27.11.2024
Libye : quels sont les enjeux de l’accord sur la formation d’un gouvernement d’union ?
Interview
16 décembre 2015
Pour ce qui est des forces en présence, il y a pour le moment de très nombreuses milices qui ont refusé de déposer les armes après la chute de Kadhafi. Il y a surtout deux gouvernements et deux parlements rivaux qui siègent séparément ; l’un à Tobrouk et l’autre à Tripoli. Pour ajouter à la confusion libyenne, il y a depuis un an et demi maintenant l’implantation de Daech qui se situe essentiellement dans l’Est du pays, dans la région de Derna, et qui tente aujourd’hui de trouver des couloirs économiques vers Syrte et Benghazi, là où se situent d’importants champs pétrolifères. On est dans une situation de grande confusion, où le chaos et la guerre civile règnent en maîtres. Il n’y a pas d’autorité. Ainsi, il est très compliqué pour la communauté internationale d’avoir des interlocuteurs crédibles et valables, dont la parole est reconnue par l’ensemble des Libyens. Les rapports de force sont très variables en fonction des alliances et des mésalliances et de ce qui se passe sur le terrain.
Quels sont les enjeux de l’accord sur la Libye qui devrait être signé ce 17 décembre à Rabat ?
Il faut rappeler que cet accord se négocie depuis 14 mois entre les factions rivales libyennes. Bernardino Léon, le premier émissaire des Nations unies pour la Libye, n’est pas parvenu à arracher un accord aux protagonistes de cette guerre. Aujourd’hui, le nouvel émissaire allemand, Martin Kobler, semble avoir réussi en quelques semaines à faire ce que son prédécesseur n’a pas réussi à faire en 14 mois.
Cela étant, les représentants des deux parlements libyens s’étaient retrouvés le 6 décembre dernier dans le plus grand secret dans la banlieue de Tunis, à Gammarth, où ils sont parvenus à se mettre d’accord sur un texte. Mais celui-ci a été paradoxalement rejeté par les Etats-Unis et les Nations unies. Cela faisait pourtant un an et demi que l’on demandait aux Libyens de discuter et de parvenir à un accord sur la composition d’un gouvernement d’union nationale. Ce rejet est symptomatique des contradictions des diplomaties occidentales, certainement plus intéressées par la sécurisation de leur approvisionnement énergétique, notamment pétrolier, que par un retour à la paix réelle avec la constitution d’un Etat véritable qui puisse garantir à tous les Libyens un socle de valeurs communes. Rappelons que la Libye est le 4e producteur de pétrole du continent africain.
Cet accord de Rabat pour la formation d’un gouvernement d’union nationale et l’instauration d’un cessez-le-feu est décisif. La grande question qui se pose est de savoir s’il sera réellement appliqué. Il n’est pas du tout certain que les armées ou que les milices acceptent cet état de fait au vu de l’ingérence étrangère, notamment celle des Etats-Unis.
Quels en seront les effets ?
Si cet accord est rejeté par l’une des parties, que ce soit de Tobrouk ou de Tripoli, il n’y aura aucun effet concret et le pays continuera à s’enfoncer dans le chaos et la guerre civile. Le 13 décembre s’est tenue à Rome une conférence à l’initiative de l’Italie dans laquelle la communauté internationale avait apporté un soutien unanime à la formation d’un gouvernement d’union nationale et de réconciliation réunissant les principales composantes politiques de la Libye. Cela avait pour objectif d’appeler tous les Libyens à soutenir l’accord qui doit normalement être signé au Maroc ce 17 décembre. Or, lors de cet évènement, il me semble que les représentants des gouvernements occidentaux ont été assez maladroits en mettant sous pression les négociateurs libyens, ignorant l’attachement farouche des Libyens à leur indépendance et à leur souveraineté. Espérons que cette ingérence étrangère ne laissera pas de traces et surtout ne provoquera pas un effet de rejet de cet accord, ce qui serait une mauvaise nouvelle pour la Libye mais également pour les pays de la région.