21.11.2024
« C’est une visite spectaculaire et inattendue »
Presse
22 mars 2016
La venue d’Obama à Cuba est un point d’étape. Les relations entre les deux pays sont en voie de normalisation. Le processus, qui est loin d’être achevé et ne le sera pas à la fin de l’année, a été engagé voilà plusieurs mois. Nous en avons pris connaissance le 17 décembre 2014 par une annonce croisée des présidents Obama et Castro signalant que les deux États rétablissaient leurs relations diplomatiques. Cela ne veut pas dire que l’embargo qui pèse sur Cuba depuis les années soixante est levé, pour la raison que la décision n’appartient pas au Président, mais au Congrès américain. Le Congrès est républicain, le Président démocrate, et nous sommes dans une année électorale. On ne voit pas pourquoi le Congrès ferait un cadeau à Obama. Cela dit, cette venue a quelque chose de spectaculaire, d’inattendu. On l’a rappelé ces dernières heures : cela faisait 88 ans qu’un Président américain n’était pas venu à Cuba !
Doit-on parler déjà de réconciliation ?
Peut-être y a-t-il une réconciliation en cours. En tout cas, le Président Obama a réussi à débloquer la situation. Son action pèsera sur la politique qu’aura son successeur à l’égard de Cuba. C’est d’ailleurs la politique qu’a suivie aussi Obama en Iran. Si mes convictions personnelles ne sont pas celles du régime cubain, je considère qu’Obama a eu raison de vouloir atténuer les tensions, de multiplier les échanges, de normaliser les rapports. Je considère que, pour le «bien» des Cubains, et pour la diffusion de nos idées, nous devons accepter le régime cubain tel qu’il est. On ne pouvait maintenir plus longtemps cette politique de rejet qui était fondée sur des critères aujourd’hui anachroniques de guerre froide. Les États-Unis ont rétabli leurs relations avec la Chine, avec le Vietnam, sans exiger de ces pays qu’ils se transforment en démocraties libérales. La perpétuation de cette politique d’ostracisme avait coupé peu à peu les États-Unis du reste de l’Amérique latine. C’est à cause de cela que les Latino-américains ont pris progressivement leur distance, avant de créer de leur propre initiative la Communauté des États d’Amérique latine et de la Caraïbe (Celac).
Et puis, ce voyage n’est pas uniquement cubain puisqu’Obama se rend ensuite en Argentine. C’est une façon pour lui de dire : «Nous revenons en Amérique latine». La «clé» cubaine ouvre la voie à de nouvelles relations.
La rencontre avec le cardinal Ortega en 2014 avait joué un rôle majeur dans cette percée diplomatique ?
Le Vatican a joué en effet son rôle, qui s’est traduit par la visite de François à Cuba et, avant lui, de deux autres papes. Mais l’Église catholique prend soin de rappeler qu’il s’agit à chaque fois de voyages pastoraux pour tenter d’obtenir certains droits particuliers pour les catholiques. Chaque voyage a ainsi permis d’obtenir des avancées. C’est la première fois qu’est organisée par exemple une procession des Rameaux dans les rues de La Havane. Mais la politique se mêle à la religion. Un des premiers gestes d’Obama à son arrivée n’a-t-il pas été de se rendre dans le quartier historique et à la cathédrale ? Il y a des gestes qui ne trompent pas.
Que dira Obama aujourd’hui dans son discours au peuple cubain ?
Bien sûr, le problème des Droits de l’homme ne sera pas éludé puisqu’il relève des convictions fortes de Barack Obama. Le sujet sera d’autant plus évoqué que les États-Unis sont en année électorale et qu’il s’agit d’un thème important dans la campagne.
La Maison blanche devrait rappeler par ailleurs qu’elle entretient de bons rapports avec un des pays d’Amérique latine. Il s’agit de la Colombie et son modèle libéral de droite avec laquelle les États-Unis ont des coopérations commerciale, économique et militaire. Ce qui n’empêche pas la Colombie de reconnaître à chacun de ses pays voisins le droit d’être comme ils sont. La preuve en est que le gouvernement colombien a choisi La Havane pour négocier la paix civile dans son pays avec le régime des Farcs…
Propos recueillis par Jean-Marie Decorse pour la Dépêche