ANALYSES

L’enjeu latino-américain des élections en Argentine et au Vénézuela

Presse
3 novembre 2015
Les Argentins votaient le 25 octobre 2015. Pour élire leur chef d’Etat, leurs sénateurs, leurs gouverneurs et la moitié de leurs députés. Faute de majorité présidentielle suffisante, ils remettent ça dimanche 22 novembre. Quelques jours plus tard, le 6 décembre, les Vénézuéliens prennent le relais. Pour une consultation législative. Ces votations n’ont en apparence rien d’exceptionnel. Elles viennent à date nommée. Conformément à ce que prévoit le calendrier institutionnel. Elles pourraient pourtant amorcer un mouvement régional vers la droite rompant la vague progressiste de ces dernières années.

Toutes sortes d’arguments, ont été échangés pendant la campagne électorale, argentine comme vénézuélienne. L’opposition à Buenos Aires comme à Caracas a cherché, par la voie des urnes, une alternance. Les occupants des palais de gouvernement entendaient perpétuer leur présence. Les campagnes ont été polémiques. Les propositions programmatiques ont été minimales. Les diabolisations croisées, les critiques de lèse-démocratie, ont occupé le devant de la scène. Il a été beaucoup plus question d’alternances que d’alternatives. Les candidats, ont brouillé les différences. Les uns et les autres ont contesté réciproquement leur légitimité. Tous ont juré que le cap des réformes sociales serait maintenu.

Pourtant ces élections ne sont pas des élections comme les autres. Un changement de majorité ne bouleverserait pas les équilibres. Mauricio Macri, conservateur pur sucre a juré en Argentine qu’il ne toucherait pas aux acquis sociaux mis en place de 2003 à 2015 par le couple péroniste Nestor et Cristina Kirchner. L’alliance d’opposition au Venezuela, la plate-forme d’unité démocratique (MUD), a tenu le même discours. Elle ne toucherait pas en cas de victoire aux programmes sociaux créés par Hugo Chavez et Nicolas Maduro entre 2000 et 2015. Derrière cette normalité apparente, l’Amérique du sud, et l’Amérique latine, sont peut-être à la veille d’un grand bouleversement. Cette alternance si alternance il y a, à Buenos Aires et caracas, pourrait enclencher un mouvement en dominos.

La crise économique met à rude épreuve la capacité des gouvernements à tenir le cap social des dernières années. Cigales plus que fourmis, les responsables ont engrangé l’argent des années de vache grasse sans penser à l’avenir. Les plus pauvres en ont bénéficié avec en Argentine, l’allocation universelle aux familles, et au Venezuela les Missions santé et éducation. Pour alimenter le moteur des réformes le combustible financier aujourd’hui vient à manquer. La chute des cours du pétrole et des minéraux, la baisse de la demande chinoise en produits carnés et en soja, ont asséché les caisses.

La croissance est en berne, comme l’emploi et la consommation des ménages. Faute d’avoir préparé les lendemains les gouvernements affrontent les mécontentements. Les réponses sont le plus souvent de circonstance. Contrôle des changes, mise en place de taux différents entre monnaies locales et dollar, fermeture des frontières, dénonciation du marché noir, sont au mieux des emplâtres sur jambes de bois. La dénonciation de complots et d’ennemis extérieur n’est pas audible, faute de répondre aux urgences sociales, à la chute du niveau de vie.

L’opposition intérieure, et ses alliés extérieurs, ont bien compris l’aubaine politique offerte par cette situation. Les grands groupes économiques et médiatiques contestent la légitimité morale d’autorités politiques par ailleurs incapables de répondre aux attentes matérielles de la population. La corruption des élites arrivées au pouvoir depuis dix ans fait l’objet de campagnes permanentes. L’argument ne manque pas de fondement. Pouvoir et argent quels que soient les responsables du moment ont souvent en Amérique latine été géré de conserve. Les majorités actuelles ne font pas plus exception que celles d’hier. Mais si la flexibilité éthique est assez largement tolérée en période de vaches grasses, il en va autrement quand la bise sociale vient à souffler.

Crise économique, malaise social, exigences morales, sont porteurs d’alternance électorale. Tout reste ouvert. Mais en Argentine comme au Venezuela, les catégories moyennes et supérieures, écartées du pouvoir depuis 15 ans, sont aujourd’hui mobilisées par les difficultés des autorités. Alors que les couches les plus modestes, préoccupées par une conjoncture qui menace les acquis sociaux, perturbées par les campagnes de dénonciation de la corruption gouvernementale, dérivent vers l’attentisme électoral. Rien de bouleversant en démocratie. L’alternance fait partie du jeu politique.

Mais cette alternance-là, si elle venait à se concrétiser, le 22 novembre en Argentine, et le 6 décembre au Venezuela, aurait une portée géopolitique régionalisée. Le 5 novembre 2015 la présidente argentine voulait inviter les gouvernements qui en novembre 2005, à Mar del Plata, (Argentine), avaient enterré le projet de marché commun hémisphérique défendu par les Etats-Unis. Cet acte magique, et de solidarité électorale avec le candidat justicialiste, Daniel Scioli n’aurait été rien de plus que la commémoration d’une époque en bout de cycle. Les opposants, vainqueurs, Mauricio Macri en Argentine, la Plate-forme de l’opposition unie, au Venezuela, ont un seul objectif, changer de cap, rompre avec les orientations locales et internationales actuelles. Libéraux en économie, ils rétabliraient, en cas de succès, une relation privilégiée avec les pays du Nord, minorisée par les majorités arrivées au pouvoir dans les années 2000.

La victoire de Hugo Chavez en 1998, celles de Nestor Kirchner en Argentine en 2003, avaient eu en effet un effet domino. La majorité des pays était électoralement tombé à gauche, en Bolivie, au Brésil, en Equateur, au Paraguay. Une gauche en quête de souverainetés collectives, de relations horizontales entre pays du sud, pour contenir les influences dominantes nord-américaines comme européennes. Une alternance, en Argentine et au Venezuela, fin 2015, aurait nécessairement une dimension inversée, intérieure comme extérieure. Libérale elle bouleverserait non seulement les gouvernances économiques, mais aussi les partenariats internationaux qui retrouveraient une verticalité nord-sud. Ces alternances pourraient comme le mouvement en balancier des années 2000 avoir un effet d’entrainement régional. Les voisins de l’Argentine et du Venezuela souffrent des mêmes difficultés économiques et sociales. Leurs gouvernements, bien qu’élus depuis plusieurs mois, sont soumis à des mouvements extra-parlementaires déstabilisateurs. Ces pressions pourraient être accentuées par une alternance en Argentine et au Venezuela. Au prix d’une sorte de 13 mai institutionnel préservant les apparences démocratiques, les pays d’Amérique du sud pourraient alors en rupture avec le passé proche, être globalement reconnectés avec le système-monde libre-échangiste, avec les Etats-Unis, l’Union européenne et le Japon.
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