19.12.2024
Le Royaume-Uni est-il de retour ?
Interview
26 novembre 2015
La SDSR est l’équivalent du Livre blanc français de la défense, avec un processus plus ramassé dans le temps. Il est également davantage orienté politiquement puisqu’il est le fait du gouvernement au pouvoir au moment de sa rédaction. Comme le Livre blanc français, il est aujourd’hui élaboré tous les 5 ans.
Rappelons que la SDSR de 2010 intervenait dans un contexte de crise économique. Du point de vue de la narration politique, les cinq dernières années devaient incarner une période de vaches maigres, destinée à résorber le déficit du budget de la défense attribué au gouvernement travailliste. Le budget de défense et les personnels militaires ont été réduits de manière significative et transversale aux trois armées.
Le contexte britannique est également fortement marqué par le retrait des troupes britanniques d’Afghanistan, ainsi qu’une aversion à la guerre qui découle des aventures militaires de Tony Blair et plus récemment de l’intervention libyenne en 2011. Elle se fait ressentir à travers la société britannique et jusqu’au Parlement, qui a refusé l’intervention que David Cameron souhaitait lancer en Syrie en août 2013. Depuis lors, s’est matérialisé un retrait britannique de la scène internationale, qui va parfois jusqu’à un certain isolement, comme lors du processus de Minsk où François Hollande et Angela Merkel ont discuté avec Vladimir Poutine pour tenter de dénouer la crise ukrainienne.
Parfois critiqué pour n’être pas le plus fin des stratèges du point de vue de ses engagements internationaux, on a pu remarquer lors du débat qui a eu lieu à la chambre des communes, ce lundi 23 novembre, que David Cameron est un maître politicien. De retour d’un entretien avec François Hollande à l’Elysée dans la matinée, il a renforcé sa stature d’homme d’Etat et a dominé son adversaire travailliste Jeremy Corbyn.
Quels sont les changements amorcés par le Livre blanc britannique ?
La SDSR 2015 marque une rupture certaine. Il y a une volonté clairement marquée de remontée en puissance britannique et de réinvestissement stratégique, qui n’en reste pas aux déclarations d’intentions. Elle se traduit par une hausse du budget de défense, un vaste plan d’équipement, une capacité expéditionnaire plus importante et des nouvelles forces de réaction rapide. Ces annonces sont les bienvenues.
L’on est aujourd’hui dans une situation où la marine britannique est contrainte d’employer des ingénieurs étrangers pour pouvoir subvenir à ses besoins. La semaine dernière, un sous-marin russe a été repéré au large des côtes britanniques. Or, le Livre blanc de 2010 avait mis au rebut la capacité de patrouille maritime britannique. Le Royaume-Uni a dû se résoudre à ressortir à des avions de patrouille maritime canadiens et français, n’en disposant plus elle-même. Pour une nation de fière tradition maritime c’est assez problématique. Cela a conduit à quelques quolibets car le Royaume-Uni a fini par en appeler à des bateaux de pêche écossais et à la vigilance des réseaux sociaux. Les autres décisions prises en 2010 ont conduit le pays à se départir de ses avions Harrier, à remiser le porte-avion HMS Ark Royal, ce qui est, peu importe son impact stratégique, une décision forte au niveau symbolique car c’est un attribut de la souveraineté d’un État à la tradition maritime.
Quelles conséquences concrètes sur la défense britannique ?
Par rapport aux décisions drastiques prises en 2010, le Livre blanc de 2015 prend certaines décisions clés. Le Royaume-Uni devrait vraisemblablement tenter de conserver un spectre entier de capacités militaires. Le pays respectera bien les critères de l’Otan de 2% de son PIB alloué à la défense. Le Royaume-Uni est souvent en première ligne quand il s’agit de demander aux Alliés de respecter ces critères mais certaines incertitudes avaient été entrevues dès l’automne 2014 sur sa capacité à appliquer le critère à lui-même. D’autre part, ont été annoncées la création pour 2025 de brigades de réaction rapide pour pouvoir projeter des forces flexibles et réactives à l’étranger pour traiter certaines menaces, dont Daech constitue un exemple.
Les trous capacitaires en matière de patrouille maritime vont être comblés par l’achat de nouveaux avions de patrouille maritime (9 Boeing P8, Maritime Patrol Aircraft). La Marine va recevoir davantage de frégates. La mise à l’eau des deux porte-avions est confirmée et ils seront dotés de tous les avions de chasse nécessaires, y compris les F35, décision non négligeable du point de vue des engagements budgétaires qu’elle implique. Le renouvellement de la dissuasion nucléaire britannique – le système Trident – a été confirmé, ce qui est également important du point de vue des attributs de la souveraineté britannique. L’accent a été mis par ailleurs sur le renseignement, les capacités cyber et le contreterrorisme. Du point de vue des équipements, devrait s’engager un effort extrêmement important, puisque l’on parle de presque 300 milliards d’euros au cours de la prochaine décennie, et sur des équipements à grosse valeur ajoutée technologique, ce qui est tout à fait significatif.