ANALYSES

Sanctionner la Thaïlande sans tarder pour faire pression sur la junte

Tribune
13 avril 2016
Depuis le coup d’Etat militaire du 20 mai 2014, la Thaïlande s’enfonce peu à peu dans une dérive autoritaire inquiétante, qui contraste tout particulièrement aujourd’hui avec l’ouverture et la démocratisation en marche dans le Myanmar (ou Birmanie) voisin. La junte au pouvoir a repoussé l’échéance d’élections, au point que l’objectif de 2016, révisé à 2017, semble plus que jamais illusoire. Les libertés individuelles sont restreintes, les condamnations pour crime de lèse-majesté appliquées avec soin, la presse de plus en plus contrôlée, les opposants arrêtés… Et pendant ce temps, les militaires assoient leur emprise sur le pays et multiplient les déclarations xénophobes, fustigeant l’étranger comme responsable des mauvais chiffres de l’économie, qui font aujourd’hui de la Thaïlande l’homme malade de l’ASEAN. A cela s’ajoutent des troubles persistants avec les minorités musulmanes, le traitement infligé aux réfugiés rohingya (en provenance du Myanmar), ou encore les risques d’attentats terroristes à grande échelle, qui ne feraient qu’amplifier une situation sécuritaire déjà très fragilisée. Au milieu, la population est prise en otage et sommée de choisir entre la dictature ou la corruption, comme si aucune autre option ne pouvait s’offrir à ce pays. La Thaïlande est dans une impasse autoritaire, et rien ne semble indiquer que les choses s’amélioreront prochainement.

Rester les bras croisés ?

La communauté internationale ferme étonnement les yeux sur cette catastrophe annoncée, le tourisme est toujours encouragé en Thaïlande, de même que les investissements et les départs de retraités occidentaux attirés par les plages, le soleil et le faible coût de la vie. Pire encore, tandis qu’on s’émeut, à juste titre sans doute, des évolutions au Myanmar et des succès de sa figure emblématique, Aung San Suu Kyi, les perspectives thaïlandaises sont totalement passées sous silence, en dépit de signes pourtant très clairs. On pourrait se demander ce que les observateurs étrangers attendent pour enfin prendre conscience que la Thaïlande est aujourd’hui très éloignée de ce qu’elle était il y a encore quelques années. Un attentat frappant une station balnéaire et faisant des dizaines de victimes occidentales ? Un massacre perpétré par la junte ? Voire même un conflit frontalier aux accents nationalistes (on pense à la frontière avec le Cambodge notamment) ? Dans tous les cas, il serait judicieux d’anticiper ces catastrophes pour éviter de tomber des nues, voire même d’en prévenir les effets désastreux. Or, compte-tenu de la rapidité avec laquelle la junte est en train d’asseoir son emprise sur le pays, le temps n’est plus à l’observation, mais à l’action. C’est pourquoi le principe de sanctions économiques et financières, voire même une incitation à ne plus visiter ce pays afin de peser sur la très rentable industrie touristique, doit être débattu sans tarder. Et tant pis pour ceux qui continuent de voir dans la Thaïlande une espèce de paradis pour touristes de tous âges.

Les sanctions sont-elles toujours inefficaces ?

Le régime international de sanctions a rarement fait ses preuves, et n’a eu que peu d’impact sur la trajectoire politique des pays visés, tandis que les populations paient un très lourd tribut. On peut notamment mentionner, en Asie, l’exemple de la Corée du Nord qui est l’objet d’une multitude de sanctions depuis les années 1990, et continue malgré tout ses gesticulations. A seulement quelques centaines de kilomètres de Bangkok, on peut également mentionner le cas du Myanmar, dont les sanctions à répétition à partir de 1990 n’ont eu que peu d’effet sur la junte, même si cette dernière décida au final d’assouplir le régime et d’ouvrir progressivement le pays. Mais les sanctions contre Naypyidaw, désormais levées, furent-elles à l’origine de l’ouverture du Myanmar ? Cela reste très discutable. On voit bien dans ces deux cas (on pourrait y ajouter de nombreux autres exemples sur d’autres continents, de Cuba à l’Iran en passant par la Libye, l’Irak ou la Syrie) que l’efficacité des sanctions internationales ou unilatérales reste à démontrer.

