loin de cette médaille d’or à Londres en 2012, face à une équipe (le Mexique, ndr) qui semblait pourtant à sa portée. Par rapport au blues qui entoure le football brésilien, une victoire à Rio pour les Jeux, même si ce n’est pas la Coupe du monde non plus, viendrait certainement panser les plaies de la demi-finale de 2014.

Actuellement, le Brésil est-il encore une grande puissance du football selon vous ?
Le réservoir est là, mais on est plutôt dans un cycle bas en ce moment. Au-delà du résultat de la Coupe du monde, qui est tout de même honorable étant donné la pression sans doute trop forte pour l’équipe, le Brésil n’est pas une équipe contre laquelle l’adversaire se dit que cela va être facile. Mais là effectivement, dans les qualifications pour la Coupe du monde 2018 en Russie, on a rarement vu le Brésil autant en difficulté. Il reste encore des matchs, mais le Brésil n’est pas sur une phase de paraître invincible aujourd’hui, il fait moins peur qu’avant.

Que pensez-vous de la candidature de Paris pour les JO 2024 ? Peut-on espérer cette fois une issue positive ?
Il serait temps parce qu’on a tout de même beaucoup échoué par le passé (une fois à Lyon, trois fois à Paris) ces vingt dernières années. Mais je crois que pour une fois, les Français ont appris de leurs erreurs, ce qui n’est pas la caractéristique nationale habituelle, on a compris pourquoi on avait échoué en 2012 et on a réfléchi sur cet échec : manque de lobbying, trop grande confiance en soi, souci d’arrogance, mise des hommes politiques au premier plan et non pas les sportifs… Le dossier était bon, mais on a échoué dans tout le reste. Aujourd’hui, le dossier est excellent, le tandem Lapasset-Estanguet est bon, avec un dirigeant qui a réussi l’exploit de se faire élire à la tête du rugby mondial et un sportif qui est triple médaille d’or dans un sport qui n’est pas très exposé mais qui a su se faire élire au CIO. Les deux sont à la fois conviviaux et pas arrogants, donc c’est une bonne chose, et le pouvoir politique vient en appui du mouvement sportif donc il garantit la signature de la ville, de la région et de l’Etat, mais il ne se met pas devant. Maintenant, il faudra voir, il y a un espoir, mais il y a aussi trois autres candidats et être le pays de Coubertin, dont la France s’est très longtemps revendiquée, ne suffit pas à obtenir les Jeux même si ce serait 100 ans après les derniers organisés à Paris. On a cette fois compris qu’il fallait se battre autrement jusqu’en septembre 2017 et ne jamais être trop confiant et croire que c’est gagné.

Enfin, de manière générale, le Brésil est un pays que vous connaissez et appréciez ?
C’est un pays que j’apprécie, oui, et que je connais bien, non, car je n’ai dû y faire que cinq séjours en tout dans ma vie. Le Brésil a toujours été attirant pour les Français et je pense qu’il peut contribuer à apporter, avec la France, une vision commune d’un monde multipolaire et pacifique, d’un monde qui serait plutôt dans le multiculturalisme. Cette conception commune et cette histoire différente nous rendraient complémentaires pour créer une alliance stratégique assez forte à condition que l’on règle aussi nos problèmes politiques les uns les autres. Au-delà du lien chaleureux et du sport qui nous réunissent, nous sommes stratégiquement des partenaires naturels.

Propos recueillis par Corentin CHAUVEL
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