19.11.2024
Affrontements au Haut-Karabakh : vers une réactivation du conflit Arménie/Azerbaïdjan ?
Interview
12 avril 2016
Le conflit du Haut-Karabakh n’a jamais été complètement gelé. En effet, on compte chaque année une trentaine de morts par tirs de snipers. Sur le plan diplomatique, il n’a pas non plus été gelé puisque le groupe de Minsk, avec la co-présidence russe, rrançaise et américaine, a continué ses activités. De plus, il a profondément imprégné la vie politique tant du côté arménien – le président Serge Sargsian est né au Haut-Karabakh – que du côté azerbaïdjanais où le retour du Haut-Karabakh dans le territoire national est un thème politique constant. C’est donc un conflit gelé certes, mais qui est toujours resté vivant.
L’actuelle explosion des tensions est aujourd’hui très violente puisque c’est la première fois que l’on assiste à de pareilles animosités depuis la trêve de 1994, et que des chars, des avions, des hélicoptères de combat ou encore des drones, sont impliqués. Ce renouveau des brutalités, sans être surprenant, ne peut s’expliquer que par un ensemble de tensions régionales, notamment par l’attitude de la Turquie qui est dans une phase de troubles avec la Russie. Nous sommes dans une zone où le moindre incident peut dégénérer. L’ensemble des discordes régionales et la montée des nationalismes en période de crise économique constituent un terreau favorable à ce type de conflit.
Quels sont les jeux géopolitiques des différentes parties au conflit ? Qui a intérêt à la réactivation du conflit ? Doit-on y voir un renforcement de la rivalité russo-turque ?
Ce qui est sûr, c’est que les Russes n’ont pas intérêt à l’explosion du conflit, ayant des intérêts des deux côtés. Ils ont livrés énormément d’armes à l’Azerbaïdjan avec qui ils entretiennent une relation particulière. Le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev est considéré par Moscou comme un des remparts face à l’islamisme. Il est donc hors de question de se brouiller avec ce régime laïc et très imprégné par ses origines communistes. Les Russes ont aussi une relation très particulière avec l’Arménie, à la fois parce qu’il y a beaucoup d’Arméniens hauts placés dans l’administration russe mais aussi parce qu’il y a une division russe entière stationnée en territoire arménien, avec une base à Gyumri et une autre proche de Yerevan. Ils ont un accord qui stipule que ce sont les garde-frontières russes qui assurent la sécurité de l’ensemble des frontières arméniennes. Les Russes ont déployé une présence militaire importante en Arménie, de l’aviation aux systèmes anti-missiles S-300. Si un conflit général éclatait, les Russes seraient plongés dans un grand embarras. En revanche, la Russie a les moyens de faire respecter la trêve et de faire régner un minimum de stabilité dans la région. Cette mission sécuritaire fonde la légitimité de la présence russe et est plus ou moins appelée par les vœux des pays en « stan » d’Asie centrale.
Les Turcs ont plutôt intérêt à affirmer leur présence et à montrer que tous les pays d’Asie centrale partagent une culture turque, le langage turcique, etc. On a pu constater qu’au moment des tensions – qui d’ailleurs se prolongent – entre la Turquie et la Russie, les pays d’Asie centrale étaient extrêmement embarrassés entre deux bonnes relations qui commençaient à devenir contradictoires, alors même que pendant longtemps la Russie et la Turquie ont entretenu des échanges harmonieux.
Les Etats-Unis n’ont certainement pas jeté de l’huile sur le feu, au contraire. Ils font partie du groupe de Minsk et il est donc dans le logiciel américain – qui dispose d’une minorité arménienne assez forte – d’éviter une tension trop forte ou une explosion régionale impliquant l’Arménie. En cas de conflit, il serait très difficile pour les Etats-Unis de se positionner, d’autant plus qu’ils ont des intérêts pétroliers importants en Azerbaïdjan.
Ainsi, tout le monde a intérêt à ce que ce dossier se calme, à l’exception des Turcs qui ont fait, par la voix du Premier ministre turc Ahmet Davutoglu, des déclarations absolument incroyables estimant que la Turquie irait jusqu’à l’apocalypse pour soutenir son allié azerbaïdjanais. Espérons toutefois que ce ne soit que de la gesticulation.
En quoi les turbulences actuelles vont-elles influer sur la sécurité et la stabilité dans le Caucase du Sud ?
Encore une fois, il y a des enjeux diplomatiques. Les Turcs souhaitent affirmer leur caractère indispensable vis-à-vis des pays de culture turcique, avec en toile de fond, le rêve d’un Empire ottoman résurgent chez le président Recep Tayyip Erdogan. L’enjeu est aussi très important pour la Russie dans la mesure où elle fonde sa relation avec les pays d’Asie centrale sur un marché implicite, qui lui assure des relations harmonieuses avec ces pays en échange d’une contribution à la stabilisation de l’ensemble de la région. C’est aussi l’un des cœurs de la relation entre la Russie et la Chine, dans le cadre de l’Organisation de coopération de Shanghaï, qui se partagent respectivement le maintien de la sécurité et le développement économique.
Finalement, la légitimité et le statut de grande puissance stabilisatrice est en jeu pour la Russie. Le fait d’avoir réglé le conflit en 4 jours – entre le 2 et le 5 avril, date du cessez-le-feu – est un succès diplomatique pour la Russie. La Turquie a montré qu’elle était aux côtés des pays d’Asie centrale de culture turque. L’Arménie enregistre une demi-victoire militaire dans la mesure où, malgré l’importance des moyens engagés par l’Azerbaïdjan, seules trois collines ont été perdues. La vaillance des soldats du Haut-Karabakh a compensé le déséquilibre des forces évident au regard de l’énorme budget militaire de l’Azerbaïdjan, de son équipement moderne venu d’Occident, de Russie, d’Israël, etc. Enfin, les Azerbaïdjanais ont montré que ce dossier n’était pas clôt et que la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies votée en 2008 – qui exige le retrait de l’Arménie de tous les territoires occupés et le retour du Haut-Karabakh en Azerbaïdjan – est toujours vivante. Le président Ilham Aliyev a montré qu’il continuait à se soucier de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan, dont 14% est occupé par les Arméniens, ce qui contribue à renforcer sa légitimité politique interne.
S’il s’agit d’un incident grave, par le biais duquel chacun a tenté de réaffirmer son rôle et ses préoccupations, il y a encore beaucoup de forces qui plaident pour que cette situation ne dégénère pas.