27.11.2024
« La défaite de Daech a eu lieu le vendredi 13 novembre à Paris »
Presse
17 novembre 2015
Suite à l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis, les Sunnites ont été très largement exclus de la nouvelle composition politique voulue par Paul Bremer (administrateur provisoire de la coalition en Irak de 2003 à 2004). Ce dernier a commis une grosse erreur lors du démembrement de l’Etat irakien en marginalisant les Sunnites au profit des Chiites. Cela a provoqué une guerre dans la guerre entre les deux courants religieux.
Une alliance sunnite s’est constituée entre les (anciens) généraux de Saddam Hussein et les islamistes de Baghdadi. Ils ont participé à la résistance à l’occupation américaine, avec Al Qaïda également. Ces alliances, portées sur cette base confessionnelle, constituent les prémices sur lesquels se construira Daech plus tard, à l’été 2014.
Au fur et à mesure que les troupes américaines se sont enlisées en Irak, cette résistance a pris la forme d’un courant islamo-nationaliste. Les généraux de Saddam Hussein et les islamistes de Baghdadi ont créé l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) après la dislocation de la Syrie en 2013, avant de devenir l’Etat islamique à l’été 2014 avec la prise de Mossul. Depuis Daech jouit d’une implantation dans le nord de la Syrie et dans un tiers du territoire irakien. Il se désigne comme un califat.
Parler d’Etat islamique est-il juste ?
L’EI est plutôt mal nommé: c’est un proto-Etat. Certes, il a tous les attributs d’un Etat: une armée, un drapeau, un contrôle sur tout le nord de l’Irak où il prélève l’impôt et dispose de ressources considérables – pétrolières notamment – ainsi que des centaines de millions de dollars gagnés lorsqu’il a pris Mossul en Irak. Mais cet Etat n’est reconnu par personne. Donc en substance, il n’existe pas sans reconnaissance internationale. Opposé à la terre entière, il n’a aucun avenir. Par ailleurs, Daech veut reconstituer l’Oumma, la communauté des musulmans ou nation islamique. Cela signifie que les frontières et les Etats-nations n’ont pas de valeur pour Daech, qui est donc en plein déni de la réalité historique. Daech veut dynamiter les États-nations. Or, il ne voit pas que la globalisation renforce ces derniers.
La série d’attentats à Paris sert-elle Daech ?
Non. Je suis optimiste, les jours de l’EI sont comptés. L’organisation terroriste a commis une erreur fatale en s’attaquant à Paris, à la société française telle qu’elle est dans sa diversité culturelle, et non pas à un membre du pouvoir, par exemple. Cela va souder l’ensemble de la société et provoquer une mobilisation massive. C’est tout un peuple qui se lève contre cette organisation terroriste. Je pense que la défaite de Daech a eu lieu symboliquement le vendredi 13 novembre 2015 à Paris. Tous les peuples se mobilisent dans une sorte de réflexe collectif pour se protéger et se défendre.
Daech est en guerre contre tout le monde : les musulmans de France, qu’il qualifie d’impies, l’Occident, l’Europe, les dirigeants arabes, une grande partie des peuples arabes qui ne sont pas d’accord avec ses agissements. Daech est isolé et marginalisé. Enfin, les actes de l’EI ont entraîné des frappes et réactions militaires plus importantes qui vont l’affaiblir.
Daech semble pourtant être capable de recruter continuellement de nouveaux soldats…
Si Daech se coupe des sociétés – arabes notamment -, il n’a plus de légitimité. On voit que l’armée de l’EI est composée essentiellement de combattants étrangers. En Europe, terreau de déshérence sociale, ceux qui se laissent emporter s’inscrivent dans une démarche nihiliste suicidaire. La plupart d’entre eux sont des citoyens français, belges, bosniaques, tchétchènes car Daech a du mal à recruter sur place. Or, cette source va se tarir. Daech n’aura donc plus les moyens de sa politique ambitieuse. Selon moi, il est assez probable que le « calife » Baghdadi finisse comme Ben Laden à moyen terme.
Peut-on faire un parallèle avec Al-Qaïda qui n’a jamais cessé de décliner depuis dix ans ?
Al Qaïda a toujours passé des alliances locales contrairement à Daech. Avec des tribus au Maghreb, avec les Touaregs qui avaient un message d’autonomie, de séparatisme ou d’indépendance du Sahara, par exemple. Al Qaeda a aussi établi des alliances avec des tribus locales en sécession depuis très longtemps avec le pouvoir de Sanaa au Yemen. Cette organisation, plus modeste que Daech, a eu l’intelligence de passer des alliances locales, ce qui lui a permis de survivre longtemps. Mais elle a perdu beaucoup de popularité dès 2003, car les attentats qu’elle a perpétrés tuaient beaucoup plus de musulmans que de non-musulmans.