20.12.2024
L’esprit européen s’est perdu sur la route des Balkans
Tribune
29 février 2016
Sur la route des Balkans, par laquelle des centaines de milliers de réfugiés transitent depuis plus d’un an, l’UE a abandonné ses principales raisons d’être. La première est l’absence de solidarité entre ses membres en vue de la répartition des réfugiés, malgré une décision en la matière. Il serait malhonnête de se cacher derrière les réactions choquantes des pays de l’Est. Le discours de Manuel Valls en Allemagne signifiant fermement que la France ne veut pas accueillir davantage de réfugiés, alors qu’elle n’en « accueille » même pas le tiers du chiffre prévu, quand l’Allemagne en reçoit plus d’un million, interroge tout autant sur la solidarité existante dans le couple franco-allemand, moteur de l’UE.
Cette absence de solidarité a désagrégé trois principes fondateurs de l’Union : circulation, concertation et conviction. Devant l’afflux massif de réfugiés se dirigeant principalement vers trois pays (Allemagne, Autriche, Suède), de nombreux murs et renforcements se sont érigés tout au long du parcours, depuis la Hongrie jusqu’à la Slovénie, et même désormais à la frontière franco-belge. En creux, après la caducité du règlement de Dublin, il est évident que c’est tout l’équilibre de Schengen, c’est-à-dire l’idée que l’Europe est un espace de libre circulation des personnes, qui est en jeu. Les dispositifs de renforcement des frontières, non seulement offrent des images honteuses de familles transies de froid sous la pluie devant des barbelés et des soldats en armes, mais en plus participent à un goulot d’étranglement dont les pays des Balkans sont victimes.
Cet effet domino était en germe dans l’accord conclu en octobre dernier sous l’égide de la Commission européenne, comme nous le notions déjà dans un précédent article. Il suffisait en effet que l’un des deux pays accueillant le plus de réfugiés (Allemagne et Autriche) temporise pour que l’ensemble de la chaîne, depuis la Slovénie jusqu’à la Macédoine, ferme à son tour ses frontières, laissant à la Grèce le soin de gérer les afflux journaliers de bateaux. Or, c’est exactement ce qui s’est passé ce mercredi 24 février, avec cette circonstance aggravante que l’accord conclu entre l’Autriche et les pays des Balkans (tous les pays de l’ex-Yougoslavie, Albanie et Bulgarie) s’est fait dans le dos de la Grèce, mise devant le fait accompli avec la fermeture de la frontière du côté de la Macédoine. Le flux remontant les Balkans s’est donc considérablement tari, puisque depuis quelques jours déjà, seuls les Syriens et Irakiens peuvent passer au compte-goutte. Ceux-ci sont alors pris en charge depuis la Macédoine jusqu’à l’Autriche.
La Grèce a officiellement protesté auprès de l’Autriche, qui se défend en rappelant le nombre considérable de réfugiés déjà présents sur son territoire. Cela ne règle cependant aucun problème puisque les réfugiés continuent d’arriver en Grèce, plus nombreux que ceux qui peuvent la quitter tous les jours. D’autre part, que faire des autres, notamment afghans ? Ces gens ne peuvent plus passer par la route classique, mais personne ne peut croire qu’ils feront demi-tour. On doit donc se préparer à ce que de nouvelles routes soient ouvertes par les passeurs, plus chères, plus dangereuses, par exemple par l’Albanie puis par la mer jusqu’en Italie. Le paradoxe est que l’UE annonce sa volonté de lutter contre les passeurs alors que ce sont justement les murs et les barbelés qui les enrichissent.
L’UE pense avoir trouvé la parade à travers l’accord conclu avec le pays source, la Turquie, quoi que son application laisse encore perplexe. Après avoir abandonné la solidarité, la concertation et la circulation, c’est ici la conviction qui est passée par pertes et profits avec cet accord tant les dérives autocratiques du régime turc sont caractérisées. Surtout, il vaudra mieux ne pas regarder de trop près comment les Turcs comptent s’y prendre pour garder sur leur territoire des gens qui veulent en partir.
Au fond, l’Europe avait à relever un défi à la hauteur de sa longue et douloureuse histoire. Pour paraphraser Churchill, elle avait le choix entre le déshonneur du regard détourné et la main tendue vers les réfugiés, elle a choisi le déshonneur, et elle aura les réfugiés.