19.12.2024
Ces erreurs post 11 septembre commises par les Etats-Unis vers lesquelles tend dangereusement François Hollande (… en pire ?)
Presse
17 novembre 2015
François-Bernard Huyghe : Des terroristes capables d’une telle escalade qualitative dans leurs actions ne le font pas sans penser aux conséquences. La « bushisation » du discours français – Hollande et la plupart des politiques ne cessent de parler de « guerre » – constitue une victoire de l’Etat islamique. Si par « guerre » on entend les moyens militaires mis au service de la lutte contre les terroristes, alors oui, nous sommes en guerre. Cependant, la guerre se fait généralement contre un Etat, ce qui revient en creux à donner à l’adversaire ce qui lui manquait : une reconnaissance internationale.
En outre, l’EI veut engranger le plus grand nombre d’ennemis possible, pour montrer qu’il n’existe que deux camps sur cette terre. D’ailleurs beaucoup de djihadistes, sur les réseaux, ne demandent qu’à se faire attaquer… Le terrorisme est toujours un piège : soit le pays attaqué cède, ce qui renforce les terroristes, soit le pays réprime, ce qui est encore une autre manière de les renforcer. La question doit toujours se poser : en prenant des « mesures d’exception » ne fait-on pas le jeu de l’adversaire ? Cependant on voit mal l’Etat ne rien faire…
Barthélémy Courmont : D’abord, il convient de rappeler que c’est l’Afghanistan qui, en 2001, a été dans la ligne de mire de Washington, les opérations au Moyen-Orient, en Irak précisément, ne débutant qu’en mars 2003, au terme d’une longue crise diplomatique. Le choix de l’Afghanistan, s’expliquait par la présence sur son sol de camps d’entraînement d’Al Qaïda, sans doute de son chef Oussama Ben Laden, mais aussi et surtout par le refus du régime des Talibans de coopérer dans ce qui était alors présenté par les autorités américaines comme une « guerre contre le terrorisme ». En ce sens, les Talibans se sont exposés à des représailles massives, et internationales (rappelons ici que la France participa à ces opérations). Ben Laden a souhaité cette intervention, sans doute en espérant recréer un effet bourbier comparable à celui dans lequel l’Union soviétique était empêtrée dans les années 1980, et en y voyant l’opportunité de mettre à exécution ses rêves de choc de civilisations. Il n’en fut rien, même si la guerre fut, et reste, difficile. Lui-même en fit les frais, et les activités de son groupe en Afghanistan furent détruites, de même que le régime aberrant des Talibans. S’il faut tirer des leçons de cette expérience, en tenant compte bien sûr des différences nombreuses, le gouvernement français doit d’abord obtenir une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU autorisant le recours a la force, comme en 2001. Ce ne sera pas difficile, et rappelons que des opérations sont déjà menées depuis plus d’un an contre Daesh. Il faut ensuite se préparer à des opérations longues. Les frappes aériennes ne suffiront pas, elles devront nécessairement être accompagnées d’une opération au sol, à laquelle une coalition internationale doit se préparer. Enfin, parmi les bonnes leçons, nous dirons que cette opération, dans sa dimension militaire, devrait être couronnée de succès dès lors que s’organise une action internationale.
Entre connivence et instrumentalisation, l’attitude de l’Arabie saoudite, que ce soit à l’égard d’Al Qaida ou de l’Etat islamique, a toujours été floue. Quelle réforme convient-il de mener dans nos relations avec les puissances du Golfe ?
François-Bernard Huyghe : L’Arabie saoudite est plus prompte à trouver des forces pour combattre les chiites au Yémen que pour lutter contre l’EI. Le financement de l’EI par des Saoudiens est aussi source d’ambiguïté. Et n’oublions pas la Turquie, censée être dans le camp occidental, mais qui est plus occupée à massacrer du Kurde. Le contrôle de la frontière avec la Syrie et l’assistance aux peuples opprimés sont secondaires… Je suis partisan de la realpolitik : si l’ennemi est bien l’EI, alors il faut savoir trouver des alliés objectifs pour le contrer, y compris des alliés capables de « faire le boulot » seuls.
