L'édito de Pascal Boniface

Les quatorze mois de Jean-Marc Ayrault

Édito
16 février 2016
Le point de vue de Pascal Boniface

Jean-Marc Ayrault vient de succéder à Laurent Fabius à la tête de la diplomatie française. Ancien Premier ministre, c’est un poids lourd de la vie politique qui sera en contact direct avec le président de la République. Ses conceptions de la politique internationale sont un mélange de gaullo-mitterandisme et de sensibilité de la gauche chrétienne, très forte dans l’ouest de la France, attachée aux droits de l’Homme et à la coopération Nord/Sud.


La question est de savoir quelle pourra être sa marge de manœuvre, à quatorze mois de l’échéance présidentielle? Quelles sont les actions d’envergure qu’il aura le temps de mettre en œuvre et de réussir ?


Il faudra donc que Jean-Marc Ayrault dégage des priorités sur ce qu’il est raisonnablement possible de réaliser dans un temps court.


Sa connaissance de la langue allemande – si rare en France – et de l’Allemagne fait naturellement de la restauration d’une forte relation franco-allemande une priorité. Les liens se sont relativement distendus du fait de l’existence objective des différences d’intérêts et d’une certaine usure ou dilution de la relation. Jean-Marc Ayrault est bien placé pour redynamiser la relation à un moment où les deux pays constatent que leur éloignement relatif les dessert tous les deux. Même dans une Union européenne élargie à 28, le couple franco-allemand reste le meilleur pour parvenir à un résultat, comme le montrent les accords de Minsk de février 2015 parrainant un cessez-le-feu entre l’Ukraine et la Russie.


On dit également que la France est moins présente qu’auparavant à Bruxelles dans une Europe qui fait face à la perspective d’un Brexit (sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne), de la crise que suscitent les réfugiés, d’une nouvelle coupure Est-Ouest et d’une crise potentielle de l’euro. La sensibilité européenne d’Ayrault l’incitera à faire du bon règlement de ces dossiers une priorité.


Sur deux sujets majeurs, la Syrie et le conflit israélo-palestinien, les marges de manœuvre sont faibles. Sur la Syrie, le nombre de paramètres, les divergences fondamentales de perception et d’intérêts des multiples protagonistes éloignent malheureusement pour le moment toute perspective de règlement politique. Jean-Marc Ayrault a pour seul avantage de pouvoir reprendre le dossier de zéro.


Sur le conflit israélo-palestinien, la France est moins volontaire, et ce depuis 2005. La situation paraît inextricable face un gouvernement israélien fermé à toute solution politique, un futur occupant de la Maison-Blanche qui sera forcément plus favorable encore à Israël qu’Obama et une impuissance généralisée des autres États. Quand bien même Jean-Marc Ayrault voudrait agir, il n’est pas sûr que l’Élysée n’y fasse pas obstacle.


Lorsqu’il était Premier ministre, Jean-Marc Ayrault avait effectué un nombre de déplacements conséquents en Asie. Il aura certainement à cœur de poursuivre ce rééquilibrage de la diplomatie française dans cette région et d’y développer la présence de la France. En Afrique, les opérations militaires en cours donnent un plus grand poids au ministère de la Défense vis-à-vis du quai d’Orsay. Il n’est pas certain que cette tendance puisse être inversée d’ici 2017.


Mais en liaison avec l’Allemagne, il est un sujet sur lequel Jean-Marc Ayrault pourrait obtenir un progrès significatif : la restauration d’un certain niveau de relations avec la Russie qui pourrait mener à la levée des sanctions établies en conséquence de l’affaire ukrainienne. Il y a deux ans, les Occidentaux considéraient Moscou comme entièrement coupable du conflit avec l’Ukraine et les dirigeants ukrainiens comme uniquement victimes. Aujourd’hui, il est de plus en plus évident qu’il y a des faucons à Kiev et que le problème principal de ce pays est la corruption de ses dirigeants plus encore que les interférences, certes réelles, de la Russie. Les sanctions décrétées par les Occidentaux à l’égard de ce pays pèsent sur les économies française et allemande. C’est un piège dont elles ont besoin de sortir. Et c’est un bon levier pour que Berlin et Paris agissent en commun avec une chance de succès.

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