ANALYSES

En guerre, quelle guerre ?

Tribune
20 novembre 2015
Que signifie être en guerre ? Le vocabulaire martial a envahi l’espace public et ceux-là mêmes qui étaient les plus prompts à critiquer la guerre au terrorisme de George W. Bush (« le terrorisme est une méthode, pas un pays ») reprennent parfois la rhétorique néo-conservatrice sur une guerre fondamentale (certains avaient parlé d’une « quatrième guerre mondiale » – la troisième étant la guerre froide), celle qui opposerait « nos » valeurs universelles et l’islamo-fascisme qui les hait.

Or, la guerre implique au moins trois choses : des ennemis, des moyens et des buts.

Des ennemis

Certes, il n’est pas question de nier que nos adversaires djihadistes nous font la guerre, sous la forme du djihad, guerre sainte, obligatoire pour les croyants, défensive juste à leurs yeux. Notre embarras vient de notre difficulté à les désigner : certains préfèrent des euphémismes comme « extrémisme violent », d’autres hésitent entre « islamisme » (qui a l’inconvénient de contenir « islam »), « État islamique » (qui a l’inconvénient de contenir État et islamique), « fondamentalisme islamiste » (mais on peut être fondamentaliste sans tuer personne), « barbares » (mais pourquoi pas « méchants »), etc. Dans tous les cas, cette guerre que nous subissons est menée à la fois sur « leur » territoire que nous contribuons à bombarder et sur le nôtre par des gens qui ont notre passeport, ce qui cumule les inconvénients de la guerre ouverte et de la guerre invisible (alias « guerre du pauvre ») sur notre territoire. Par ailleurs, beaucoup ont souligné avec raison qu’utiliser la catégorie « guerre » à propos de l’État islamique, quitte à le dire « ennemi du genre humain » comme l’on disait autrefois des pirates, c’est lui conférer une reconnaissance qu’il espère.

Des moyens

« Des moyens » signifient crûment des armes qui tuent des gens. Ceci implique donc d’admettre moralement et politiquement la légitimité d’utiliser la force extrême, y compris avec le risque de tuer des civils « innocents » comme lors de bombardements. Pour le moment, l’opinion française ne verse pas trop de larmes à l’idée que l’on tire sur Abbaoud. Qu’en sera-t-il dans quelques mois, quelques morts et quelques bavures ?

« Des buts »

« Des buts » impliquent une situation historique que l’on pourrait décrire comme la « paix ». Quand saurons-nous que nous avons gagné ? Il est possible qu’un jour les djihadistes d’Irak et de Syrie disparaissent (remplacés par qui ? par de sympathiques démocrates alliés de l’Occident ?). Mais pour ceux qui éprouvent assez de ressentiment pour tuer leurs compatriotes qu’ils considèrent comme des Croisés ou des mécréants, la fin de cette « guerre » ne peut être qu’une paix vécue par nos enfants.
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