27.11.2024
« Si son territoire est conquis, Daech disparaîtra »
Presse
19 novembre 2015
« Ce qui est inédit, c’est que nous avons été touchés par un organisme, Daech, qui a, à la fois, une assise territoriale en Syrie et en Irak et des ramifications à l’étranger. Ce qui fait qu’il peut se préparer tranquillement sur son territoire et ensuite aller frapper dans des pays qu’il considère comme ennemis, en plus avec des moyens conséquents. Car Daech a des moyens matériels et financiers qui n’ont rien à voir avec les moyens d’Al Qaeda, qui était, au fond, une organisation plutôt pauvre et limitée. Cette force de frappe, cette capacité financière et le fait qu’il soit à la tête d’une véritable armée constituent en plus une très forte attraction pour des combattants venus de l’étranger. Lesquels peuvent ensuite repartir vers l’Europe. Tout cela fait que nous avons là une menace qui est beaucoup plus forte, avec une capacité de frappe largement supérieure que celle à laquelle nous étions jusqu’à présent confrontés.
La réponse politique et militaire de la France vous semble-t-elle adaptée ?
Certains préconisaient de stopper les bombardements pour éviter qu’ils suscitent des représailles, mais si la France avait cessé les bombardements, cela aurait voulu dire qu’elle se soumettait au chantage politique terroriste, ce qui est tout à fait impossible. La décision de frapper encore plus fort pour montrer que la France ne céderait pas était sans doute le bon message à envoyer. Mais on sait que cela ne suffira pas à vaincre Daech. Cela passera par la mise en place d’une coalition beaucoup plus large et donc beaucoup plus forte.
Dans ce cadre, le rapprochement avec la Russie était-il indispensable ?
Bien sûr, même si nous n’avons pas les mêmes positions sur la Syrie. C’est justement pour cela qu’il faut encore plus nous rapprocher. Parce que malgré les divergences, il y un point qui nous unit désormais beaucoup plus fortement : le fait que nos deux pays ont été victimes de Daech. La Russie avec l’attentat contre son avion qui ramenait 240 touristes à Saint-Pétersbourg, et la France avec les attaques sur son propre territoire. Quant aux divergences que nous pouvons avoir sur le sort de Bachar el-Assad, ce ne sont peut-être pas des divergences éternelles.
Vous estimez que c’est aux nations sunnites de lutter en première ligne. Mais elles sont tout de même largement soupçonnées d’avoir financé Daech à ses débuts…
Daech a pu être financé à ses débuts par les Saoudiens mais cela fait longtemps que les fonds ont été coupés, parce que désormais Daech menace en premier lieu les pays arabes sunnites du Golfe, qu’il considère comme des pays apostats. Quant à leur contribution sur le terrain, je parle de troupes au sol. Car si la Russie, la France et d’autre pays peuvent bombarder des positions, on sait très bien qu’une intervention terrestre occidentale est l’autre objectif de Daech, qui veut tendre un piège comparable à l’Irak de 2003, une erreur qui a finalement conduit à l’acte de naissance de Daech. Pour le moment, ces pays (1) ne veulent pas y aller. Ils sont engagés au Yemen, qui ne me semble pas être la plus grande priorité. Il faut donc entamer un dialogue fort avec eux dans la mesure où nous sommes face à une forte contradiction : les pays occidentaux ne veulent pas aller au sol parce que cela renforcerait Daech sur le long terme et en même temps, s’il n’y a pas d’intervention au sol, il n’y aura pas de victoire définitive sur Daech.
Daech est-il vraiment inspiré par la religion ou s’agit-il d’un écran pour dissimuler des objectifs stratégiques régionaux et une volonté d’enrichissement ?
Les dirigeants de Daech et ceux qui ont perpétré les attentats du 13 novembre ne se sont jamais signalés par leur grande connaissance du Coran. On voit bien qu’ils utilisent la religion comme un vernis, comme une manière d’attirer les gens. Mais leur objectif est plus de type mafieux, avec des ambitions à la fois politiques et matérielles. La religion n’est qu’un étendard qu’ils brandissent sans vraiment le maîtriser ni le connaître.
État ou organisation terroriste ? Est-ce vraiment un débat essentiel ?
Pour ma part, j’ai appris qu’un État c’était un gouvernement qui exerçait son autorité sur une population établie sur un territoire, et que le droit international était indifférent au caractère démocratique ou à la nature du régime. Là aussi, même si les frontières sont mouvantes, il y a bien un gouvernement qui exerce son autorité sur une population. Donc, même s’il n’est pas reconnu, il y a bien un embryon étatique qu’il faut combattre et traiter comme tel. D’ailleurs, nous ne pouvons pas dire que nous sommes en guerre contre quelque chose qui n’est pas un état.
Que pensez-vous de la décision d’intensifier les frappes contre les installations pétrolières de Daech ?
C’est une manière de couper les sources d’approvisionnement financières de Daech. Et frapper à la bourse permet de réduire ses capacités d’intervention et de recrutement. Parce qu’il ne faut pas perdre de vue qu’il y a beaucoup de gens qui les rejoignent parce qu’ils sont payés. Si Daech n’était plus en mesure de fournir des salaires aux mercenaires et des services publics à la population, cela limiterait son attractivité pour les djihadistes et pour la population de la région.
Si on combine attaques au sol et bombardements d’une large coalition, on peut donc stopper et détruire Daech ?
Si le territoire est reconquis, Daech disparaîtra. Certes, ils peuvent s’éparpiller. Mais s’ils perdent une assise territoriale et une grande partie de leurs moyens financiers, leur capacité de nuisance sera sinon anéantie du moins très largement réduite. Mais cela ne se fera ni en quelques jours, ni en quelques semaines. Pour le moment, il y a un diagnostic commun pour dire que Daech est une menace mais il n’y a pas de stratégie commune à tous les pays concernés.
Que pensez-vous des mesures réclamées par l’opposition, telles que le placement en rétention de toutes les personnes faisant l’objet d’une fiche S ?
Parmi ces personnes fichées, certaines n’ont rien à voir avec Daech. Le fait de procéder à des punitions collectives comme celle-là risquerait de nourrir la radicalisation plutôt que de la combattre ».
On courrait un risque de type Guantanamo ?
On a bien vu que Guantanamo n’avait pas constitué une solution mais un problème supplémentaire. Guantanamo a nourri dans l’imaginaire collectif de ces régions une haine terrible à l’égard des États-Unis. L’invasion en Irak et la création de cette prison ont développé le terrorisme. Il convient peut-être d’apprendre des erreurs des autres et de ne pas les reproduire.