Cependant, quand on s’arrête sur la Corée du Nord et le Myanmar, on remarque que les sanctions ont été adoptées des années, voire des décennies, après que le pouvoir se soit durci. Le régime de Pyongyang, mis en place dès 1945, a été confronté à une guerre à grande échelle quelques années plus tard, et a bénéficié pendant plusieurs décennies du soutien du bloc de l’Est, avant d’être plongé dans l’isolement. Bref, les sanctions furent imposées en marge des activités proliférantes, mais n’affectèrent pas un régime solidement installé au pouvoir. Dans le cas du Myanmar, la junte a pris le pouvoir en 1962, soit trois décennies avant que les sanctions internationales ne soient adoptées… Suffisamment de temps là-aussi pour s’organiser, et surtout développer une véritable économie parallèle et flirtant avec l’autarcie pour se mettre à l’abri de l’isolement. Dans un cas comme dans l’autre, les sanctions sont arrivées beaucoup trop tard pour espérer peser sur le régime en place.

Agir avant qu’il ne soit trop tard

La Thaïlande n’en est pas encore à ce stade. La junte reste fragilisée par d’importantes oppositions dans la société. De même, elle n’a pas encore eu le temps d’asseoir son emprise sur l’activité économique, d’autant que la croissance est, comme nous l’avons noté précédemment, en berne. Les hésitations du pouvoir en disent d’ailleurs assez long sur ces fragilités : d’un côté le rapprochement avec la Chine est identifié comme la réponse à apporter à un isolement progressif des puissances occidentales, et de l’autre la junte vient de refuser le projet chinois de voie ferrée reliant Kunming (province du Yunnan) à Bangkok, via le Laos. Mais d’ici peu, il sera trop tard. Avec ou sans soutiens extérieurs, toute l’économie du pays gravitera autour de l’armée, qui contrôlera les fonds d’investissement, l’activité touristique, les exportations… C’est avant qu’elle se consolide qu’il faut sanctionner la junte, afin d’obtenir des résultats concrets.

N’attendons pas des mesures au niveau régional. L’ASEAN, dont fait partie la Thaïlande, ne s’est jamais embarrassée de compter parmi ses membres des régimes autoritaires, et le consensus est la clef de sa pérennité, là où les normes sont les grandes absentes (ce qui la distingue fondamentalement de l’UE). Si certains Etats membres pourraient à terme chercher à isoler Bangkok, une initiative forte et multilatérale reste peu probable. N’attendons pas non plus de signe des Etats-Unis, en pleine année électorale, et plus obsédés par la recherche d’alliés en Asie face à la Chine qu’au sort des populations qui y vivent. C’est donc vers le Conseil de Sécurité de l’ONU qu’il convient de se tourner, ou à défaut vers les responsables de la diplomatie européenne, que les multiples signes de durcissement du pouvoir thaïlandais devraient alerter. Dans les deux cas, ce sont les pays européens qui doivent prendre l’initiative, et la France a un rôle important à jouer si elle veut mettre en avant une politique étrangère cohérente et engagée. Sans compter que les résultats pourraient être très nets en plus d’indiquer que le régime des sanctions peut parfois être approprié. En prenant des initiatives fortes, la communauté internationale pourrait considérablement affaiblir la junte, et ainsi permettre une transition démocratique qui n’est visiblement plus à l’ordre du jour des nouveaux hommes forts à Bangkok. Enfin, l’histoire nous apprend que les transitions autoritaires, telles que la Thaïlande connait actuellement, ne s’inversent pas avant une période qui peut être très longue. En d’autres termes, cela signifie que tôt ou tard, ce pays sera montré du doigt et isolé. Alors pourquoi attendre, au risque de créer une situation ingérable et de voir lesdites sanctions ne pas avoir pour autre effet que de rendre un peu plus difficiles les conditions d’existence de la population ? Pour ces différentes raisons, il convient dès à présent de poser la question de sanctions internationales frappant la junte thaïlandaise.
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