ANALYSES

Sous-marins australiens : la politique d’exportation japonaise à l’œuvre

Tribune
10 février 2016
Dans la compétition pour le renouvellement des sous-marins australiens, Tokyo a assuré le gouvernement australien d’un transfert de la technologie furtive japonaise la plus confidentielle, rapportent les médias australiens lundi. D’après The Australian, le Japon propose d’agrandir son sous-marin de six à huit mètres afin qu’il puisse transporter davantage de carburant et des batteries plus puissantes pour tenir compte des énormes distances parcourues par la marine australienne. Par rapport au sous-marin japonais Soryu, la version australienne mesurerait donc 90 mètres. Cette concession majeure est significative à plusieurs égards des évolutions de la politique d’exportation japonaise d’armements.

Une évolution exemplaire

La rupture dans la politique d’exportations d’armements japonais est récente. C’est en effet le 1er avril 2014, sous la volonté du Premier ministre Shinzo Abe de libérer le Japon de son carcan et d’offrir de nouvelles perspectives à l’industrie d’armement, que le Conseil des ministres japonais a pris la décision importante de supprimer un embargo (en place depuis 1967) sur les exportations d’armes. Les ventes à l’étranger permettraient de réduire les coûts unitaires et de maintenir les petits fournisseurs japonais d’armements. Environ 3 000 entreprises privées produisent des armements au Japon, mais moins de 300 tirent plus de la moitié de leurs revenus de l’activité défense. A l’origine, cet embargo empêchait le Japon de vendre des armes aux pays communistes, aux pays impliqués dans des conflits internationaux, et aux pays soumis à un embargo par une résolution des Nations unies. Ces trois principes ont été transformés en une interdiction générale en 1976. L’embargo a été assoupli en 2011 pour permettre au Japon de s’engager dans le développement et la production d’armes avec les États-Unis, notamment dans le cadre de la défense antimissile. En avril de cette année, les principes ont donc été entièrement supprimés et remplacés par un embargo sur les exportations d’armes vers les pays en conflit et des exportations qui seraient en violation des résolutions de l’ONU. Et le 8 juillet 2014, le Japon et l’Australie ont signé un accord sur le transfert de matériel et de technologie de défense. La vente envisagée de la technologie des sous-marins Soryu se situe dans ce cadre.

Si le contrat est majeur par son montant, 50 milliards de dollars australiens (31,6 milliards d’euros) et par son ampleur – portant sur la construction d’une flotte de sous- marins de nouvelle génération, pour remplacer les sous-marins diesel-électriques actuels de la classe Collins qui seront mis au rebut à partir d’environ 2026, d’autres perspectives s’offrent à l’industrie d’armement japonaise.

D’autres pays pourraient faire l’objet d’exportations d’armements pour des montants moins élevés.
Le Japon et l’Inde sont également en pourparlers finaux concernant l’hydravion ShinMaywa US-2. C’est un quadrimoteur avec un rayon d’action de 4 700 kilomètres. Il pourrait jouer un rôle en matière de patrouille, recherche et sauvetage, et aussi de ravitaillement dans l’océan Indien. Le contrat est d’une valeur estimée de 1,65 milliard de dollars pour une douzaine d’exemplaires.
En matière aéronautique aussi, le Japon souhaiterait aussi vendre son avion de patrouille maritime Kawasaki XP-1, notamment au Royaume-Uni.

Le Japon aurait aussi l’intention de commencer la livraison d’armements d’occasion aux pays en développement, notamment aux membres de l’Association des nations d’Asie du sud-Est (ANASE). Dans cette optique, le département de la logistique du ministère japonais de la Défense a entamé la préparation des amendements à la législation, selon le journal Tokyo Shimbun. Il s’agit de l’exportation d’un large éventail d’armes et d’équipements (véhicules blindés, casques et autres matériels de seconde main des forces d’autodéfense japonaises). Les autorités japonaises croient que cette initiative aidera Tokyo à renforcer ses relations avec les pays de l’ASEAN. Avec Taïwan, Tokyo va déjà livrer des navires garde-côtes (10 unités) ainsi qu’avec les Philippines.

Au total, et par son ampleur, le contrat australien est symbolique de l’importance que Tokyo apporte à cette compétition et à la promotion de son industrie d’armement. Car deux autres candidats sérieux sont sur les rangs pour ce contrat géant. Il s’agit du groupe français spécialiste du naval de défense DCNS et de l’allemand ThyssenKrupp Marine Systems (TKMS). Tokyo cherche donc à s’assurer un succès face à des offres compétitives.

Enjeux stratégiques

Les aspects politico-stratégiques sont également aussi déterminants dans ces évolutions. Shinzo Abe est bien conscient du fait que la vente de grandes plates-formes de défense tels que des sous-marins et des avions de patrouille – équipements souhaitables pour les pays proches de la Russie, la Corée du Nord et la Chine – peut assurer des relations plus profondes au plan géopolitique. Ainsi, Canberra et Tokyo ont des intérêts stratégiques dans la paix et la stabilité régionales, soutenus par des valeurs démocratiques communes et un attachement à la primauté du droit. Cette convergence d’intérêts communs est assez ancienne. Elle s’est accélérée depuis 2007 : en mars de cette année-là une Déclaration conjointe sur la coopération de sécurité a été signée par le Premier ministre japonais Taro Aso et le Premier ministre australien John Howard lors de sa visite au Japon.

Depuis, la coopération n’a cessé de se renforcer sur le plan sécuritaire avec des exercices communs, navals notamment, y compris avec les Etats-Unis, qui ont aussi une base de Marines à Darwin, dans le nord de l’Etat-continent. Renforcer la coopération sur la technologie militaire permet de renforcer l’alliance avec un pays clé de la stratégie du « pivot » américain en Asie-Pacifique. Le ministre adjoint de la défense japonais, Kenji Wakamiya, a d’ailleurs souligné cela dans un entretien avec le journal The Australian que Tokyo ne partageait habituellement la technologie de ses sous-marins de la classe Soryu qu’avec les Etats-Unis. Mais l’Australie est également considérée comme une alliée de confiance, a-t-il ajouté. « Il est très important pour nous que nous partagions cette technologie secrète avec l’Australie », a-t-il dit. Que Tokyo soit prêt à le faire prouve combien le Japon est engagé dans le maintien de la stabilité régionale, a-t-il poursuivi. « Soyez certains que cette décision est fondée sur le fait que le Japon considère l’Australie comme un partenaire de premier plan. Je crois qu’un projet conjoint pour construire les nouveaux sous-marins contribuera grandement à la sécurité maritime de cette région ». En grande partie en raison des tensions avec la Chine en mer de Chine méridionale et de l’Est, le Japon augmente sa flotte sous-marine à 22. Fin 2015, le ministre de la défense japonais, Gen Nakatani, avait également fait valoir que choisir Tokyo contribuerait à la sécurité de la région Asie-Pacifique face aux ambitions croissantes de la Chine. Les chefs de la diplomatie et de la défense des deux pays montrent régulièrement leur unité en condamnant « l’usage de la force ou la coercition pour changer unilatéralement le statu quo en mer de Chine orientale et méridionale », allusion claire à la Chine qui a dans la première mer un sérieux conflit territorial avec le Japon autour des îles Senkaku / Diaoyu, et dans la seconde avec quatre pays de la région: Vietnam, Malaisie, Philippines et le sultanat de Brunei.

La politique d’exportation d’armements japonaise a donc des facettes économiques et stratégiques qui sont complémentaires.
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