ANALYSES

Élections présidentielles à Taïwan : quels enjeux ?

Interview
18 janvier 2016
Le point de vue de Olivier Guillard
Quel bilan peut-on dresser des huit années de présidence Ying-jeou Ma ?
Les millions d’électeurs taiwanais qui se sont rendus aux urnes samedi 16 janvier, à l’occasion du 6e scrutin présidentiel au suffrage direct, devaient désigner un ou une successeur au chef de l’Etat sortant, Ying-jeou Ma (parti du Kuomintang), en poste depuis 2008. La Constitution de la République de Chine (Taiwan) limitant à deux le nombre des mandats présidentiels consécutifs possibles, Ying-jeou Ma ne pouvait se représenter ; du reste, en eu-t-il eu le droit, se serait-il exposé une troisième fois (après les scrutins de 2008 et 2012) au jugement populaire ? Il y a fort à parier que non, tant son aura auprès de la population s’était peu à peu dégradée au fil de son dernier mandat.
Non que son action à la tête de l’insulaire République de Chine ait été de bout en bout un chemin de croix. Ayant succédé en 2008 à l’administration Chen Shui-bian (Democratic Progressive Party, DPP) – dont la fin de mandat (2000-2008) fut elle aussi délicate pour le président [1] -, Ying-jeou Ma (du parti du Kuomintang, une formation nationaliste) avait parmi ses missions présidentielles premières de refaçonner une trame de rapports moins conflictuelle avec Pékin. De fait, sous la houlette de Chen Shui-bian, les huit années de gouvernance DPP – une formation politique à l’agenda pour le moins sino-sceptique, voire pro-indépendance – avait placé Taipei et Pékin sur une ligne de faille et de tension particulière.
On pourrait presque dire que Ying-jeou Ma s’est trop bien employé à la tâche… Ses critiques les plus virulentes dans l’opinion publique taiwanaise – rappelez-vous l’éphémère révolution des tournesols à Taipei début 2014 – lui reprochaient bien avant le scrutin de samedi dernier d’avoir sans grand discernement trop œuvré, en voulant soigner, étendre puis densifier les rapports entre les « deux Chine », à la mise sous tutelle de l’irréductible « île rebelle ». Une perception négative que la rencontre historique – une première en 66 ans – des deux présidents taiwanais Ying-jeou Ma et chinois Xi Jinping en novembre dernier (organisée à Singapour) n’avait guère contribué à apaiser.
Pour autant, Ying-jeou Ma pourra se prévaloir, lorsque le courroux de l’opinion sera retombé à son égard – il va falloir tout de même un peu de temps… –, d’avoir été la principale cheville ouvrière taiwanaise d’une période de détente historique avec la puissante et parfois bien vindicative République populaire de Chine. De quoi en théorie laisser une certaine empreinte dans l’histoire…

Quel est le défi économique auquel sera confronté madame Ing-wen Tsai, la nouvelle Présidente taiwanaise ?
La toute première femme à occuper ces fonctions à Taipei devra parallèlement s’employer sur le front domestique – économique et social – et sur le glissant dossier des relations avec la République Populaire de Chine, laquelle ne faisait du reste guère mystère de sa préférence pour une stabilité politique [2] à Taipei. Le prisme très-trop Pékin adopté ces dernières années par l’administration sortante a naturellement eu sa part dans le net revers électoral subi par le KMT. Des élections parlementaires étaient organisées en parallèle du scrutin présidentiel ; là encore, le DPP remporta nettement la mise, raflant au passage 60% des sièges. Interrogées par l’auteur à la sortie des bureaux de vote à Taipei, plusieurs votants ont laissé connaître leur courroux à l’égard du gouvernement Ying-jeou Ma, au sujet de son agenda pro-chinois supposé, mais également pour avoir négligé la situation socio-économique intérieure, la situation de la classe moyenne et des foyers les plus modestes.
Non que début 2016 la situation économique taiwanaise soit en péril. Si la croissance s’est certes nettement tassée dernièrement (PIB autour de +1% en 2015 selon les estimations, contre 3,8% en 2014), si la population déplore l’existence de fortes tensions sur le marché de l’immobilier, le panorama n’apparait pas non plus irrémédiablement sinistré : le chômage demeure contenu (4% de la population active), le pourcentage de la population vivant sous le seuil de pauvreté reste modeste (moins de 2%), idem pour l’inflation (1,2% l’an passé), la balance commerciale demeure excédentaire, etc.
Lors d’une de ses toutes premières interventions publiques une fois les résultats officiels proclamés, la future présidente – qui prendra ses fonctions la seconde quinzaine de mai – s’est déjà engagée à se pencher avec plus d’empathie que l’administration sortante sur le sort des couches les plus modestes de la société taiwanaise, et à accorder plus d’attention aux conditions de vie de l’ensemble de ses administrés.

Risque-t-on d’assister à un gel des relations entre la République Populaire de Chine et sa voisine taiwanaise?
Une seule chose est à cette heure certaine : avec l’alternance gouvernementale qui se prépare à Taipei, le sévère bouillon électoral infligé au KMT et un sentiment populaire taiwanais actuellement très remonté à l’endroit de Pékin, ce dernier fait également figure de grand perdant du rendez-vous politique du 16 janvier.
La détente inédite observée ces huit dernières années entre les « deux Chines » – un dividende sécuritaire important à mettre en grande partie au crédit d’un Ying-jeou Ma aujourd’hui vilipendé – risque de prendre sinon des coups de canif du moins un moment de pause, voire de réflexion. Pour autant, madame Tsai n’a pas évoqué de rupture avec Pékin lors de sa campagne électorale. Pragmatique, elle a tout récemment affirmé qu’elle entendait maintenir le statu quo dans les rapports (politiques et protocolaires) entre Taipei et Pékin, que le consensus de 1992 [3] continuerait de prévaloir sous son gouvernement. Une façon de rassurer quelque peu les autorités chinoises, mais également Washington, l’alliée historique de Taipei, inquiète elle aussi des conséquences éventuelles d’un raidissement de Pékin à l’endroit de la prochaine administration.

[1] L’ancien Président Chen Shui-bian est du reste encore assigné à résidence après avoir été condamné dans une affaire de corruption.
[2] Entendez une victoire électorale du Kuomintang – le KMT -, formation plus convaincue des bénéfices à retirer pour Taiwan et son économie d’un rapprochement mesuré avec la 2e économie mondiale et partenaire commerciale n°1 de l’économie taiwanaise.
[3] Résumé sommairement sous le principe accepté conjointement à Taipei et Pékin : ‘’One China with respective interpretations’’.
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