20.11.2024
Vague de droitisation en Europe de l’Est : pourquoi ce qui se joue en Pologne et en Hongrie n’est pas de la même nature
Presse
28 janvier 2016
Le gouvernement polonais s’est attaqué à la liberté de la presse et aux médias publics. Des nominations politiques sont intervenues dans les directions de la radio et de la télévision publiques polonaise. Une loi a également été passée pour que dans les plus hauts échelons de l’administration polonaise, des fonctionnaires loyalistes et fidèles à la ligne du régime puissent être nommés. Enfin, le gouvernement s’est attaqué au tribunal constitutionnel dont les compétences ont été modifiées après un vote du Parlement et du Sénat polonais en décembre.
Cela est très problématique car le tribunal constitutionnel est l’instance qui peut mettre une entrave à la politique du gouvernement polonais. L’idée sous-jacente du gouvernement est de retirer toutes les entraves à la politique autoritaire.
On peut établir des similitudes entre la Hongrie et la Pologne. Le leader du parti conservateur polonais affiche depuis longtemps ses sympathies avec Viktor Orban. Il a d’ailleurs déclaré « je souhaite construire Budapest à Varsovie », et les deux dirigeants se sont rencontrés (rencontre secrète) au début du mois de janvier. L’affiliation entre les deux hommes est assez claire.
Par ailleurs, le PiS polonais et le Fidesz hongrois partagent le même corpus idéologique. Leur rhétorique repose sur l’idée que le monde étant de plus en plus compliquée, de plus en plus incertain, un gouvernement autoritaire représente le seul garde-fou contre les dérives de la mondialisation. Ce modèle privilégié par Viktor Orban a fonctionné, peu importe la façon dont on le juge. La Pologne souhaite faire la même chose, est-ce qu’elle réussira à imposer ce modèle? C’est un autre problème.
Pour autant, est-il pertinent de parler d’orbanisation de la Pologne? N’y a-t-il pas des différences fondamentales entre les deux pays ?
La première différence tient à l’organisation et à l’influence de la société civile. Contrairement à la Hongrie, on a constaté une réaction relativement importante de la part de la société civile polonaise. Des manifestations ont eu lieu. Des gens ont défilé dans la rue avec les drapeaux polonais et européen en chantant l’hymne européen. Il faut rappeler que les Polonais sont très attachés aux acquis de la transition polonaise et du miracle économique polonais. Même si toute la société polonaise n’a pas profité des fruits de la transition économique, une frange importante de la société polonaise s’y est habituée. Je ne suis pas sûr que cette frange laisse le pays revenir sur les acquis des huit dernières années.
L’autre dimension sur laquelle les deux pays divergent est la dimension stratégique. De loin, on peut avoir l’impression qu’il existe une certaine similitude dans la ligne idéologique des deux pays. Or, à plus grande échelle, il y a toujours eu des tensions latentes et structurelles. La fracture la plus importante est la fracture vis-à-vis de la Russie. Les Polonais ont un souvenir très vivace de la férule soviétique, ils sont tout à fait antirusses, ce qui n’est ni le cas de Viktor Orban, ni le cas de la Hongrie.
Quel est le sentiment de la Pologne à l’égard de l’Union européenne ?
Sur cette question, il convient d’être un peu mesuré. Des réactions un peu épidermiques ont pris forme après que le drapeau de l’Union européenne a été enlevé de la salle de presse du gouvernement polonais. On peut toutefois interpréter ce geste comme une volonté de la Première ministre polonaise de se démarquer de Donald Tusk, ancien Premier ministre et actuel Président du Conseil européen, et de se réapproprier son territoire. Bien sûr on peut comprendre que ce geste ait choqué puisque on sait combien la Pologne a bénéficié des fonds structurels européens.
Mais dans le détail, si on regarde bien, aucune mesure tangiblement anti-européenne n’a été prise. Au contraire, les dirigeants polonais, dans leurs déclarations publiques, affichent une volonté explicite de coopérer avec l’Union européenne.
Il convient de faire attention à ne pas tarir en braquant trop la Pologne, en la mettant au ban. Cela risquerait d’avoir l’effet inverse et de pousser la Pologne à s’enfoncer dans la rhétorique anti-européenne et anti-libérale.
La Pologne est le pays le plus important sur les plans démographique, stratégique et économique en Europe de l’Est. Est-ce que cette dérive de la Pologne va pousser l’Union européenne à davantage prendre position et agir contre les tendances à l’œuvre en Pologne et en Europe de l’est de façon plus générale ?
On peut craindre que se constitue en Europe de l’est une sorte de masse critique. En raison d’une conjonction idéologique et de la crise des réfugiés, nous sommes face à un risque de formation d’un front eurosceptique à l’est. Cela est visible en Hongrie et en Pologne mais aussi en Slovaquie, en République tchèque et en Autriche où des mesures de rétablissement des contrôles aux frontières ont été prises. L’Union européenne doit être très vigilante car il s’agit de principes qui sont au fondement du projet européen, en l’occurrence la liberté de circulation et l’état de droit. Si se constitue un front qui remet en cause ces principes, l’Union européenne doit réagir.