ANALYSES

La Pologne et le raidissement réactionnaire en Europe

Tribune
14 janvier 2016
Que se passe-t-il en Pologne ?

On assiste depuis le mois d’octobre à un tournant autoritaire et à un repli réactionnaire en Pologne suite à la victoire du parti nationaliste et conservateur Droit et Justice (PiS) qui a obtenu un peu moins de 40% des voix et 50 % des sièges au Parlement. Après huit années passées dans l’opposition, ces résultats lui permettent désormais de gouverner seul.

Le PiS semble avoir rallié les électeurs en misant sur les thèmes de la fierté nationale et du retour de l’ordre moral, en ciblant plutôt la vieille Pologne rurale des bastions de l’Est, marginalisée par la transition économique du pays. C’est elle qui aurait voté contre la mouvance libérale et européenne qui caractérisait la politique de Plate-forme civique, le parti de l’actuel président du Conseil européen, Donald Tusk.

Depuis octobre, le gouvernement polonais a opté pour un démantèlement des contre-pouvoirs au niveau national et une politique de la terre brûlée au niveau international.

Il s’est tout d’abord attaqué au Tribunal constitutionnel, qui seul peut entraver le passage de certaines mesures législatives. La loi sur les compétences du Tribunal a été amendée et a été adoptée par le Parlement et le Sénat polonais en décembre.

Il s’est ensuite également attaqué à la liberté de la presse et aux médias publics, en votant une loi qui soumet la télévision et la radio publiques au contrôle du gouvernement, et qui a permis de remplacer leur direction.

Du point de vue économique, comme l’a récemment noté le commentateur Jakub Iwaniuk, les réformes ne sont pas sans rappeler la « démocratie non libérale » prônée par Viktor Orban en Hongrie. On note ainsi une volonté de renationalisation de l’industrie et de taxation du secteur financier.

Quelles conséquences sur le plan extérieur ?

La première chose que le nouveau gouvernement a cru utile de faire a été de retirer le drapeau de l’Union européenne de la salle de presse du gouvernement. Quand on sait combien la Pologne a bénéficié économiquement depuis 2004 des fonds structurels européens, cela heurte forcément les susceptibilités.

Alors que la Plate-forme civique de Donald Tusk se caractérisait par un certain tropisme européen et entretenait de bonnes relations avec l’Allemagne et la France, le PiS a récemment dénoncé la « vassalisation » de la Pologne par l’Allemagne, le projet de gazoduc Nord Stream 2, et a convoqué l’ambassadeur allemand pour s’expliquer des propos « anti-polonais » tenus par des dirigeants allemands.

La Pologne a remis en cause le contrat entre Airbus et son gouvernement qui porte sur une cinquantaine d’hélicoptères Caracal pour une valeur de 3 milliards d’euros. Les Etats-Unis ne sont pas en reste puisque le contrat pour les missiles sol-air Patriot a été jugé insuffisamment favorable aux intérêts nationaux du pays. Le ministre de la Défense polonais, qui appartient à l’aile droite du PiS, a par ailleurs fait investir un centre de recherche de l’OTAN pour en purger l’ancienne direction jugée non loyaliste.

On peut donc forcément craindre un isolement de la Pologne vis-à-vis de l’Europe de l’Ouest, comme ce fut le cas lors des premiers gouvernements du PiS, entre 2005 et 2007. Cette posture est somme toute cohérente avec la vision historique du parti, qui privilégie un rôle de leader régional.

Rappelons que la Pologne est opposée à la création d’un corps de gardes-frontières européens. Rappelons également que la Hongrie, la Roumanie, la République tchèque et la Slovaquie sont hostiles à la répartition des réfugiés et des migrants proposée par la Commission européenne. On a parlé d’ « orbanisation » voire de « poutinisation » de la Pologne, dans un pays où la démocratie et les institutions, qui datent de la chute du communisme, sont encore très jeunes. Des tendances similaires sont à l’œuvre en Hongrie et en République tchèque, qui contestent explicitement les valeurs sur lesquelles se fonde l’Union européenne. Cette dernière peut ainsi légitimement craindre l’émergence d’un bloc eurosceptique à l’Est.

Quelles répercussions pour l’Europe ?

Ce sont bien aujourd’hui les principes mêmes de l’Union qui sont contestés, et non plus seulement son fonctionnement. Entre les remises en cause de la libre circulation du fait de la crise des réfugiés, du principe de non-discrimination dans le cadre des négociations sur le Brexit, de l’Etat de droit par la Hongrie et la Pologne, du consensus politique par la montée des populismes et de l’euroscepticisme, sans même parler de la crise subie par la monnaie unique et naturellement des enjeux de sécurité, l’année 2016 ne commence pas mieux pour l’Union que la précédente, ni ne s’annonce moins risquée, bien au contraire.

On a le sentiment que, jusqu’alors, chacun tirait la couverture à soi pour au final trouver un compromis acceptable et que – pour pasticher le grand attaquant anglais de l’équipe de Tottenham, Gary Lineker – c’était l’Allemagne qui gagnait. Aujourd’hui, alors que le Royaume-Uni a la tête à son référendum et que l’Allemagne est déjà en année pré-électorale, bientôt suivie par la France, c’est la couverture elle-même que l’on va finir par détricoter…

Mais n’oublions pas que, pendant ce temps-là en Pologne, des citoyens sont dans les rues de Varsovie, brandissent drapeaux européens et polonais, contestent son repli réactionnaire et sa politique vis-à-vis des réfugiés, plaident pour une Pologne ouverte et chantent l’hymne de l’Union européenne.
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