ANALYSES

« La coalition entre la France et la Russie est dans notre intérêt commun »

Presse
23 novembre 2015
Comment l’action russe en Syrie est-elle perçue en France après les attentats du 13 novembre ?
La perception en France de l’action russe en Syrie n’a pas changé après les attentats du 13 novembre. Bien sûr, la France a été frappée par Daech et non pas par Bachar el-Assad mais les responsables français et la majorité de l’opinion (il y a quelques avis contraires) estiment que Bachar et Daech sont des ennemis complémentaires, que le premier est en grande partie responsable de la montée en puissance de Daech par sa brutale et sectaire répression. Le désaccord qui existe entre Paris et Moscou sur le soutien au régime de Bachar n’a donc pas changé. La ligne en France est toujours « ni Bachar ni Daech », même si dans un premier temps les efforts seront concentrés sur la guerre contre l’État islamique. Mais cette priorité ne vaut pas la réhabilitation de Bachar el-Assad.

La France devrait-elle coopérer avec la Russie sur le dossier syrien ? À votre avis, jusqu’où cette coopération devrait-elle s’étendre ?
Nous devons coopérer avec la Russie, non seulement sur le dossier syrien mais sur tous les dossiers importants. C’est l’intérêt de nos deux pays. Coopérer ne veut pas dire être d’accord sur tout. La Russie a soutenu l’action française au Mali et nous lui en sommes reconnaissants. Sur le dossier du nucléaire iranien, Paris et Moscou ont partagé la même ligne et cela a permis d’aboutir à un succès historique. Sur le dossier ukrainien, nous avons des divergences mais François Hollande a toujours voulu maintenir un contact avec la Russie, refusant d’écouter ceux qui lui demandaient de ne pas inviter Vladimir Poutine aux commémorations du 70e anniversaire du débarquement, s’arrêtant spécialement au retour d’un voyage au Kazakhstan pour voir le président russe en décembre 2014. C’est parce que nous avons bien travaillé ensemble que nous avons pu signer les accords de Minsk en février 2015. Sur le dossier syrien nous devons travailler ensemble car nous avons intérêt à un accord. Nous sommes en phase pour dire que Daech doit être vaincu. Paris veut le départ de Bachar, Moscou le soutient. À terme nous pouvons être d’accord sur la solution consistant à établir un gouvernement de transition regroupant des éléments du régime sans Bachar, et l’opposition sans Daech.

Russie, Iran, États-Unis… dans quelle mesure ce projet de coalition internationale est-il réalisable ? Et quelles sont les difficultés qui se dressent devant la France ?Une grande coalition internationale est nécessaire pour vaincre Daech. Celle-ci doit englober non seulement la Russie, l’Iran, les États-Unis et la France, mais également la Turquie, les pays du Golfe et d’autres pays européens. Le problème est que si chacun est d’accord pour dire qu’il faut vaincre Daech, nous ne sommes pas encore d’accord sur les moyens d’y parvenir. Une intervention terrestre sera indispensable et ne peut, pour des raisons d’efficacité, être menée par les Occidentaux, la Russie ou l’Iran car ce serait un argument pour l’État islamique pour dénoncer une croisade ou un complot chiite. Il faut donc une intervention au sol qui ne peut être le fait que des pays sunnites : pays du Golfe, Égypte, Turquie, mais nous sommes encore loin d’un accord sur ce point.

En quoi consisterait une coopération militaire franco-russe ? Qu’apporterait chacun des pays dans ce projet ?Dans la mesure où nous avons comme objectif commun de vaincre Daech, nous pouvons nous coordonner sur les frappes qui visent l’État islamique pour une meilleure efficacité. La France va également demander à la Russie de ne pas frapper les autres organisations anti-gouvernementales pour concentrer ses frappes contre l’État islamique.

Que risque la France si elle entre dans une coalition avec la Russie en Syrie ?
La France ne risque rien à entrer dans une coalition avec la Russie en Syrie. Nous avons, comme je l’ai dit auparavant, des sujets de désaccord mais également des objectifs communs. Il n’y a qu’un effort global multilatéral, incluant le plus grand nombre d’États possibles, qui permettra une victoire sur Daech. La coalition entre la France et la Russie est dans notre intérêt commun.

La Russie soutient Bachar el-Assad. La France pourra-t-elle mener une action militaire commune avec la Russie en Syrie sans pour autant coopérer avec son président ?
Il est impossible pour la France de soutenir Bachar, tout simplement parce que nous pensons que l’État islamique est l’enfant à la fois de la guerre d’Irak en 2003, à laquelle Moscou et Paris s’étaient opposées ensemble, et de la répression du régime de Bachar. Il y avait au départ une révolution pacifique en Syrie que Bachar a réprimée dans le sang et qui a poussé une partie des sunnites syriens dans les bras de l’État islamique. Tant que Bachar el-Assad sera au pouvoir, l’État islamique recrutera. La position de la France n’est pas une position morale vis-à-vis des crimes de Bachar, c’est une position de realpolitik. Il est le sergent recruteur de l’État islamique. La victoire contre l’État islamique passe par le départ de Bachar el-Assad.

Vu que la France semble prête à former une coalition militaire avec la Russie, devrait-elle en même temps maintenir ses sanctions vis-à-vis de Moscou ou les suspendre ? La France pourrait-elle solliciter la levée des sanctions contre la Russie ?
Si les accords de Minsk sont respectés, il faudra lever les sanctions contre la Russie. Le problème est que ces sanctions ont été décidées au niveau européen et qu’il faut que la France convainque également ses partenaires. Il y a une divergence d’attitude au niveau de l’Union européenne entre des pays comme l’Allemagne et la France, qui sont favorables à un assouplissement de la position vis-à-vis de la Russie, et des pays comme les États baltes et la Pologne, qui ont une position beaucoup plus dure. L’OTAN comme institution pousse également à une ligne de plus grande confrontation avec la Russie.

Au Donbass, dans les régions rebelles, les tirs entre les insurgés et les forces de Kiev s’intensifient en ce moment. Les accords de Minsk sont en danger. Le rapprochement entre la Russie et l’Union européenne, que l’on observe sur le dossier syrien, permettra-t-il de résoudre l’équation ukrainienne ?
Il est indispensable que les accords de Minsk soient respectés pour sortir de cette impasse nuisible à tous. Si les séparatistes du Donbass doivent respecter le cessez-le-feu, il est également nécessaire que les autorités de Kiev adoptent une attitude de plus grande ouverture. Or, les dirigeants ukrainiens sont divisés entre ceux favorables à une solution pacifique et ce qui entretiennent l’illusion dangereuse d’une solution militaire.
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