27.11.2024
La Syrie ne représente pas ce que représentait Cuba ou Berlin
Presse
29 février 2016
Nous ne sommes pas à l’aube de la Troisième Guerre mondiale, car la menace n’est pas la même que lors de la Guerre froide. À l’époque, tous les fils des guerres régionales (Vietnam, Afghanistan, Angola, révolutions en Amérique latine) menaient à Moscou et à Washington. Aujourd’hui, nous n’avons plus deuxblocs de force comparable qui ont pour ambition d’élargir leur modèle au reste du monde. On ne risque pas la guerre nucléaire entre la Russie et les États-Unis en cas d’incident en Syrie, comme on la risquait en 1962 lors de la crise des fusées de Cuba. L’enjeu syrien ne représente pas ce que pouvait représenter Cuba ou Berlin. D’ailleurs, si les Russes et les Américains s’opposent sur de nombreux points, ils coopèrent également, sur la liquidation des armes chimiques de Bachar al-Assad, par exemple.
Les Turcs ont abattu un avion russe. Or, ils appartiennent à l’Otan, censée leur venir en aide en cas de conflit.
Jamais du temps de la Guerre froide, un pays de l’Otan n’avait abattu un avion russe, c’est bien la preuve qu’un tel incident ne suffit plus à déclencher un conflit plus large. Les tensions entre Ankara et Moscou restent localisées, même si elles sont très fortes. Je rentre d’Istanbul : les Turcs s’attendent à la disparition quasi-complète des touristes russes, qui étaient 4 millions par an.
Tout le monde est contre Daech, mais la grande coalition proposée après les attentats du 13 novembre par François Hollande n’a pas été concrétisée ?
Parce qu’aucun des protagonistes du conflit en Syrie ne se dit que la situation est insupportable. À l’inverse, chacun se dit qu’une intervention serait porteuse de risques sans que l’on entrevoie une solution définitive. La Syrie est un concentré de conflits et de tensions qui la dépassent : États-Unis-Russie, musulmans chiites soutenus par l’Iran contre musulmans sunnites soutenus par l’Arabie saoudite, Turquie-Iran, Turquie-Kurdes. Chacun a sa propre priorité, qui passe avant l’éradication de Daech : pour les Saoudiens c’est la lutte contre l’Iran, pour les Turcs, c’est la lutte contre les Kurdes, pour les Russes c’est le soutien à Bachar al-Assad, pour les pays du Golfe au contraire, c’est le départ de Bachar. Tous ces intérêts contradictoires expliquent d’ailleurs pourquoi la Syrie s’enfonce.
Propos recueillis par Patrice Fluckiger