27.11.2024
Libye : les défis de la réconciliation nationale
Interview
1 avril 2016
Le Premier ministre Sarraj tire sa légitimité du fait qu’il est l’un des signataires de l’accord de réconciliation du 17 décembre 2015, adopté à Skhirat au Maroc. Il est également soutenu par les Nations unies ainsi qu’un certain nombre de pays occidentaux. Cependant, l’accord a une limite majeure : il n’a pas été ratifié par le parlement de Tobrouk. Une partie des soutiens à cet accord ont rejeté le fait que ce gouvernement se rende à Tripoli et puisse incarner l’ensemble des Libyens.
La difficulté est donc double. D’une part, les ingérences étrangères constantes aux côtés de M. Sarraj l’ont énormément desservi. D’autre part, une partie de ceux qui devaient appuyer le chef du gouvernement d’union nationale ne le soutiennent pas car l’accord n’a pas été ratifié par l’ensemble des parlementaires qui siègent à Tobrouk. Il est donc à la fois contesté dans son propre camp et rejeté évidemment par les autorités qui contrôlent la capitale Tripoli et qui ne veulent rien céder.
Fayez al-Sarraj va donc être confronté à un exerce d’équilibriste extrêmement compliqué. Le fait d’avoir été militairement accompagné à Tripoli, par voie maritime, n’arrange rien en termes de légitimité. L’image renvoyée est celle d’une marionnette aux mains des puissances étrangères qui ont mené la Libye dans la situation dans laquelle elle se trouve aujourd’hui.
Un risque d’escalade des violences entre les différentes autorités qui se partagent le pouvoir en Libye est-il prévisible ? Comment renouer le dialogue politique entre elles ?
Il y a clairement un risque de dérapage militaire aujourd’hui entre les deux factions qui s’opposent, l’une à Tripoli et l’autre à Tobrouk. Concernant le dialogue politique, je pense que la maladresse des Occidentaux a été de vouloir absolument imposer M. Sarraj, ce qui a évidemment resserré les rangs autour de ceux qui incarnent une autre légitimité, à savoir Fajr Libya – l’Aube de la Libye – qui contrôle Tripoli et une bonne partie de l’Ouest de la Libye.
Il aurait fallu commencer par entamer un dialogue politique avec les autorités qui contrôlent le pays, tenter de trouver un compromis capable de mettre fin à la crise politique, pour ensuite converger ensemble vers l’éradication de l’Etat islamique. Or, c’est exactement le contraire qui s’est produit. On risque désormais de se retrouver face à deux fronts, l’un entre les autorités de Tobrouk et de Tripoli, l’autre contre Daech. Ce tableau politique et militaire comprend donc beaucoup de guerre et, à nouveau, beaucoup d’instabilité pour un pays qui devrait au plus tôt renouer avec le calme et la sécurité.
Tandis qu’on apprend que la France mène des bombardements ciblés en Libye contre l’Etat islamique, l’hypothèse d’une nouvelle intervention militaire internationale en Libye est discutée. La Libye constitue-t-elle une porte de sortie pour l’Etat islamique, mis à mal en Syrie et en Irak ? Comment stopper sa progression sans recourir à une intervention militaire encore plus déstabilisatrice ?
Je ne crois pas dans l’immédiat à une nouvelle intervention militaire occidentale. Elle supposerait que la question politique inter-libyenne ait été réglée au préalable, perspective qui ne semble pas se dessiner jusqu’à présent. Pour cette raison, une intervention militaire occidentale me semble illusoire. Contre qui devrions-nous nous battre, Daech ou le gouvernement de Tripoli ? Une guerre menée sur deux fronts me parait extrêmement délicate et risquée.
Il est aussi clair que la Libye constitue un sanctuaire de fait pour l’Etat islamique. Cela fait déjà plusieurs mois que les recrues djihadistes, volontaires pour s’engager en Syrie ou en Irak, sont orientées vers la Libye. Cette donnée démontre bien l’existence d’une stratégie du groupe terroriste consistant à renforcer ses bases et ses positions acquises en Libye plutôt que d’aller vers l’Irak ou la Syrie où les bombardements des parties au conflit l’affaiblissent.
La situation libyenne est donc critique. Le pays est sur la corde raide en raison des divisions politiques, tribales et culturelles, auxquelles s’ajoute un interventionnisme militaire occidental qui se renforce. L’ingérence étrangère dans les affaires de l’Etat souverain libyen contribue à complexifier le terrain politique. Je ne vois pas aujourd’hui en quoi une intervention militaire permettrait de démêler la situation. Si ingérence extérieure il y a, il faut qu’elle concoure à favoriser le dialogue entre le gouvernement de Tripoli et de Tobrouk : ce serait le meilleur moyen de faire en sorte que le peuple libyen lui-même combatte Daech.
Qui serait capable de réconcilier ces deux autorités ?
Je pense que les Libyens sont les seuls capables de pouvoir trouver des compromis et des solutions, mêmes si elles ne sont pas définitives. En tout cas, la priorité actuelle est de stopper la progression de l’Etat islamique. Pour cela, il faut impérativement une discussion et une coopération entre les gouvernements rivaux. C’est toujours ainsi que fonctionnent les processus de réconciliation : on ne négocie pas avec ses amis mais avec ses adversaires. De plus, les Libyens ont cet ennemi commun qu’est l’Etat islamique et qui constitue un défi que le peuple libyen doit relever uni.