19.12.2024
« Nuit debout s’inscrit dans une logique de convergence des luttes »
Presse
12 avril 2016
Pour qu’un mouvement comme celui-ci prenne, il faut un déclencheur – ce fut la loi El Khomri – et un terrain. Derrière cette mobilisation se trouve une volonté de prendre la parole, d’investir physiquement le débat politique. Nuit Debout s’inscrit dans une tendance globale de critique de la démocratie représentative.
De façon plus concrète, il y a une frustration qui remonte à l’après-13 novembre. A cause de l’état d’urgence, les Français n’ont pas pu se réunir comme après les attentats de janvier. Ils n’ont pas non plus eu le loisir de se rassembler massivement à l’occasion de la COP 21. Enfin, après le choc politique du score du FN au premier tour des élections régionales, les citoyens n’ont pas pu manifester de manière spontanée, comme cela avait été le cas entre les deux tours de la présidentielle de 2002. L’engouement des Français pour Nuit Debout puise dans ces frustrations.
A quelles conditions le mouvement de la place de la République peut-il se pérenniser ?
C’était déjà une surprise qu’une telle mobilisation fonctionne dès le 31 mars, au soir de la manifestation contre la loi El Khomri. Les organisateurs eux-mêmes n’en revenaient pas. Et cela a continué au-delà de leurs espérances. Aujourd’hui, pour que la mobilisation se maintienne, il faut avant tout que les rassemblements demeurent pacifiques.
On a assisté à une série de violences dans la nuit de samedi à dimanche: des Autolibs vandalisées, des vitrines fracassées. Si cela se reproduit, il est fort probable que les autorités interviennent pour contenir le mouvement. D’autant plus que nous sommes en état d’urgence. En filigrane, le gouvernement a la hantise d’un Notre-Dame-des-Landes en plein Paris.
Autre épée de Damoclès pour Nuit Debout : la menace d’un attentat. La place de la République représente une cible facile pour un groupe terroriste. Hormis ce contexte sécuritaire, je pense que le mouvement est susceptible de durer. Il a un côté bon enfant. Les médias véhiculent une image plutôt positive de ce mouvement qui s’est attiré la bienveillance de l’opinion publique.
A l’inverse, la mobilisation contre la loi Travail semble faiblir. La manifestation du 9 avril a réuni 120.000 personnes selon les autorités, soit quatre fois moins que celle du 31 mars. Comment expliquer cet essoufflement ?
C’est assez naturel qu’une mobilisation contre un texte de loi périclite au bout d’un moment. De plus, il y a eu des avancées, des débats. Le gouvernement a fait évoluer la loi. Des amendements ont été déposés lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale et Manuel Valls a proposé lundi matin des contres-parties aux organisations de jeunesse. Certains ont pu juger cette main tendue suffisante et estimer qu’il ne servait plus à rien d’aller manifester.
Quelles sont les différences majeures entre les deux types de mobilisation ?
La manifestation contre la loi El Khomri est un mouvement social très classique. Comme dans toute mobilisation de ce type, le gouvernement mise sur la lassitude. Il espère gagner à l’usure. Avec Nuit Debout, le scénario est plus imprévisible. D’autres modes d’expression se développent proches de ceux de l’agora grecque. Cet espace de débat public offrait la possibilité à chacun de prendre la parole. Cette forme de contestation paraît plus passionnée que le défilé pépère de République à Nation. Le mouvement relève à la fois de la Révolution française, de mai 68, des Indignés et du zadisme.
Nuit Debout a aussi créé un lieu de sociabilité. Il y a ceux qui viennent sur la place de la République pour y débattre et ceux qui s’y rendent par curiosité ou parce qu’ils sont attirés par l’aspect festif du rassemblement : une sorte de rave-party au cœur de Paris avec ses stands de boissons et de saucisses grillées.
Nuit Debout a-t-il phagocyté le mouvement contre la loi Travail ?
Oui, en quelque sorte. Le mouvement né place de la République se veut plus universel que la mobilisation contre le projet de loi El Khomri. Il souhaite agglomérer tous les mécontentements. Pour ceux qui prennent part au mouvement, le catalyseur de la loi Travail est aujourd’hui dépassé. La contestation du texte peut néanmoins trouver un autre souffle en s’alliant à d’autres combats. Nuit Debout s’inscrit résolument dans une logique de convergence des luttes : contre le réchauffement climatique, pour l’accueil des réfugiés, pour l’aide aux sans-papiers.
Propos recueillis par Maïté Hellio