En l’occurrence il s’agit des chiites irakiens, syriens et iraniens. Pour de multiples raisons la France est très douce et diplomate avec les Saoudiens et les Qataris. Il serait donc souhaitable de leur envoyer un message de fermeté, dont font partie les fermetures sur notre sol de mosquées wahhabites. Nous allons être obligés de reconsidérer beaucoup d’alliances.
Barthélémy Courmont : L’Arabie saoudite et les monarchies du Golfe ont une attitude ambigüe dans la lutte conte Daesh, associant condamnation et coopération d’un côté (rappelons que le raid français a décollé des Émirats), et manque d’action de l’autre (à la fois militairement, et dans l’accueil des réfugiés). À l’inverse, un pays comme la Jordanie est fortement impliqué. Il faut convaincre nos alliés arabes de la nécessité de combats Daesh avec force. Cela passe par le dialogue, mais aussi par un effort visant à mettre ces pays devant leurs responsabilités. L’ordre qu’ils incarnent est l’ennemi suprême de Daesh. S’ils laissent ce cancer se développer, ils en feront les frais dans des proportions beaucoup plus grandes que les démocraties occidentales. Daesh a su profiter de l’incapacité de la communauté internationale à s’unir, et en ce sens les attentats de Paris pourraient marquer un tournant.
De Raqqa, Ryad ou Téhéran, qui est aujourd’hui le véritable sponsor de l’islam radical ?
François-Bernard Huyghe : A la surprise générale, l’EI a doublé son rival Al Qaeda canal historique, et tient un territoire depuis maintenant deux ans, en dépit du fait que le monde se lève contre lui. Soyons clairs : notre ennemi est Abou Bakr al-Baghdadi, qui se trouve à la tête d’un Etat/organisation qui bat monnaie. Il est une force d’attraction internationale, au même titre qu’Al Qaeda en général. Je ne dis pas que le roi d’Arabie saoudite tire directement les ficelles de la marionnette Baghdadi, cependant, son pays finance l’expansion du wahhabisme, réprime le djihadisme chez lui, tout en le soutenant par abstention ailleurs.
Barthélémy Courmont : A l’heure actuelle, Raqqa bien entendu. Dans la lutte contre Daesh, Téhéran est un allié de circonstance, et Ryad doit etre un partenaire. Tout dépend des priorités, et la priorité actuelle, c’est de détruire Daesh.
En Afghanistan comme en Irak, l’incapacité des Etats-Unis et des forces occidentales à « tenir » le terrain a été manifeste, prouvant que même la première puissance pouvait se tromper dans l’évaluation de ses propres moyens. Une intervention française au sol n’est certes pas à l’ordre du jour, cependant notre force de frappe reste bien inférieure. Concrètement, quelle capacité de nuisance avons-nous face aux terroristes contre lesquels nous sommes « en guerre » ? Pouvons-nous vraiment espérer gagner une guerre asymétrique face à un adversaire mouvant ?
Barthélémy Courmont : Plusieurs choses. D’abord, la France n’interviendra pas seule, mais dans le cadre d’une coalition, sans doute plus large que celle en Afghanistan et, plus encore, en Irak, dès lors que la Russie y est associée, de même que l’Iran. Pour officialiser cette coalition et s’assurer le soutien de ses alliés, la France dispose par ailleurs de deux instruments, l’article 5 de l’OTAN et l’article 42-7 du Traité de l’Union européenne, tous permettant de garantir le soutien des États membres dès lors que l’un d’entre-eux a été frappé. L’article 5 avait été invoqué en 2001, pourquoi ne le serait-il pas cette fois ? Par ailleurs, et malgré son appellation, l’EI n’a d’Etat que le nom. Si l’organisation dispose de combattants déterminés, ses moyens ne sont pas ceux d’un État (par exemple, pas de capacités aériennes, ou anti-aériennes). S’ajoute à cela qu’il est affaibli sur le terrain, et que les frappes menées depuis un an, si elles ne sont pas suffisantes, ont permis de le contenir. En accentuant ces frappes, les résultats pourraient être rapides.
