ANALYSES

Financement du terrorisme : « Dresser une liste noire »

Presse
24 novembre 2015
Le ministre des Finances Michel Sapin s’attaque donc depuis hier au problème du financement du terrorisme. Votre sentiment ?
Nous sommes en train d’enfoncer des portes ouvertes. Il rappelle aux banques d’être attentives au financement du terrorisme… je pense que c’est la moindre des choses. On est surtout dans le déclaratif. Je ne pense pas que ce soit le plus important dans l’histoire. Finalement, il met en avant des choses qui existent et il rappelle des évidences. Il serait plus urgent d’aller vers une coopération internationale entre les banques. Mais réelle. Je veux dire qu’il s’agit surtout de coopération internationale entre pays. Les banques sont elles-mêmes internationales. Au sein d’un même établissement, on pourrait être plus homogène. Une agence d’une banque en France ne se comporte pas forcément de la même manière qu’une agence de banque dans un paradis fiscal, même s’il s’agit de la même banque. On l’oublie un petit peu. On parle toujours des banques suisses, des banques aux Îles Caïman etc. mais en réalité ce sont les mêmes banques partout ! C’est la BNP, c’est City Group, c’est Barclay’s… Je pense donc que si les banques se comportaient réellement proprement partout dans le monde, ça irait déjà mieux. Il faut ensuite que tous les États – quand je dis tous c’est vraiment tous – se mettent enfin d’accord, ce qui sous-entend la fin des paradis fiscaux et bancaires.

Sur cette question, la volonté politique est trop faible ?
Pas seulement. D’abord parce que l’organisation bancaire est puissante. Ensuite, parce qu’il y a certains pays sur lesquels on ne peut pas « taper » comme ça : la Chine, Hong-Kong ou Macao par exemple. Ce sont des pays à part. Hong-Kong est un centre offshore extrêmement important, mais on hésite à taper sur les Chinois. On va même plutôt dans leur sens lorsqu’ils nous demandent de considérer Hong-Kong comme un territoire « hors-liste » : on ne sait pas s’il est « propre » ou « pas propre » puisqu’on n’a pas à l’évaluer. Ici, c’est bien la pression des Chinois qui l’emporte. Et puis chaque pays a ses propres banques qui ont des intérêts dans des paradis fiscaux. Par conséquent, on n’a pas trop envie non plus de mettre à mal ses propres banques. Pour nous Français, je pense à la BNP qui annonce à nouveau qu’elle retire toutes ses filiales des paradis fiscaux. Mais elle nous l’a déjà dit à plusieurs reprises. L’État français et les organisations internationales font disparaître certains pays des listes des paradis fiscaux. Bercy, par exemple, en janvier 2014, a fait disparaître de ces listes Jersey et les Bermudes. Ça nous a un peu surpris, mais en tout cas cela permet à la BNP de rester à Jersey et dans les Bermudes ! On voit bien qu’il y a pas mal d’hypocrisie. Aujourd’hui on a effectivement envie de lutter contre le terrorisme, mais de là à mettre à mal un système bancaire et financier qui pour le moment fonctionne très bien comme ça… j’attends de voir. On se dit que pour 30 000 gars (Daesh, ndlr) que l’on va essayer d’éradiquer, on ne va peut-être pas pousser jusqu’à changer tout le système. Alors que je crois que la solution d’urgence, de manière très sincère, objective et honnête, ce serait de tirer une « liste noire » des pays où financièrement il y a un problème. Qu’il soit d’opacité, de financements occultes, de financements suspects, etc. et de ne plus travailler avec les banques de ces pays. Déjà, ce serait un premier pas. La seule institution qui peut prendre les choses en main est le FMI. Il existe bien le GAFI (groupe d’action financière créé en 1989 à Paris lors d’une réunion du G7, créé justement pour réfléchir sur les problème de blanchiment dans le monde, ndlr) mais il n’a qu’un pouvoir réduit. Il émet des conseils. Il faudrait étendre son pouvoir. Le problème, c’est que l’on parle de pays comme l’Arabie saoudite ou le Qatar, et qu’il faudrait les mettre dans le lot. Il y aurai aussi Dubaï, il y aurait Israël, la Chine, la Russie… Ça fait du monde, beaucoup de pays qui impliquent un certain nombre de réticences d’ordre diplomatique.

Puisqu’on en est aux « systèmes », comment le terrorisme se finance-t-il ?
Pour Daesh c’est un peu particulier. C’est une organisation qui utilise beaucoup de liquide pour ses transactions et de façon directe. De plus, Daesh a son propre système. L’organisation jihadiste n’est certes pas un « pays », mais c’est un territoire, avec des banques, avec un « État. ». L’argent qui arrive dans ses territoires entre dans ses propres banques sans plus de soucis. En externe, la particularité de Daesh – en tout cas pour le moment – c’est qu’il n’a pas beaucoup de besoins financiers. A priori, les circuits de blanchiment internationaux sont moindres que l’on a pu le voir avec Al Qaeda il y a quelques années.

Mais pour ce qui est des terroristes « de base », ceux qui attaquent ?
Les possibilités sont nombreuses. En janvier, on a vu l’utilisation du crédit revolving ou du crédit à la consommation. En fait, on n’a même pas besoin de les financer, ils se financent tout seuls. En prenant un crédit et en se faisant sauter après ! Et puis l’autre problème en termes financiers pour le terrorisme, c’est que finalement on n’a pas besoin de beaucoup d’argent. Il est certain que la piétaille ne coûte rien, et, s’il y a besoin d’argent, il y a les valises de billets, des relais dans des associations voire dans des mosquées qui vont pouvoir aider sur place. On sait très bien que des explosifs et des Kalachnikov, même en France, ça ne coûte pas très cher. Mais c’est une vieille question : je me souviens qu’après le 11 septembre aux États-Unis on avait déjà dit « on va lutter contre le financement », or je l’avais dit : « Mais regardez ce qu’ont coûté les attentats » c’était le prix de quelques cours de pilotage et d’un billet d’avion…

Dans ces conditions, attaquer Daesh militairement en Syrie est-il vraiment utile ?
Il faut le faire, je pense. Mais ce n’est pas d’une efficacité énorme parce qu’ils ont des systèmes d’extraction mobiles. Une fois qu’on bombarde, quelque temps après ils sont ailleurs avec leurs systèmes. Donc, je ne dis pas que ce n’est pas à faire, mais ce n’est pas forcément complètement efficace. Il faut absolument doubler ces attaques et opérer à des bombardement sur les convois de camions-citernes. Parce qu’il demeure vrai que le pétrole est la source principale du financement de Daesh. Les chiffres sont évidemment extrêmement flous, mais ceci représente à peu près la moitié de leurs revenus.
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