Cela étant dit, il s’agit effectivement d’une guerre asymétrique, qu’on peut gagner facilement, mais dans laquelle il est difficile d’imposer un équilibre durable. Il faut donc, dès à présent, penser l’après-Daesh, à la fois en Irak et en Syrie, mais aussi de manière plus globale, en s’assurant que le modèle de l’EI ne soit pas reproduit ailleurs. C’est la partie la plus difficile du combat, elle requiert vigilance et coopération internationale. Elle requiert aussi et surtout un projet politique, car s’il est possible de vaincre militairement sur le terrain, la lutte contre le terrorisme est un combat politique.
Depuis le 11 septembre l’islam radical d’inspiration salafiste, quelle que soit son étiquette, a largement étendu son théâtre d’opération, de la Guinée jusqu’à la Malaisie. Quitte à entrer en lutte, sur qui les puissances occidentales peuvent-elles compter ? Quels alliés, quelle légitimité juridique, quels moyens ?
Barthélémy Courmont : Le problème n’est pas tant de parvenir à composer une coalition internationale importante qu’à éviter que la nature du combat de Daesh ne change. Il y a un risque de voir cette organisation abandonner son rêve de califat, et se tourner vers du terrorisme transnational, à la manière de son rival Al Qaïda. On peut d’ailleurs se demander dans quelle mesure ce n’est pas déjà le cas, et si les attentats de Paris ne marquent pas un tournant dans la stratégie de Daesh.
La possibilité de voir l’adversaire se défiler, se disperser et plus tard reprendre forme dans d’autres régions est réel, et c’est bien la raison pour laquelle on n’est pas en mesure de parler d’un État, mais d’une organisation. Un point positif cependant, l’exemple de Daesh peut être utile pour alerter des tentatives similaires, et prendre des mesures fortes avant arriver à cette impasse.
Quand bien même nous réussirions à vaincre l’Etat islamique, avons-nous une solution politique à disposition pour occuper l’espace laissé libre, avant qu’une autre force islamiste ne prenne la place ?
François-Bernard Huyghe : Vous posez là une bonne question, à supposer qu’on les vainque un jour, ce qui passera par de grands massacres. Je ne vois pas de chute sans de « grandes dépenses de sang », simplement parce que nous sommes face à 60 000 hommes prêts à mourir. Si la réponse à votre question existait, les Occidentaux navigueraient moins à vue. Cela passera probablement par le renforcement d’un pouvoir chiite en Irak, l’exclusion en douceur de Bachar el-Assad. Mais je ne suis gère optimiste : après Al-Qaida et l’Etat islamique, qui sait quelle autre entité émerger ?
Barthélémy Courmont : Cette question est difficile, et explique à elle seule l’absence d’initiative forte depuis que Daesh s’est créé. L’organisation terroriste a su en profiter pour étendre son influence, et se maintenir. François Hollande a choisi d’adopter une posture proche de celle de la Russie, à savoir de ne pas faire de Bachar Al Assad une cible, en tout cas pour le moment. Il lui faudra convaincre nos alliés, à commencer par les États-Unis, du bien-fondé de cette nouvelle approche, mais aussi prévoir malgré tout l’après-Daesh. Il faudra également, avec le coût que cela suppose, envisager une présence militaire durable, afin d’éviter que les sympathisants de Daesh ne tentent de reprendre leur bastion. À ce titre, la comparaison avec l’Afghanistan est évidente.
La réponse à des attentats sur le sol français par des frappes à l’étranger, dans une zone agitée par des conflits entre plusieurs factions qui nous dépassent de loin, est-elle adaptée ? Le problème n’est-il pas plutôt à régler sur notre sol, et comment ?
François-Bernard Huyghe : On ne peut pas séparer l’intérieur de l’extérieur. On peut certes voter des lois d’exception, mais celles-ci ne seront pas très efficaces quand on sait que même avec huit condamnations et une fiche S au compteur, une personne peut se promener sur notre territoire et finalement tuer des gens dans Paris.
Nos problèmes sont surtout d’ordre technique : il faut se donner les moyens de réprimer, d’exécuter les peines, d’avoir de bons analystes sur internet. Cela peut être fait à moyen terme. Mais surtout, n’allez pas croire que c’est en réduisant le chômage, en atteignant trois points de croissance et en augmentant les aides sociales que l’on parviendra à tarir le djihadisme. Les esprits doivent être récupérés par l’école, la déradicalisation…
Barthélémy Courmont : La réponse doit être double. Et François Hollande l’a bien rappelé au Congrès. D’abord, il est nécessaire de frapper Daesh, dont il convient de rappeler qu’il a revendiqué les attentats, et de mener des opérations militaires. Mais en parallèle, c’est bien sur le territoire national que des actions doivent été menées. Si les liens avec Daesh sont avérés, et que les terroristes ont bien effectué des séjours en Syrie, qu’en sera-t-il demain ? La territorialité du terrorisme est un phénomène finalement assez « pratique », puisqu’il rend possible l’utilisation de la force armée face à un adversaire géographiquement identifié. Mais qu’elle réponse devrons-nous porter si d’autres attentats sont commis, une fois Daesh vaincu ? La réponse s’inscrit ans un effort de durée, avec une identification des réseaux existants et le renforcement du cadre juridique, bien sûr, mais aussi et surtout par des politiques publiques s’efforçant de réduire l’exclusion, ou le sentiment d’exclusion, qui peut conduire certains individus à passer, comme l’indiquait François Hollande à Versailles, de la délinquance au banditisme, puis au terrorisme. Si le terrorisme est un mode d’action, il est aussi le résultat d’un mal-être, un cheminement personnel que l’endoctrinement politique ou religieux ne vient qu’exacerber. On ne nait pas terroriste, on le devient. Et c’est sur ce cheminement que des efforts doivent être menés, afin d’identifier en amont de leur passage à l’acte ceux qui s’éloignent des valeurs de la République.
Les éléments de la société française qui s’étaient élevés contre la minute de silence après Charlie en janvier, pourraient-ils saisir l’occasion des frappes en Syrie pour une fois de plus marquer leur différence ?
François-Bernard Huyghe : Si j’étais professeur dans une école comptant beaucoup d’élèves musulmans, j’aurais moins de mal à leur expliquer le caractère atroce des attentats de novembre, plutôt que le fait que l’on a le droit de caricaturer Mahomet. L’argument de la « bushisation » de la France pourrait compromettre l’élan de solidarité au sein de la société française. On ne peut pas ne pas réprimer le terrorisme, mais le faire, c’est d’une manière ou d’une autre lui donner raison. Si on prend des mesures de fermeture, d’assignation à résidence, on fournit des arguments à ceux qui veulent faire croire que la France persécute les musulmans : provocation, répression, solidarité. Nous devons apprendre des erreurs américaines : reprendre les mots de Bush n’est pas la bonne stratégie. Une politique militaire et répressive se mène de façon cohérente. On n’arrête pas les terroristes en chantant et en disant « pas d’amalgame ».
Barthélémy Courmont : Il y a une grande différence entre les attentats de janvier et ceux du 13 novembre : le choix des cibles. En janvier, les terroristes ont tué ceux qu’ils identifiaient comme leurs ennemis, des caricaturistes et humoristes, des policiers, des juifs. Des crimes haineux, inqualifiables, mais dans lesquels certains de nos compatriotes ne se retrouvèrent pas, ce qui explique les résistances à l’effort d’unité nationale, pourtant très fort. Cette fois, les terroristes ont frappé de manière aveugle, pour tuer le plus grand nombre de personnes, et de manière non discriminante. Il n’y a plus de distinction entre ceux qui peuvent être pris pour cible, et les autres. Dès lors, on voit difficilement au nom de quoi, sinon à cautionner le terrorisme, on peut marquer sa différence avec l’indignation générale. Il y a bien sûr un effort pédagogique, qui doit s’inscrire dans la durée, mais ces attentats constituent un socle sur lequel s’appuyer: les terroristes ne représentent aucune civilisation, ils ne cherchent qu’à la détruire.